Manifestations en Chine : comment, sur Twitter, un flux de spam érotique noie les informations sur le mouvement de contestation du "zéro Covid"
Un raz de marée de "spams" érotiques pour rendre inaudible la contestation sur les réseaux sociaux. Alors que, dans toute la Chine, depuis dimanche 27 novembre, les manifestations se multiplient contre la politique du "zéro Covid" prônée par les autorités, sur Twitter des milliers de messages à caractère sexuel encombrent les fils d'information sur un mouvement qui a pris un tournant politique en appelant le président Xi Jinping à la démission.
"C'est une stratégie du gouvernement chinois, il s'agit d'inonder les réseaux de messages pornographiques pour freiner la diffusion de l'information sur les manifestations", estime Marie Holzman, sinologue, spécialiste de la Chine contemporaine. Comment fonctionne cette stratégie de désinformation et qui est à l'origine de ces publications ? Pour le déterminer, franceinfo a analysé les données du réseau social à l'oiseau bleu.
Un message de spam érotique toutes les deux secondes
"Les recherches en chinois sur Twitter, avec les noms des villes où les manifestations ont lieu, sont inondées de publicités affichant de jeunes femmes. Certainement, Elon Musk approuve cette liberté d'expression", ironise sur Twitter le professeur James Millward, enseignant en histoire de la Chine à l'université de Georgetown, à Washington.
Une recherche effectuée sur le réseau social en caractères chinois sur les villes de Pékin (北京), Shanghai (上海), Nankin (南京), Zhengzhou (郑州), Lanzhou (兰州), où ont lieu d'importants rassemblements, donne en effet comme résultats, très majoritairement, des messages accompagnés de photographies sexuellement suggestives. Une campagne de spam qui a commencé à partir du 28 novembre, date du début des manifestations, explique sur Twitter "Air-Moving Device", un analyste en réseaux sociaux chinois.
Pour mesurer l'importance de ce matraquage de messages indésirables, franceinfo a analysé le contenu de près de 3 142 tweets comportant le mot-clé "上海" ("Shanghai", en caractères chinois), publiés le 1er décembre, pendant une durée d'un peu moins de 90 minutes.
L'immense majorité de ces tweets, près de 95%, affichent des photographies érotiques, souvent accompagnées de messages proposant des services d'escort girls. Ce qui signifie que ce type de message est publié environ toutes les deux secondes sur Twitter, pour la seule ville de Shanghai. Dans notre étude, complètement noyées dans la masse, seule une petite dizaine de publications présentaient un contenu lié effectivement aux manifestations.
Baidu, l'équivalent de Google en Chine, par sa fonction de recherche d'image inversée, permet de retrouver l'origine de ces photographies à caractère sexuel. Le moteur de recherche confirme que les images proviennent de sites chinois de rencontres ou proposant des contenus érotiques.
Une armée de bots
Qui est à l'origine de ce bombardement de messages indésirables ? La plupart des profils identifiés dont émanent les publications apparaissent factices : ils n'ont aucun abonné, n'interagissent pas avec les autres utilisateurs et leur date de création est souvent très récente.
A partir de leur comportement, il est possible de déterminer que ces comptes sont vraisemblablement gérés par des 'bots', c'est-à-dire des programmes informatiques qui, 24 heures sur 24, inondent les réseaux sociaux de leurs publications. L es mêmes messages, issus de comptes différents, sont republiés à une cadence effrénée. Durant notre étude, le tweet "Regardez cette petite chérie" a par exemple été dupliqué près de 728 fois en moins de 90 minutes.
Une opération d'influence de Pékin ?
Peut-on pour autant affirmer que ces comptes sont liés au gouvernement chinois ? Les preuves formelles de l'implication des autorités de Pékin sont difficiles à établir. "Voir, d'un coup, apparaître une masse de contenus pornographiques en pleine période d'effervescence sociale" laisse cependant peu de doutes, tranche Marie Holzman.
Par le passé, les autorités chinoises ont mené d'importantes opérations de désinformation sur Twitter à l'aide de profils factices. En août 2019, durant les manifestations pro-démocratie à Hong Kong, le site de journalisme d'investigation ProPublica (en anglais) avait estimé que "plus de 10 000 faux comptes Twitter présumés avaient été impliqués dans une campagne d'influence coordonnée, en lien avec le gouvernement chinois".
Contrôler ou influencer l'information sur Twitter est, en effet, un enjeu pour le gouvernement chinois. Bien qu'officiellement interdit en Chine, le réseau est une fenêtre ouverte sur l'étranger qui permet la diffusion de contenus non autorisés. "Les Chinois sont habiles pour franchir ce qu'on appelle la 'Grande Muraille' de la censure, notamment avec les fameux VPN – des applications qui permettent de passer outre le blocage de sites internet étrangers en Chine", explique Marie Holzman. "Durant les manifestations, on a vu des policiers contrôler les téléphones pour effacer ces VPN" et empêcher les manifestants de diffuser des images des rassemblements, révèle la sinologue.
Mais le fait que, malgré tout, des images parviennent tout de même à sortir est "réjouissant, car cela montre que la répression, bien que très efficace, ne l'est pas totalement", conclut la spécialiste de la Chine.
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