#AlertePollution : dans le Finistère, des téléphones Garfield souillent les plages depuis trente ans
Sur les côtes du pays d'Iroise, ces appareils, fabriqués dans les années 1980, sont retrouvés à chaque nettoyage de plage. Mais d'où viennent-ils ?
#AlertePollution
Rivières ou sols contaminés, déchets industriels abandonnés… Vous vivez à proximité d’un site pollué ?
Le crachin breton n'entame pas l'enthousiasme des nettoyeurs. Sur les plages du pays d'Iroise (Finistère) battues par les vents, les membres de l'association Viltansoù collectent inlassablement les déchets rapportés par la mer. Dont des dizaines de gros chats en plastique orange. Depuis trente ans, des téléphones Garfield, du nom de la bande dessinée créée en 1978, surgissent des fonds marins et s'échouent sur le sable de la pointe du Finistère. "L'état des téléphones est stupéfiant. Ces objets sont en plastique dur et comportent encore leurs peintures", décrit Claire Simonin Le Meur, présidente de l'association Viltansoù, qui nous a signalé cette pollution récurrente dans le cadre de notre enquête participative #AlertePollution.
Une provenance mystérieuse
Le naufrage de ces matous orange d'une trentaine de centimètres, aux paupières qui se baissent quand on soulève le combiné, ne cesse d'interroger dans ce coin de Bretagne. Comment ces téléphones sont-ils arrivés là ? Contactées par franceinfo, les mairies du Conquet et de Plougonvelin, qui font partie de la zone où s'échouent les téléphones, affirment n'avoir aucune idée de leur origine, renvoyant vers l'association Viltansoù, qui avance une piste.
Les anciens ont souvenir d'un échouement de conteneur, possiblement dans la rade de Brest toute proche, au début des années 1980, sans pouvoir le dater précisément.
Claire Simonin Le Meurà franceinfo
L'entreprise Paws, qui exploite aujourd'hui la licence Garfield, assure à franceinfo ne pas avoir connaissance d'un échouement de cargo ou de conteneur transportant des téléphones de ce type. Et si l'entreprise confirme que ces appareils ont bien été fabriqués dans les années 1980 par la société Tyco, elle évoque de possibles contrefaçons. Un argument qui ne convainc guère la présidente de l'association Viltansoù. "Dans les années 1980, la contrefaçon, notamment asiatique, n'avait pas la même réalité qu'actuellement", estime ainsi Claire Simonin Le Meur.
Dater cet échouement est d'autant plus ardu qu'il n'a laissé aucune trace dans les archives disponibles. Par ailleurs, les incidents de ce type dans ce couloir maritime au large du Finistère ne sont pas rares : le rail d'Ouessant est un des plus empruntés au monde, et le trafic y est colossal. "Près de 40 000 navires y transitent chaque année, tout comme 90% des biens consommés en Europe", illustre le capitaine de frégate Riaz Akhoune, porte-parole du préfet maritime de l’Atlantique, joint par franceinfo. L'origine de ces chats reste donc un mystère.
Environ 200 morceaux de Garfield récoltés en 2018
Il n'empêche qu'au gré de ses caprices, l'océan rejette régulièrement un œil, un bras, une patte voire le corps entier de ces Garfield en plastique. Ces chats sont essentiellement présents dans un rayon de 24 kilomètres, notamment sur les plages de Plougonvelin, Ploumoguer ou encore Plouarzel (Finistère). "Cela ne s'arrête jamais. A chaque nettoyage, on collecte trois, quatre téléphones entiers ou en morceaux", raconte Claire Simonin Le Meur. Pour Lionel Lucas, cofondateur de l'Association de nettoyage au service de l'environnement et du littoral (Ansel), cette présence sur les plages bretonnes est entièrement liée à la météo.
Le plastique des chats Garfield est lourd, il ne flotte pas. La plupart d'entre eux restent à l'abri des conteneurs qui dorment dans les fonds marins. Ces conteneurs sont remués par les tempêtes et laissent échapper leur cargaison.
Lionel Lucas, cofondateur de l'association Anselà franceinfo
En 2018, environ 200 pièces de toutes tailles provenant des chats Garfield ont ainsi été récoltées dans le secteur. "Au total, cela représente l'équivalent d'une caisse de pêche", précise Claire Simonin Le Meur, qui évoque des morceaux de téléphones "comme neufs", très peu usés par l'océan. Le phénomène est tel que l'association Ansel a intégré les téléphones Garfield à la liste des déchets récurrents (appelés "traceurs") de sa carte Ocean Plastic Tracker. Cet outil recense depuis 2017 les détritus en plastique les plus fréquents retrouvés sur les côtes.
Un symbole de la pollution marine
Une fois ramassés, tous les morceaux de Garfield sont précieusement conservés par les associations de nettoyage des plages. "Ce ne sont plus des déchets mais des pièces à conviction", estime Lionel Lucas. "Nous souhaitons garder certains traceurs pour mesurer combien de temps durent ces pollutions et voir jusqu'où elles vont géographiquement", développe l'initiateur de cette carte collaborative.
Pour l'association Viltansoù, ces félins de plastique sont même devenus un "emblème" des opérations de nettoyage, notamment quand celles-ci sont effectuées avec des scolaires. "Garfield est pour eux un fort moteur d'intérêt. Les nettoyages de plage se transforment presque en chasse au trésor. Même mes enfants, avec qui je fais du nettoyage, n’ont qu’une hâte : retrouver des téléphones Garfield", raconte Claire Simonin Le Meur.
A travers ces téléphones, l'association entend sensibiliser à la question de la pollution, terrestre ou maritime, qui ne cesse selon elle de s'aggraver. Au total, en 2018, les bénévoles de Viltansoù ont collecté près de deux tonnes de déchets variés dans leur périmètre d'action de la pointe d'Iroise. "Pourtant, il s'agit d'une zone peu fréquentée hors saison et où il y a de très forts courants", note Claire Simonin Le Meur, qui s'attend à ramasser d'autres chats Garfield. Et peut-être, un jour, à percer définitivement leur mystère.
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