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Canada : l'inquiétant et tragique destin des femmes amérindiennes

Depuis les années 80, pas moins de 1.181 femmes amérindiennes sont mortes assassinées ou se sont purement et simplement volatilisées. Comment autant de femmes peuvent-elles disparaître sans entraîner des recherches actives ? Pauvres et isolées elles sont des proies faciles tant dans leur propre communauté qu'à l'extérieur.
Article rédigé par Frédérique Harrus
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Région de la Gaspésie Quebec (Canada). Eglise et cimetière dans la réserve des indiens Mic Mac (HUGHES HERVÉ / HEMIS.FR)

1.181 femmes assassinées ou disparues en trente ans, ce sont les chiffres officiels probablement inférieurs à la réalité selon les associations. Cela fait une moyenne de 39 cas par mois, soit un peu plus de trois cas par jour, tous les jours pendant 30 ans ! Des femmes jeunes ou vieilles, mariées ou célibataires, mères de famille ou pas, se sont volatilisées comme par magie et plus personne n'a jamais entendu parler d'elles. Parfois quelques membres de la famille toquent à toutes les portes, sans émouvoir outre mesure qui que ce soit. 

D'origine amérindienne, ces femmes, pour leur malheur, ne retiennent pas l'attention. De plus, comme tous les Amérindiens depuis 1820, elles sont passées par la case «pensionnats autochtones» et n'en sont pas sorties indemnes.

La volonté de formatage des pensionnats autochtones
L'idée qui a prévalu à la création de ces établissements était la «civilisation», l'évangélisation et l'assimilation de cette population native. Dans un déni absolu de l'existence d'une culture propre, l'intention était de leur faire embrasser définitivement les fondamentaux culturels anglo-saxons et cultuels chrétiens.

Les conditions de vie y étaient souvent extrêmement dures, sans parler des abus sexuels dont beaucoup de pensionnaires étaient victimes.

L'Etat en allouant trop peu d'argent au fonctionnement de ces institutions les plaçait de fait en difficulté. Difficulté à nourrir suffisamment et correctement les enfants, à les loger décemment. La solitude, l’absence de contact avec les parents et la famille, la frustration liée à l'interdiction de parler sa langue maternelle, la piètre qualité de l’enseignement, la faim, l’institutionnalisation, le travail excessif, la route et les règles strictes, la brutalité et l’absence de personnes de confiance étaient la règle dans la majorité de ces pensionnats. L'ensemble de ces conditions de vie a provoqué des dégâts physiques, moraux et psychiques considérables sur des générations entières d'Amérindiens. Au sein de cette population décimée, les filles et les femmes étaient en première ligne des populations à risques et par conséquent victimes.

Le dernier pensionnat autochtone a fermé ses portes en 1996. 19 ans après, les ravages sont encore là et les victimes nombreuses.

Des autorités jugées apathiques
Une étude a suivi 259 de ces femmes pendant 7 ans. Les chercheurs ont mis en évidence qu'une ancienne victime d'abus sexuel dans l'enfance présente 10 fois plus de risques d'être agressée sexuellement à l'âge adulte. Elle démontre que les enfants sortis des pensionnats autochtones sont susceptibles de se faire violer 2,35 fois plus que les autres. 

Au Canada, les Amérindiennes représentent seulement 4% de la population féminine, mais 11% des disparues et 16% des femmes tuées. Les hommes sont tout aussi affectés que les femmes, on constate ainsi qu'ils sont surreprésentés dans le système judiciaire canadien. Et qu'ils sont les principaux auteurs des violences faites contre les femmes de leur communauté. Le commandant de la police montée canadienne, Bob Paulson, affirme que 70% des meurtres de femmes indiennes sont perpétrés par des Indiens eux-mêmes. 

Campagne de mobilisation des femmes indiennes pour alerter les autorités sur les disparitions et meurtres des Amérindiennes

Un rapport de Human Rights Watch pointe les pratiques de certains policiers qui chargent la victime, justifiant les agressions par leur mode de vie  «Les policiers montrent du doigt le style de vie des victimes, ce qu’elles faisaient et où elles étaient au moment de leur mort. Ils les rendent responsables », s’insurge Melina Laboucan-Massimo, qui se demande si le dossier de sa sœur n’a pas été relégué à la fin de la liste des cas à résoudre.

Face à l'ampleur du phénomène et au peu de d'implication des autorités, la communauté se mobilise et essaye d'agir. Des sites répertorient tous les cas, qu'ils soient de disparition ou de meurtre. Ils associent une photo avec quelques éléments biographiques permettant de donner chair à ces femmes n'intéressant personne qu'elles soient mortes ou vives.  Les associations penchées sur les cas, ont procédé à l'interview des familles et amis des femmes disparues ou tuées. Une sorte de profile type en est ressorti. Beaucoup ont des histoires qui sont des successions de maltraitances depuis l'enfance et souvent quand elles disparaissent, ou sont tuées, elles étaient déjà des survivantes d'agressions antérieures.

Entre les différentes associations de femmes autochtones ou de victimes, les associations de policiers canadiens, les échos dans les médias, petit à petit la mobilisation se généralise pour tenter de protéger ces rescapées, qui ne sont en réalité que des victimes potentielles.

Le tout nouveau premier ministre canadien Justin Trudeau, conscient du problème, vient de nommer une femme, Jody Wilson-Raybould, issue des Premières Nations, autre façon de nommer la population amérindienne, Ministre de la Justice et Procureur Général du Canada. Dans le même temps, il demande une commission d'enquête à l'échelle de toutes les provinces.  Le début de l'espoir...

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