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Évacuation en cas de naufrage, mythe et réalité

Après la fuite peu glorieuse du capitaine du «Sewol», le ferry sud-coréen, décodage des modes opératoires en cas de naufrage. Mises au point sur la pratique pour quitter le navire. Attention, désillusion en vue !
Article rédigé par Frédérique Harrus
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Le «Costa Concordia» échoué et couché. (FILIPPO MONTEFORTE / AFP)

On a tous en tête les images amateur de ces enfants dans le ferry sud-coréen. Ils se filment, plaisantent (à moitié), debout sur les murs du navire qui accuse une forte gite. En fond sonore, une voix leur enjoint de ne pas bouger de leur place. Sauf que dans le même temps, sur une autre vidéo (ci-dessous), on peut observer le capitaine évacuant, en caleçon, le navire. Il s'en va, alors qu'environ 300 enfants sont encore à l'intérieur du bâtiment, obéissant aux consignes données, et y périront.


Dans l'inconscient collectif, en cas de catastrophe maritime, deux idées prévalent :
-les femmes et les enfants d'abord !
-le capitaine est le dernier à quitter le navire.

Mais la réalité semble très différente et les récents événements des naufrages du Costa Concordia (13 janvier 2012) et du Sewol (16 avril 2014) jettent le trouble sur nos idées reçues.

Les femmes et les enfants d'abord

Cette notion du sauvetage en priorité des femmes et des enfants, n'est officiellement écrite nulle part. Ce sont deux célèbres naufrages qui ont initié ces règles chevaleresques. Celui du Birkenhead en 1852 et le plus célèbre d'entre tous, le Titanic en 1912. Ce sont les capitaines respectifs de ces navires qui ont imposé qu'on privilégie le sauvetage des plus faibles d'abord. L'inclination naturelle de l'homme n'est pas de porter secours à son prochain en cas de danger imminent, mais de sauver sa peau avant tout.

Surtout quand il y a moins de places dans les chaloupes que de passagers. Instinct de survie contre galanterie.

Ayant peu de doute sur cela, le capitaine du Titanic a appuyé son ordre «women and children first» (WCF) d'une annonce : ceux qui ne respecteraient pas ça seraient immédiatement abattus. Argument particulièrement convaincant...

Deux chercheurs suédois Mikael Elinder et Oscar Erixson se sont penchés sur les comportements humains en cas de naufrage. Ils ont testé et vérifié différentes hypothèses relatives à nos idées reçues en analysant quelques 18 catastrophes maritimes, sur trois siècles, impliquant 15.000 personnes de 30 nationalités.

Les résultats font apparaître plusieurs grandes lignes.
-Quand l'ordre «les femmes et les enfans d'abord» est donné, le taux de survie des femmes devient sensiblement égal à celui des hommes. Dans le cas contraire (pas d'ordre WCF), le taux de survie des femmes est très inférieur à celui des hommes.
-Le taux de survie des enfants est quant à lui de 15%...
-Il est notable que l'autorité du capitaine et sa capacité à imposer des règles lors de l'évacuation joue énormément sur le taux de survie des femmes. Dans les 18 naufrages étudiés par les deux chercheurs suédois, seulement cinq capitaines avaient donné l'ordre WCF.

Le capitaine quitte le navire en dernier
Là, pour le compte, ce n'est pas une tradition. C'est même carrément un article de loi du code des transports. 

Article L5263-3 
«Est puni de six mois d'emprisonnement le fait, pour le capitaine, d'abandonner le navire sans l'avis des officiers et maîtres d'équipage. 
Est puni de deux ans d'emprisonnement le fait, pour tout capitaine, avant d'abandonner son navire, de négliger d'organiser le sauvetage de l'équipage et des passagers et de sauver les papiers de bord, les dépêches postales et les marchandises les plus précieuses de la cargaison. La même peine est applicable au capitaine qui, forcé d'abandonner son navire, ne reste pas à bord le dernier. 
Les peines prévues par le présent article sont portées au double si l'infraction est commise par une personne exerçant le commandement dans des conditions irrégulières au sens de l'article L. 5523-2


Nos chercheurs d'Upsala ont pourtant montré que le meilleur taux de survie au naufrage d'un bateau était détenu par... le capitaine et son équipage. Ils bénéficient d'une information du danger plus précoce et d'une excellente connaissance du terrain. Ils mettent à profit ces avantages pour se sauver, plutôt que de veiller à une évacuation en bon ordre des passagers.

Réapparaît alors l'accident du Costa Concordia en 2012. Le navire frôle la côte au plus près pour honorer une tradition, «la révérence». Le bateau talonne un rocher, s'échoue et se couche. Même si des membres de l'équipage s'occupent avec diligence de l'évacuation des passagers, le monde retiendra surtout le «capitaine couard», dont la première urgence fut de quitter le navire !


Une autre étude, australienne celle-là, a démontré que la survie au naufrage du Titanic avait été fonction des classes sociales.

Le Titanic est un «modèle de naufrage», avec 70% des femmes et des enfants survivants contre 20% des hommes. C'est grâce au capitaine Edward John Smith, qui a géré ce drame d'une main de fer. D'ailleurs, fidèle à sa parole, il a péri dans la catastrophe. Pour tout dire, il est une exception, quasi unique en son genre.

Dans la réalité, différentes variables influent sur les chances des plus faibles de s'en sortir... Certaines plus surprenantes que d'autres. Comme par exemple, le taux de survie des femmes a augmenté après la première guerre mondiale. En effet, en 1918, les femmes restées longtemps seules avaient pris des responsabilités, de l'assurance et acquis une indépendance, qu'on a retrouvées dans leur capacité à se sortir de situations périlleuses ou de danger imminent. Mais demeurent les réalités physiologiques comme des différences morphologiques basiques (un homme est plus fort qu'une femme), des différences hormonales (les hommes et les femmes ne sont pas égaux face au stress (adrénaline) et ne réagissent pas pareil), qui désavantagent franchement les femmes. 

Bref, sans règle intangible, ni capitaine digne de ce nom pour les ordonner, les faibles (femmes, enfants, personnes âgées) ont très peu de chances de survivre à un naufrage. 






 

 

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