Quatre questions sur le nouveau tir de la Corée du Nord, qui affirme être une puissance nucléaire
Pourquoi ce missile fait-il la fierté de Kim Jong-un ? Que va-t-il se passer sur le plan diplomatique ? Franceinfo décrypte le nouvel essai balistique du régime nord-coréen.
Ce tir, qui a fini dans l'eau sans faire de dégâts, est une première. La Corée du Nord a effectué un nouveau test de missile intercontinental, mardi 28 novembre, et le régime affirme ainsi avoir rempli son objectif de devenir une "force nucléaire". Car selon des analystes, ce tir aurait potentiellement pu atteindre le sol américain, que ce soit la côte ouest ou la côte est. "On va s'en occuper", a promis le président des Etats-Unis Donald Trump, avant que Washington menace, mercredi, de "détruire complètement" le régime nord-coréen "en cas de guerre".
Les Etats-Unis et leurs alliés, qui ont toujours assuré qu'ils ne laisseraient pas le régime de Kim Jong-un posséder l'arme nucléaire, se sont réunis lors d'un Conseil de sécurité de l'ONU pour statuer sur ce tir. Fait-il de Pyongyang une force de dissuasion nucléaire, comme le régime nord-coréen l'affirme ? Franceinfo répond à quatre questions sur ce nouveau tir balistique.
Pourquoi ce tir fait-il la fierté de Kim Jong-un ?
Si aucune image du tir n'a été fournie par le régime nord-coréen, les premières évaluations de la trajectoire par des spécialistes témoignent de la portée sans précédent du nouveau missile lancé mardi. De fait, la Corée du Nord montre les progrès techniques réalisés par son programme nucléaire et balistique. De longue portée, ce missile pourrait atteindre une cible située à 13 000 km.
C'est la première fois qu'ils testent un missile intercontinental qui a potentiellement la capacité de frapper la totalité du territoire américain.
Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégiqueà franceinfo
Le missile a volé pendant 53 minutes sur une distance de 950 km, avant de s'écraser au large du Japon, sans représenter de danger, selon le département américain de la Défense. "Ils ont fait un essai de nuit, ajoute Antoine Bondaz, ce qui est plus compliqué à repérer." Ce tir aurait également été lancé depuis un "camion", d'après ce spécialiste de l'Asie du Nord-Est ; de fait, il serait plus difficile de contrer un missile tiré depuis un objet mobile.
Reste que l'annonce de la réussite du test de ce missile sert Kim Jong-un sur le plan national. "C'est un gain politique considérable en interne en terme de légitimité" puisqu'il "est arrivé au pouvoir en annonçant que ses deux sources de légitimité seraient la réussite du programme nucléaire et balistique et le développement de l'économie", rappelle Antoine Bondaz. En annonçant, mercredi, la réussite de son premier objectif, Kim Jong-un s'octroie donc une victoire politique majeure. Mais, les sanctions internationales vont compliquer l'obtention de son deuxième objectif : le développement économique du pays.
Le régime nord-coréen est-il vraiment une puissance nucléaire ?
"Kim Jong-un a déclaré avec fierté que nous avons finalement réalisé notre grande cause historique : l'achèvement d'une force nucléaire d'Etat, la mise au point d'une puissance balistique", a claironné Ri Chun-hee, la présentatrice historique de la télévision d'Etat nord-coréenne. Mais selon le chercheur Antoine Bondaz, "la Corée du Nord est encore très loin d'avoir une technologie mature".
Certes, Pyongyang peut être considéré comme un Etat nucléaire "techniquement depuis 2006, avec son premier essai nucléaire", et institutionnellement "depuis 2012, depuis qu'ils ont révisé leur Constitution". Mais elle n'a pas démontré qu'elle pouvait toucher ses ennemis avec une bombe nucléaire.
Sur le plan technique, personne ne peut garantir aujourd'hui que la Corée de Nord possède une capacité intercontinentale parfaitement opérationnelle.
