Présidentielle au Brésil : "C'est une goutte d'eau dans l'océan", se lamentent celles et ceux qui luttent contre la déforestation en reboisant
La forêt atlantique, qui a perdu plus de 80% de sa végétation originale, est devenue une "zone critique" de biodiversité au Brésil, toujours plus menacée par l'activité humaine. Un écosystème fragile, dont la protection a été remise en cause sous Jair Bolsonaro.
Ils veillent à l'entrée de l'un des plus petits territoires indigènes protégés au Brésil, au cœur de la plus grande métropole du pays. Ici, seul le bruit incessant des camions rappelle l'immensité de São Paulo. En cette fin septembre, trois hommes prennent un café dans une habitation de fortune faite de terre et de béton. La ville se rapproche peu à peu, de cet espace délimité par les autorités pour les indigènes. Comme ces cinq tours qui devraient sortir de terre de l'autre côté de la route. "Nous protégeons cette partie du territoire afin de ne pas être envahis", défend le leader indigène Marcio Vera Mirim.
"Nous essayons de protéger ce vestige de la forêt atlantique. C'est le seul, ici, à São Paulo."
Marcio Vera Mirim, leader d'une communauté guaranieà franceinfo
Leur territoire, "très menacé", illustre ces pressions immobilières, agricoles et humaines qui s'exercent sur la forêt atlantique, l'écosystème le plus dévasté du Brésil. Cette poche de résistance indigène incarne aussi le combat d'habitants pour la protection de l'environnement, à l'approche du premier tour de l'élection présidentielle, dimanche 2 octobre. Et en quatre ans de pouvoir du président d'extrême droite Jair Bolsonaro, la déforestation a atteint des records. Elle a récemment progressé de 66% en un an* au sein de la forêt atlantique, réduite à 12,4% de sa surface originale selon l'organisation SOS Mata Atlantica*.
Une forêt et une population intimement liées
Favori des sondages face à Jair Bolsonaro, l'ex-président Lula a promis l'émergence "d'une économie verte, basée sur la conservation, la restauration et l'usage durable de la biodiversité". Le défi est immense et une poignée d'hommes et d'associations tente de le relever aujourd'hui.
Sous une pluie fine, Marcio Vera Mirim montre un arbuste natif de la forêt. Ses feuilles servent aux baptêmes des enfants. Son fils est né dans ce village rassemblant dix familles guaranies, un peuple indigène du continent sud-américain. En 38 ans, dont huit sur ces terres, le leader a déjà vu des abeilles originaires de la forêt disparaître et les arbres être remplacés par des cultures de café. Il évoque aussi cette rivière où les adultes pêchaient et les enfants se baignaient, aujourd'hui trop polluée.
"Beaucoup de choses que nous avions n'existent plus."
Marcio Vera Mirim, leader d'une communauté guaranieà franceinfo
Défendre ce territoire et la forêt atlantique est devenu son combat, car "mon peuple est originaire de cette forêt". Le miel des abeilles natives de cet écosystème est employé pour les baptêmes, tout comme certaines racines et écorces des arbres pour des soins traditionnels. Les indigènes recueillent ce qui pousse, mais "dans le respect des arbres", obéissant aux traditions de leurs aïeuls.
"C'est notre mode de vie de protéger la forêt. On protège la forêt comme on protège notre vie."
Marcio Vera Mirim, leader d'une communauté guaranieà franceinfo
L'entrée dans ce territoire indigène, sur une pente glissante à quelques mètres de la route, suffit à montrer les efforts du clan pour préserver son environnement. Une étendue de 92 ruches se profile d'un côté, symbole des huit espèces d'abeilles que la communauté tente de réimplanter. L'indigène pointe ensuite quelques-uns des deux mille végétaux remis en terre en cinq ans. "Nous devons replanter grâce à nos propres efforts. Si nous ne le faisons pas, la ville va avancer." Elle avance encore plus, à ses yeux, depuis que Jair Bolsonaro est à la tête du pays. Lequel avait promis qu'il ne céderait "pas un centimètre de plus" aux indigènes.
Marcio Vera Mirim confie sa "tristesse" face à son environnement qui "disparaît peu à peu". Il craint un avenir sombre pour les enfants de la communauté, voyant "la coupe d'arbres et toujours plus d'immeubles" autour d'eux. "Nous sommes la forêt atlantique. Si la forêt disparaît complètement, alors nous disparaîtrons."
Des graines d'espoir
A deux heures de là, au nord de São Paulo, la route menant vers Socorro laisse apparaître d'imposantes collines de pâturages, marques d'une déforestation passée. Les mêmes abris d'abeilles longent l'entrée du terrain de l'association Copaiba, où une poignée de femmes débutent leur journée de travail. Avant 8 heures, Madalena Oliveira monte en pick-up avec sa collègue Beatriz vers la forêt. Tous les jours ou presque, de septembre à mars, elles y collectent des semences natives pour les replanter ensuite dans la forêt atlantique : 641 hectares de végétation ont ainsi repris forme autour de Socorro. Soit un peu plus de la moitié du bois de Vincennes, dans un pays de quinze fois la taille de la France.
Sûre de son geste, Madalena Oliveira s'amuse à manipuler un sécateur qui peut atteindre 12 m de hauteur pour cueillir ces graines, "de toute beauté".
La Brésilienne a tout appris de son père agriculteur. Ce propriétaire terrien plantait déjà, et sa fille, prolongeant la tradition, a reboisé 48 hectares de forêt en quinze ans.
