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Ces riches petits Etats prêts à tout pour briller aux Jeux olympiques

Pour briller aux JO, plusieurs pays ont eu recours à une politique de recrutement et de naturalisation d’athlètes étrangers. Notamment de petits Etats du Golfe riches en énergie fossile. Argent contre gloire, c’est leur pari sportif.
Article rédigé par Marc Taubert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Sur cette photo, l'équipe de handball qatarie aux Jeux olympiques de Rio, le 9 août 2016. Sur les 16 joueurs qui la composent, 11 ont été recrutés à l'étranger, et naturalisés très rapidement. (REUTERS / Marko Djurica)

39 athlètes pour une population de 250 000 nationaux, c’est le nombre de sportifs que compte le Qatar aux Jeux olympiques de Rio. Soit presque autant que la délégation chilienne, pays de plus de 16 millions d’habitants.
 
Cette prouesse, ce petit Etat du Golfe le doit à ses richesses que lui procurent ses énergies fossiles. Car sur ces 39 sportifs, au moins 23 sont nés hors du pays et ont été recrutés pour leur performances. Et leurs chances de médailles aux Jeux.
 
Acheter une équipe, c’est possible
Tout est permis pour pouvoir gagner une breloque aux Jeux olympiques, y compris l’achat d’une équipe entière. Le Qatar l’a, par exemple, fait pour celle de handball – qui ne compte que 619 licenciés dans le pays ! Sur les 16 joueurs qui la composent, 11 ont été recrutés dans d’autres pays. Le Français, Bertrand Roiné, qui avait remporté le mondial de handball en 2011 avec l’équipe tricolore, en fait partie.
 
Si ce dernier dément avoir reçu de l’argent contre sa venue dans l’équipe nationale, ce n’est pas le cas du joueur danois, Nikolaj Markussen, qui dit avoir été approché avec «un chèque à sept chiffres». De quoi remettre en cause son patriotisme …
 
Mais il n’est pas si simple d’obtenir le droit de jouer dans l’équipe d’une autre nation. Les candidats doivent remplir deux conditions essentielles : avoir la nationalité du pays dans lequel ils jouent, et ne pas avoir joué dans l’équipe nationale d’un autre pays durant trois ans. Ce qui veut dire que les Etats ayant recours à ces procédés doivent les planifier longtemps avant les compétitions.
 
Des procédés que critique, sur RMCsportClaude Onesta, le sélectionneur des handballeurs français: «Si on tient à ce que les compétitions internationales demeurent, il faut peut-être que la notion de nationalité demeure. Sinon, c'est une espèce de grand bazar où tout le monde fait un peu ce qu'il veut».

Sur cette photo, des participants au 26ème marathon de Pyongyang, en Corée du Nord, en 2015, organisé par l'Association internationale des fédérations d'athlétisme. (KCNA / REUTERS)

Une pratique qui se répand
Le Qatar n’est pas le seul Etat à profiter de la mondialisation du sport. La Bahreïn recrute en Jamaïque, la Turquie en Ethiopie ou au Kenya, et l’Azerbaïdjan en Espagne ou en Ouzbékistan.
 
Ces pays ont en commun d’avoir beaucoup d’argent à dépenser. Mais la philanthropie n’est pas leur but principal. Outre la Turquie, ce sont souvent de petits Etats pétroliers ou gaziers qui investissent massivement dans le sport.
 
Pour Pascal Gillon, auteur de L’Atlas du sport mondial, les Etats du Golfe cherchent avant tout à améliorer une mauvaise image : «Ils ne sont perçus que comme des pétromonarchies riches que l’on jalouse. Au pire, l’absence de véritable démocratie, la présence d’un islam rigoriste et leur comportement vis-à-vis de leur population immigrée leur sont reprochés». Il relève aussi que cela permet de montrer une certaine occidentalisation de ces Etats.
 
Et de citer le directeur de la communication du Qatar : «Le sport est le moyen le plus rapide de délivrer un message et d’assurer la promotion d’un pays. Quand on vous dit “Proche-Orient”, vous pensez tout de suite “terroristes”, pas vrai ? Eh bien, nos dirigeants veulent que le Qatar ait bonne réputation».
 
Sur cette photo, des danseurs lors de la cérémonie de cloture des 1er Jeux européens organisés à Bakou, en Azerbaïdjan. 6 000 athlètes venus de 49 pays s'y sont rendus. (REUTERS / Stoyan Nenov)

L’Azerbaïdjan et les Jeux européens
Ces pays ne se contentent pas de recruter des sportifs de haut niveau. Ils entendent de plus en plus accueillir des compétitions internationales.
 
La Corée du Nord veut ainsi organiser les championnats du monde juniors de judo en 2017, et a déjà obtenu les championnats du monde juniors d’haltérophilie en 2018, première compétition internationale dans le pays paria depuis les Mondiaux de tennis de table en 1979.
 
L’Azerbaïdjan a déjà obtenu la première édition des premiers Jeux européens en juin 2015. Une belle vitrine pour ce pays niché dans le Caucase du sud. 6 000 athlètes issus de 49 pays s’étaient alors pressés dans le petit Etat riche en gaz.
 
Bien d’autres pays adoptent cette stratégie, comme le Qatar qui a obtenu la Coupe du monde de football en 2022 et souhaite candidater à nouveau pour les JO.
 
Pascal Gillon relève que pour ces pays, cela «délivre un message de modernité qui s’exprime notamment au travers des réalisations architecturales. De plus, cela focalise pendant une courte durée l’attention des médias qui donnent (du pays concerné, ndlr) une image souvent très positive. C’est l’occasion de développer une promotion touristique».
 
La France en joue aussi
Les fédérations françaises ont aussi parfois recours à ce stratagème. Le journaliste Cyprien Cini de RTL, le rappelle : «En 2003, Eunice Barber, d'origine sierra-léonaise, a été championne du monde de saut en longueur sous les couleurs françaises. Elle a souvent sauvé l'honneur de l'athlétisme français». Et plus récemment, «en badminton, comme on n'est pas super bien outillé, la France a misé sur une athlète venue de Chine, pour briller dans cette compétition en 2010».
 
Un phénomène ancien. Mais avant, relève Le Nouvel Obs, «les grands pays européens (dominaient) ce "marché". Le phénomène n'était pas aussi visible qu'aujourd'hui, notamment parce que les puissances européennes n’avaient pas besoin de naturaliser les athlètes qu’elles puisaient directement dans leurs empires coloniaux».

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