Antoine Bondazà franceinfo
En août 2017, le Washington Post avait révélé que le renseignement militaire américain était convaincu que le régime totalitaire pouvait miniaturiser l'arme atomique pour l'embarquer à bord d'un missile. A l'inverse, des doutes subsistent sur la capacité des missiles balistiques nord-coréens à franchir la barrière atmosphérique au moment de leur retour sur terre. De plus, "rien n'indique que Pyongyang souhaite se servir de son arsenal", tempère Olivier Guillard, chercheur associé à l'IRIS et spécialiste de la région, dans Le Figaro.
Cet essai nucléaire pourrait-il être le dernier ?
Puisque le doute n'est pas levé sur le plan technique, les Américains pourraient se servir de cet argument pour contester la réussite nord-coréenne, ce qui placerait Pyongyang dans une attitude de défiance.
C'est un risque d'escalade. Le problème, c'est que les Nord-Coréens vont devoir continuer à mener des démonstrations technologiques afin de prouver leur capacité dissuasive.
Antoine Bondazà franceinfo
Résultat : Pyongyang serait tenté de lancer de nouveaux tests balistiques. Sans reconnaître légalement la Corée du Nord comme une puissance nucléaire, ce qui irait à l'encontre des résolutions de l'ONU, les Occidentaux pourraient toutefois faire un pas et reconnaître le succès du tir de mardi pour calmer le jeu.
C'est ce qu'a semblé faire, mercredi, James Mattis, le secrétaire d'Etat américain à la Défense. Il a reconnu que ce test était une étape en vue de missiles balistiques qui représentent "une menace partout dans le monde", confirmant que le missile pouvait de fait menacer les Etats-Unis.
Que peut-il se passer sur le plan diplomatique ?
La communauté internationale "n'a pas les moyens d'empêcher un Etat d'accéder au rang de puissance nucléaire", tranche Bertrand Badie, politologue interrogé par franceinfo. Et les Américains apparaissent bien impuissants, surtout après les menaces lancées par Donald Trump pendant l'été 2017, qui avait promis "le feu et la fureur" à la Corée du Nord.
L'erreur de Donald Trump est d'avoir trop parlé, de s'être trop avancé, d'avoir exprimé des menaces qui se retournent contre lui. Maintenant, il est obligé d'admettre par des formules rhétoriques plus ou moins bien choisies qu'il ne peut pas grand-chose.
Bertrand Badieà franceinfo
Le président Donald Trump, si agressif à l'encontre des Nord-Coréens cet été et qui promet de "s'occuper" du problème, pourrait-il accepter d'entrer en négociations ? Oui, répond Antoine Bondaz. "Il y a de la communication officieuse entre les parties. A la Maison Blanche, ils réfléchissent à ça", affirme-t-il. De toute façon, le statu quo "n'est dans l'intérêt de personne".
Mercredi, lors d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU, Washington a promis, par le biais de son ambassadrice, de "détruire complètement" le régime nord-coréen "en cas de guerre". Elle a également appelé tous les pays à rompre complètement leurs relations diplomatiques et commerciales avec Pyongyang, évoquant en particulier les livraisons de pétrole par la Chine à son allié.
Le Conseil de sécurité pourrait émettre une résolution de sanctions contre les nouveaux tirs nord-coréens. Une mesure sans intérêt, selon Bertrand Badie. "Le Conseil de sécurité ne dispose d'aucun moyen, explique-t-il à franceinfo. Nous sommes dans un système international où maintenant le petit et surtout le déviant disposent d'une capacité d'autonomie contre les superpuissances qui ne peuvent pas grand-chose."
A très court terme, des discussions pourraient avoir lieu entre les Nord-Coréens et les Occidentaux afin d'obtenir un gel des essais nucléaires. En échange, la Corée du Nord pourrait demander un arrêt des manœuvres militaires dans la mer Jaune ou une levée partielle des sanctions.
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