"J'apporte ma petite pierre à l'édifice."
Madalena Oliveira, pépiniériste pour l'association Copaibaà franceinfo
Autour, de nombreux propriétaires terriens "s'en fichent et coupent", tacle la pépiniériste. "Ici, la déforestation a reculé mais il y a pas mal d'incendies pour 'nettoyer' les terrains." Madalena Oliveira, le sourire facile, montre les semelles de ses chaussures, brûlées en foulant un terrain incendié près de Copaiba. "La dégradation [de la forêt atlantique] reste très importante", poursuit Flavia Balderi, la cofondatrice de l'association. A Socorro, la forêt est plus préservée qu'ailleurs, "mais elle reçoit constamment la visite de bétail qui piétine la végétation naturelle".
A plus grande échelle, l'ère Bolsonaro a enclenché "un retour en arrière" environnemental, "avec la flexibilisation de la législation" qui "stimule la dégradation" de la forêt, avance Flávia Balderi. "Cela ne veut pas dire que les forêts prospéraient au Brésil avant l'arrivée de Bolsonaro. Bien au contraire." Mais son administration "accélère la perte de forêts primaires anciennes (...) à une vitesse inattendue", estime le think-tank Climate Focus*.
De retour à Copaiba, Madalena Oliveira et sa collègue déposent 10 kg de graines à l'entrée de leurs pépinières. Cinq cent mille jeunes plants de 127 espèces natives grandissent ici chaque année pour ensuite être plantés. Madalena Oliveira, petite-fille d'un homme qui déforestait, restaure ce qu'il a détruit et place son espoir dans les générations qui viennent. "Les mentalités changent", constate-t-elle. Mais des mesures "plus larges" s'imposent face à l'infinité du défi. Selon Flavia Balderi, 40 000 hectares de zones de préservation permanente, où la forêt devrait être protégée, sont toujours utilisés à d'autres fins.
Reboiser pour mieux cultiver
Un peu plus loin, deux autres membres de Copaiba, Erica et Andressa, arpentent les routes pentues de la région, quelques plantes à l'arrière du pick-up, en direction du terrain de Bernadette Mosken. La propriétaire retraitée, ancienne citadine de São Paulo, les amène vers son terrain partiellement reboisé avec ses six chiens. "Beaucoup de plants ne prennent pas du fait des pierres", explique-t-elle. En arrière-plan, la colline est comme scindée entre pâturage et restauration forestière. Un corridor écologique y prend lentement forme.
Ce paysage est devenu "la raison" de vivre de Bernadette Mosken, qui y consacre une part de ses revenus et ses semaines, "du lundi au lundi". Restaurer prend tout son sens en cette "période très difficile" pour l'environnement brésilien, qu'elle impute sans détour au gouvernement. "Tous les biomes sont concernés. C'est déchirant."
"Ce que je fais, c'est une goutte d'eau dans l'océan. Mais il n'y a rien de plus important que l'environnement. Sans forêt, il n'y a pas d'eau, et donc il n'y a pas de vie."
Bernadette Mosken, propriétaire terrienneà franceinfo
Un peu plus au nord, à l'extrême sud du Minas Gerais, sept propriétaires terriens, tous voisins, appliquent ces bonnes pratiques. Ils travaillent depuis un an avec Copaiba à la restauration d'une zone forestière, replantant sept mille plants sur leurs terres. "Ça ne sert à rien si j'agis seul et le voisin ne fait rien !" pointe Valmor Oliveira Dos Santos Filhos, l'un d'entre eux. Le caféiculteur, bavard et rieur, s'est plongé dans l'agroforesterie il y a dix ans, voyant pousser un meilleur café autour d'arbres qu'il n'avait pas encore coupés. La végétation ambiante, décrit l'ancien métallo, enrichit les sols, maintient l'humidité et protège les plants de café du gel, parmi d'autres bienfaits. "Regardez les plantes. Laquelle est la plus heureuse selon vous ?" interroge-t-il.
Les pieds dans une "Mata Atlantica menacée", Valmor sait bien que concilier culture et forêt est la clé. Le cultivateur y voit aussi une source nouvelle de revenus, entre un café de meilleure qualité, des fruits issus des arbres plantés et le miel des abeilles revenues sur ses terres. "Je pense que la majorité de la culture de café peut être faite en agroforesterie", assure-t-il. Avant de convenir que "la majorité" de ceux qui vivent de cette culture "nous traite de fous".
Convaincre les producteurs ruraux de reboiser est au cœur du projet Planter de l'eau, mené par Alexandre Uezu à l'Institut de recherche écologique (IPE). Dans la région, la forêt restante est en grande partie étalée sur des terres privées. Il faut ainsi travailler avec leurs propriétaires, et leur montrer qu'une nouvelle manière de faire, entre reforestation et meilleure gestion des pâturages, "aide à avoir un gain économique". L'IPE a ainsi formé 300 producteurs, dont 10% se sont lancés. "Nous constatons plusieurs avancées, mais pas dans la quantité et l'ampleur que nous souhaiterions", convient Alexandre Uezu. Rappelant un fait : "Il ne faudra que quelques secondes pour détruire un hectare en Amazonie, mais des années pour restaurer un hectare ici."
* Les liens signalés par un astérisque renvoient vers des pages en portugais ou en anglais.
Ce reportage a été réalisé avec l'aide de Morgann Jezequel, journaliste au Brésil, pour la préparation et la traduction.
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