Fan de basket, bon vivant, impitoyable… Qui est Kim Jong-un ?
L'imprévisible dictateur de la Corée du Nord rencontre Donald Trump à Singapour mardi. Un rendez-vous inenvisageable il y a encore quelques semaines. Mais le jeune dirigeant n'en est pas à son premier coup d'éclat.
Une bombe humaine. Imprévisible, capricieux, autoritaire, Kim Jong-un est une source d’inquiétude permanente pour la communauté internationale. En septembre dernier, le leader nord-coréen avait lancé une provocation de plus avec l’essai nucléaire d’une bombe H, entraînant une escalade des tensions entre les Etats-Unis et la Corée du Nord. Pourtant, mardi 12 juin, Donald Trump rencontre le dictateur nord-coréen à Singapour, en vue de trouver un accord sur la dénucléarisation. Une volte-face qui symbolise à elle seule le côté lunatique du dictateur, aux commandes du pays depuis la mort de son père, Kim Jong-il, en 2011.
Précisons d'emblée qu'il est compliqué, dans un pays aussi fermé et adepte de la propagande, d’avoir des informations fiables sur les agissements réels de Kim Jong-un. La plupart d’entre elles émanent des renseignements sud-coréens, quand les images officielles sont fournies seulement par les agences de presse nord-coréennes. Entre histoires de famille et goût pour l'opulence, franceinfo revient sur son parcours.
Rumeurs, propagande et fantasmes
1982 ? 1983 ? 1984 ? La propagande atteint jusqu’à la date de naissance du dirigeant nord-coréen. L'entourage du leader et les experts évoquent les deux dernières options mais le régime met en avant l'année 1982. Les années en 2 semblent être le fétiche de la filiation des Kim. La même indécision temporelle entourait la date de naissance de Kim Jong-il, le père : si officiellement il s'agissait du 16 février 1942, l'homme serait pourtant né en 1941. Dans la conception officielle nord-coréenne, l’idée est de faire écho à 1912, l’année de naissance de Kim Il-sung, le grand-père, fondateur de la Corée du Nord et "président éternel de la république".
Pour perfectionner cette symbolique, le régime s’attèle à mettre en valeur la grandeur du personnage. Ses titres d'honneur sont pléthoriques : président du Parti des travailleurs de Corée, "commandant suprême de l’Armée du peuple coréen", "Maréchal de la République", "Grand soleil du XXIe siècle"... Kim Jong-un est enfin "grand successeur de la cause révolutionnaire du Juche", l’idéologie fondée par Kim Il-sung, mêlant communisme et autosuffisance.
Selon le régime, Kim Jong-un est forcément un homme brillant et omnipotent. Dans cette optique, la dictature valorise les talents variés de Kim Jong-un. Dans les manuels scolaires, les enfants nord-coréens apprennent qu'il savait conduire à 3 ans et qu’il gagnait des courses de bateau à 9 ans. A coup de mises en scène, le leader a été vu dans plusieurs situations improbables : au sommet de la plus haute montagne du pays, à 2 744 m d’altitude, gravie en manteau de laine et souliers vernis, ou bien en train de piloter un avion en 2014.
Selon des photos de l'agence de presse nord-coréenne, il aurait beaucoup d’admiratrices, émues aux larmes autour de lui au cours des visites officielles. Lors de celles-ci, la scénographie est travaillée. Le leader, suivi par une cohorte de subalternes en uniforme, inspecte toutes sortes de choses, en partie compilées par le site Topito : des missiles, des infrastructures ou des saucisses dans un supermarché. Les photos qui immortalisent ces moments sont un vrai un générateur de mèmes, ces détournements qui deviennent viraux sur les réseaux sociaux.
Kim-Jong Un a une nouvelle coupe de cheveux. Imagine si ça devient une mode chez les présidents ? IMAGINE pic.twitter.com/lzLwOfGPXR
— Guillaume Garcia (@Guillaume_GG) February 20, 2015
Sa coupe de cheveux, justement, est matière à discussion. En 2014, une rumeur est reprise dans le monde entier : tous les hommes vivant en Corée du Nord seraient forcés d’adopter la même coiffure que Kim Jong-un. L'information n'a jamais pu être sourcée et serait un hoax, comme de nombreux fantasmes nourris par l’excentricité du personnage.
