Brittney Griner contre Viktor Bout : pourquoi Joe Biden est critiqué après l'échange de prisonniers entre les Etats-Unis et la Russie
Joe Biden aurait-il fait une "mauvaise affaire" ? Le président américain a obtenu le retour sur son sol, vendredi 9 décembre, de la star américaine du basket Brittney Griner, emprisonnée en Russie pour possession de drogue, en échange de la libération du célèbre trafiquant d'armes russe de haut vol Viktor Bout, détenu aux Etats-Unis. Mais ce marché passé avec la Russie en pleine guerre en Ukraine suscite la polémique à Washington. Voici pourquoi.
Parce que Viktor Bout est vu comme un "marchand de mort"
La libération de Viktor Bout a suscité l'émoi. Surnommé "le marchand de mort", il est considéré par la justice américaine comme l'un des plus dangereux trafiquants d'armes du monde. Ses avions ont notamment approvisionné en armes les talibans afghans, tout comme les milices de pays africains en proie à des guerres civiles.
Après avoir échappé aux polices internationales pendant des années, il avait été interpellé en 2008 par les Etats-Unis, qui lui avaient tendu un piège en Thaïlande, et condamné en 2011 à 25 ans de prison. Il en a finalement purgé environ la moitié.
"Je pense honnêtement que Viktor Bout a passé un temps suffisant en prison pour les crimes qu'il a commis", a déclaré à l'AFP la juge Shira Scheindlin, qui avait prononcé sa condamnation. "Il n'était pas lui-même un terroriste. Il était un marchand d'armes. Il y a des marchands d'armes partout, y compris aux Etats-Unis et en France", a ajouté la magistrate américaine.
Parce que l'ancien militaire américain Paul Whelan reste détenu en Russie
Brittney Griner est désormais libre, mais la libération de son compatriote Paul Whelan n'était pas comprise dans l'accord américano-russe. Cet ancien marine américain de 52 ans a été arrêté en décembre 2018 en Russie. En 2020, Moscou l'a condamné à 16 ans de prison pour "espionnage", une condamnation qu'il avait dénoncée comme fabriquée de toutes pièces. Depuis son lieu d'incarcération, Paul Whelan a confié être "fortement déçu" à la chaîne américaine CNN* au cours d'un appel téléphonique jeudi. "Je ne comprends pas pourquoi je suis toujours là", a-t-il ajouté.
Une déception partagée par Cory Mills, vétéran et politicien républicain, sur Twitter. "Biden a clairement montré que sa priorité était les célébrités par rapport aux vétérans. Je suppose que la carrière de basket-ball de Brittany (sic) dans la WNBA était plus importante que le service de Paul Whelan à notre nation en tant que marine", a-t-il dénoncé jeudi.
Assaillie de questions lors de son briefing quotidien, jeudi, la porte-parole de la Maison Blanche, Karine Jean-Pierre, a reconnu que l'échange de prisonniers pouvait "être ressenti dans l'immédiat comme injuste ou arbitraire". "Le président estimait avoir une obligation morale. (...) C'était soit Brittney, soit personne. Et nous ne nous excuserons pas pour cela", a-t-elle expliqué.
Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a, lui, souligné que la Russie voulait traiter les affaires Griner et Whelan de manière différente, en raison des "fausses accusations d'espionnage" que Moscou fait peser sur Paul Whelan. Le président américain a promis que "même si nous avons échoué à obtenir la libération de Paul, nous n'abandonnerons jamais".
Mais pour Will Pomeranz, directeur du think tank Kennan Institute au Wilson Center, cité par l'AFP, le cas de l'ancien militaire américain sera désormais difficile à régler. Sa "meilleure chance" de quitter la Russie "était de faire partie de l'échange avec Brittney Griner", dont le cas a déclenché une forte mobilisation, en particulier dans le monde du basket féminin.
Parce que l'échange de prisonniers est jugé déséquilibré
Les détracteurs de Joe Biden, à commencer par ses adversaires républicains, dénoncent un échange inéquitable. Comparé à Viktor Bout, Brittney Griner avait en effet été arrêtée en février à Moscou avec une vapoteuse et du liquide contenant du cannabis, interdit en Russie, et condamnée en août à neuf ans d'emprisonnement pour ce motif. L'ancien président Donald Trump s'est empressé de tacler l'accord, sur son réseau Truth Social, le qualifiant de "marché à sens unique", "stupide" et "embarrassant". CNN* souligne pour sa part que "Brittney Griner et Viktor Bout sont accusés de crimes ridiculement différents".
Les reproches sont aussi venus du camp démocrate. Le président de la commission sénatoriale des relations étrangères, Bob Menendez, a jugé cette transaction "profondément troublante", rapporte Bloomberg*. Il a averti qu'elle pourrait inciter d'autres régimes à prendre des Américains en otage et à les utiliser comme monnaie d'échange. En réponse à toutes ces critiques, la porte-parole de la Maison Blanche a affirmé que cette décision n'avait pas été prise "à la légère" et que le président américain "ne s'excuserait pas".
L'analyste Will Pomeranz signale que Vladimir Poutine était "en position de force" face à un Joe Biden qui s'est impliqué de manière très personnelle et très médiatique pour la libération de Brittney Griner. D'autres échanges de prisonniers entre Moscou et Washington sont "possibles", a fait savoir vendredi le maître du Kremlin, lors d'une conférence de presse en marge d'un sommet régional à Bichkek, la capitale du Kirghizstan.
* Les liens signalés par un astérisque renvoient vers des articles en anglais.
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