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Vos tee-shirts “made in Bangladesh” sont-ils fabriqués illégalement ?

L’effondrement de l’immeuble Rana Plaza, près de Dacca, remet en lumière les usines de textile à bas prix du pays et interroge sur la responsabilité des entreprises occidentales.

Article rédigé par Clément Martel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une chemise étiquetée Benetton retrouvée dans les décombres de l'immeuble Rana Plaza, à Savar, près de Dacca (Bangladesh), le 27 avril 2013. (MUNIR UZ ZAMAN / AFP)

Au cœur des décombres, des étiquettes : Mango, Benetton, Tex, C&A... Les ruines de l'immeuble Rana Plaza, qui s'est effondré mercredi 24 avril à Savar, dans la banlieue de Dacca (Bangladesh), dévoilent les restes des cinq ateliers de confection textile qu'il abritait. Des ateliers fabriquant des vêtements pour le marché occidental. Avec au moins 387 morts et un millier de blessés, il s’agit de la plus grande catastrophe industrielle de l'histoire du Bangladesh.

Selon des premières analyses, cet accident s'explique par un déficit structurel de l'immeuble. Bâti sur un étang comblé par du sable et de la terre, il avait été agrandi illégalement de trois étages, et la veille de son effondrement, de grandes fissures avaient été constatées dans les murs. Pour cette raison, une banque et plusieurs boutiques de l’immeuble étaient restées fermées le jour du drame.

Mais plus de 3 000 employés, principalement des femmes, ont embauché dans les manufactures textiles de l’immeuble, où elles produisaient à bas coûts les vêtements que l’on retrouve en rayons en Europe et dans le monde. Les entreprises étrangères clientes des ateliers du Rana Plaza ont-elles une part de responsabilité dans le drame ?

Des sociétés qui assurent pratiquer des audits

Les cinq ateliers de confection étaient notamment liés à la marque britannique Primark et à l’espagnol Mango, qui ont reconnu ces relations, même si ce dernier précise n'avoir commandé que des échantillons. Selon différentes sources, des vêtements étiquetés Benetton et Tex, la marque de Carrefour, auraient été retrouvés parmi les décombres.

Interrogé, le groupe italien a démenti toute production à Savar, la ville où s’est produit l’accident. Même défense chez Carrefour, interrogé par francetv info : "Aucune entreprise de cet immeuble ne fait partie de nos fournisseurs, avant de travailler avec une entreprise, nous faisons passer des audits sociaux et de sécurité."

Une traçabilité faible, les structures jamais expertisées

Des audits, il en est beaucoup question quand on aborde la question de la production textile au Bangladesh. Tant les entreprises concernées que de nombreuses organisations non gouvernementales se targuent de faire respecter les règles de l’Organisation internationale du travail (OIT) concernant les droits des travailleurs ou de faire signer leur "charte de bonne conduite". Ainsi, l’ONG européenne BSCI (Business social compliance initiative) réunit un millier d’entreprises pour leur proposer des "audits sociaux" de leurs partenaires et, si des points sont défaillants, une formation pour régler ces problèmes.

Mais la multiplication d’organes de ce type ne satisfait pas les associations de défense des ouvriers du textile. Au contraire, souligne Dorothée Kellou, chargée de mission à l’ONG Peuples solidaires-Collectif Ethique sur l’étiquette, “il faudrait un seul organisme indépendant et contraignant dont les rapports seraient publics" pour éviter de nouveaux accidents.

Et de rappeler que la BSCI a certifié deux des cinq ateliers de l’immeuble Rana Plaza sans signaler de problèmes. Car, précise-t-on à l’ONG européenne, "on s'intéresse aux chaînes de production et aux conditions de travail des employés, pas aux structures". A sa suite, tous les groupes laissent entendre que leur audit n’aurait pas décelé les défauts de structure d’un bâtiment.

L'hypothèse de la sous-traitance

Pour expliquer l’éventuelle présence d'étiquettes Tex sur les lieux, des associations évoquent des sous-traitances illégales, monnaie courante dans le domaine. Ce que réfute catégoriquement Carrefour : "Nous interdisons à nos fournisseurs de sous-traiter notre production sans déclaration préalable et sans avoir effectué les mêmes audits." Pourtant, le collectif Ethique sur l'étiquette dénonce cette pratique, "dopée par la forte demande" à l'exportation, qui enfreint souvent la réglementation sur les conditions de travail.

Un contrôle insuffisant de l'Etat

 
La question de la responsabilité du gouvernement bangladais mérite d'être soulevée, car c'est lui qui doit faire respecter les règles en matière de droit du travail comme de construction. Et si l'OIT vérifie que les pays adhèrent à ses chartes, elle ne surveille pas leur mise en application. Or c'est le non-respect des règles de sécurité qui a déclenché cet accident et les nombreux autres qui ont précédé. La faute, selon Jérémie Codron, spécialiste du pays interrogé par RFI, "à un secteur privé totalement dérégulé où l'Etat n'exerce aucun contrôle".
 
Le Bangladesh a fait du textile la figure de proue de son économie. Deuxième exportateur mondial (derrière la Chine), il compte aujourd'hui 4 500 usines et emploie quatre millions de personnes dans cette branche, essentiellement des femmes. Et pour le collectif Ethique sur l'étiquette, si les grands groupes internationaux ne produisent pas à proprement parler leurs tee-shirts dans l'illégalité, ils participent du système des "ateliers de la misère" bangladais. Car, soutient le collectif, l'Etat ne prendra pas de décision forte pour faire évoluer les conditions de travail dans cette "manufacture du monde", à moins d'un changement du mode de consommation des Occidentaux.

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