"Ami pour la vie" avec Dennis Rodman
Une information est en revanche avérée : le leader du régime opposé aux Etats-Unis est fan de basket, et notamment de NBA. Kim Jong-un a reçu 5 fois Dennis Rodman, basketteur star des années 1990, cinq fois champion de NBA avec les Chicago Bulls. Le dirigeant nord-coréen a reçu l’ancien défenseur au look excentrique pour la première fois en février 2013. En tribune présidentielle, il assiste avec lui à une rencontre entre une équipe de joueurs américains et une dream team nord-coréenne. Dennis Rodman s'attire les foudres de ses compatriotes en chantant "Bon anniversaire" au dictateur, et en le considérant comme son "ami pour la vie".
Kim est un gars incroyable. Il adore le basket et ce qui l’intéresse, c’est de construire de la confiance et une meilleure entente à travers le sport et les échanges culturels.
Dennis Rodmanau "Guardian"
Lors de ce voyage, Kim Jong-un reçoit plusieurs cadeaux de la part du basketteur : le livre de Donald Trump, The Art of the Deal, ainsi que deux maillots dédicacés, du savon et un puzzle de sirène.
L’ancien basketteur est accompagné par une équipe du magazine américain Vice, qui raconte ses péripéties lors d’une réception chez le guide suprême. L’un des journalistes présents explique avoir lancé un toast à la santé de Kim Jong-un. Initiative à laquelle le dirigeant aurait répondu : "Cul sec ! Vous devez finir votre verre !"
Les goûts de Kim Jong-un pour le basket et la culture occidentale seraient un reste de son passage en Suisse. Adolescent, il étudie en effet à Berne sous le nom de Pak Chol, présenté comme le fils du chauffeur de l'ambassade de Corée du Nord. De cette époque, il ressort une fascination pour les Chicago Bulls et la musique de Michael Jackson et Madonna, raconte Ulyces. L’un des anciens cuisiniers de la famille se rappelle d’une fois où Kim Jong-un, alors âgé de 17 ans, avait emprunté un CD de Whitney Houston au chef cuisinier. Son frère, Kim Jong-chol, est lui fan du guitariste britannique Eric Clapton, à qui il a été proposé de venir donner des concerts en Corée du Nord (Clapton n'a pas donné suite...)
Un dictateur qui adore l'emmental
De son passage à Berne, il ramène aussi un goût prononcé pour l’emmental. Le dictateur a même pour projet de produire un gruyère made in Corée du Nord. Le journal britannique The Independent révèle en 2014 que des dirigeants nord-coréens ont contacté l'Ecole nationale de l'industrie laitière, à Besançon, dans le but de former des fromagers. Refus de l’institut.
Le fromage est loin d’être le seul péché mignon de Kim Jong-un. Whisky, bœuf de Kobe, soupe de requin… On le dit aussi gros fumeur et la rumeur veut qu’il importe des burgers McDonald's depuis la Chine voisine, comme l'évoque quotidien The Telegraph. Amateur de champagne Cristal, le leader suprême ne se refuse rien dans un pays ravagé par la famine.
Amateur de mets "occidentaux", le gourmet dictateur n'en oublie pas les spécialités asiatiques. Il est notamment fan de sushis. Kenji Fujimoto, l’ancien maître sushi japonais au service de la famille Kim, a connu le chef suprême enfant. Il raconte son enthousiasme à l’évocation de la spécialité nippone. "Un jour, il m’a demandé l’air impatient : 'Quand vas-tu nous en resservir ?' Je lui ai répondu : 'Quand vous voulez ! Je peux vous en préparer dès demain, si vous le souhaitez.' Il a aussitôt riposté : 'Non, ça, c'est papa qui décide', en agitant ses deux mains comme un enfant."
Fujimoto rend de nouveau visite à Kim Jong-un en 2012. Il se remémore une soirée de beuverie intense, où le petit Kim Jong-un a bien grandi. "J’étais tellement saoul quand je suis revenu en Corée du Nord en 2012 que je ne me rappelle plus ce qu’il y avait sur la table. Quand je me suis réveillé, j’étais dans mon lit."
Depuis sa prise de pouvoir, ces excès ont valu au dirigeant une importante prise de poids… De l’aveu de Kenji Fujimoto, l’ancien maître sushi des Kim, Kim Jong-un n’a pas toujours été comme cela : dans une interview au New York Times, il décrit un adolescent "trapu et athlétique, mais pas gros". A-t-il grossi volontairement ? Une croyance populaire coréenne veut que les caractéristiques héréditaires sautent une génération : un garçon tend plus à ressembler à son grand-père qu’à son paternel. Le but pour Kim Jong-un est donc de rappeler son grand-père, fondateur du pays et perçu comme un demi-dieu par les Nord-Coréens, pour apparaître comme sa réincarnation.
Capricieux et sanguinaire
Impulsif, Kim Jong-un marque les esprits par ses caprices coûteux. Sous ses ordres, le régime a par exemple construit une station de ski dans le sud-est du pays, décrite comme "la station de ski la plus exotique de la Terre", rappelle Ulyces. La Corée du Nord n’a pourtant ni le climat, ni la clientèle pour un tel complexe.
D’autres mouvements d’humeur du leader suprême sont plus sanguinaires. Kim Jong-un a beaucoup d’exécutions à son actif. Nombreux sont ceux, y compris des membres du gouvernement, à avoir fait les frais du courroux du leader. En tout, une centaine de cadres du régime auraient été exécutés depuis 2011. En octobre 2014, 50 personnes aurait même été tuées pour avoir regardé des productions télévisées étrangères. Parmi elles, 10 cadres du parti des travailleurs. Le chef d’Etat major de l’armée, accusé de corruption et d’avoir formé une faction politique, a lui été exécuté en 2016. Le ministre de la Défense, aperçu en train de sommeiller pendant un défilé militaire, aurait été tué en 2015...au canon antiaérien.
Difficile de vérifier les conditions de certaines exécutions : les sources proviennent principalement des renseignements sud-coréens. Le Telegraph a pourtant publié des photos satellites d’un champ de tir avec des canons aériens pointés à l’horizontal. Impitoyable, Kim Jong-un l'a aussi été avec sa famille. Son oncle, Jang Song-taek, avait refusé de se lever lors de l’arrivée de Kim Jong-un à un conclave des leaders du parti. "Accusé d’être un traître de la nation pour les siècles des siècles", il est exécuté en 2013. A l'époque, une rumeur prétend qu’il aurait été dévoré par des chiens. Elle est rapidement démentie, originellement diffusée par un blogueur taïwanais satiriste.
Sa tante, Kim Kyong-hui, lui aurait déconseillé la construction d'un parc aquatique et d'une station de ski. Pour elle, il fallait avant tout redresser l’économie du pays. Disparue en 2013, elle aurait été empoisonnée en 2014, selon un ancien haut fonctionnaire du régime auprès de CNN.
Son demi-frère, Kim Jong-nam, vivait en exil en Malaisie en 2003. Critique à l'égard du régime et considéré comme un traître à la nation, il avait échappé à une tentative d’assassinat en 2012. Début 2017, il est mystérieusement tué dans l’aéroport de Kuala Lumpur. Le gouvernement sud-coréen a identifié cinq suspects nord-coréens et y voit un assassinat commandité en sous-main par Pyongyang : "Nous pensons que le gouvernement nord-coréen est responsable de cet incident", déclare à l'époque un porte-parole du ministère sud-coréen de l'Unification.
L'ex-petite amie de Kim Jong-un, Hyon Song Wol, aurait, elle, été exécutée pour une vidéo "pornographique" du point de vue officiel, en réalité une vidéo d'un spectacle de danse :
L'ex-petite amie du leader serait pourtant réapparue à la télévision un an plus tard. Elle est surtout revenue sur le devant de la scène en janvier 2018, à la tête d'une délégation nord-coréenne qui s'est rendue en Corée du sud peu de temps avant les Jeux olympiques de Pyeongchang. Même la véracité des exécutions est donc à prendre avec précaution. La plupart des personnes soupçonnées d'avoir été exécutées ont en tout cas disparu. Stratégie de bluff du régime ou exil dans des camps de concentration ?
La nature imprévisible et irascible de Kim Jong-un, elle, est indéniable et fait trembler les dirigeants du monde entier. Car s'il se montre aussi impitoyable avec sa propre famille, personne n'est capable de situer la limite des coups de sang du dictateur envers les puissances étrangères.
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