L'article à lire pour comprendre le débat sur le barrage de Sivens
La mort de Rémi Fraisse, 21 ans, a attiré l'attention sur la construction du barrage de Sivens, dans le Tarn. Un projet qui suscite depuis des mois l'opposition d'écologistes, de paysans, d'intellectuels et de politiques.
Il aura fallu la mort d'un manifestant de 21 ans, Rémi Fraisse, dans la nuit du 25 au 26 octobre, pour que les journaux fassent leur une sur la lutte autour du barrage de Sivens dans le Tarn. Plusieurs collectifs dénoncent depuis des mois ce projet considéré comme coûteux, menaçant la biodiversité et contraire à une agriculture respectueuse de l'environnement. Récapitulatif d'une longue bataille, à l'issue incertaine : maître d'œuvre du chantier, le conseil général du Tarn envisage, selon son président Thierry Carcenac, de suspendre les travaux, mais uniquement temporairement.
1 En quoi consiste ce projet ?
La réponse se trouve sur le site du conseil général du Tarn, présidé par le socialiste Thierry Carcenac. Les départements du Tarn et du Tarn-et-Garonne, explique-t-il, ont décidé de réaliser "une retenue d'eau de 1,5 million de mètres cubes sur 34 hectares" dans la forêt départementale de Sivens.
L'idée était dans les cartons depuis 25 ans, mais elle a été "ressortie en 2001 par un rapport de la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne (CACG) prônant la construction d'une retenue d'eau sur la rivière du Tescou qui coule entre Gaillac et Montauban", précise Le Figaro. Mesurant 230 m de large et 13 m de haut, le barrage est situé près du Testet, un lieu-dit sur la commune de Lisle-sur-Tarn.
2 A quoi le barrage doit-il servir ?
Financé à moitié par l'Agence de l'eau (établissement public dépendant du ministère de l'Ecologie), à 30% par l'Union européenne et à 20% par les départements du Tarn et du Tarn-et-Garonne, le projet, d'un coût total de 8,4 millions d'euros, prend les devants sur de futurs manquements en eau dans la région. Il anticipe aussi le changement climatique, si l'on suit le raisonnement de Thierry Carcenac, interrogé par Le Monde : "Nous sommes dans un période de changement climatique et aujourd'hui le département achète chaque année 20 millions de mètres cubes pour un peu plus d'un million d'euros. Et avec ce barrage, les agriculteurs devront s'acquitter des volumes consommés, ils ne pomperont plus sans payer."
La future retenue d'eau devrait profiter aux deux tiers à des agriculteurs de la région, en majorité des cultivateurs de maïs, pour irriguer la vallée. Et, pour un tiers, il servira à maintenir le niveau du Tescou, un affluent du Tarn, et à préserver la qualité de l'eau en évacuant "les pollutions accumulées pendant l'été", selon Le Figaro.
3 Qui sont les opposants ?
D'abord, du côté des militants locaux, le Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet. Il regroupe plusieurs associations régionales ou départementales de défense de l'environnement (Attac-Tarn, les Amis de la Terre Midi-Pyrénées, etc.). Ensuite, le collectif Tant qu'il y aura des bouilles, il n'y aura pas de barrages qui coordonne les actions et l'occupation de la ZAD, la "Zone à défendre".
A l'échelon national, on trouve les écologistes d'EELV et un éventail de partis à gauche du PS, comme Nouvelle Donne, un mouvement dissident au Parti socialiste, ou encore le Front de gauche... Des politiques comme Jean-Luc Mélenchon, José Bové (EELV), mais aussi des intellectuels comme l'éditeur Eric Hazan, l'écrivain Serge Quadruppani, le philosophe Pierre Rabhi, les cinéastes Gérard Mordillat et Ken Loach figurent aussi parmi le comité de soutien au Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet.
4 Que veulent-ils protéger ?
Les opposants critiquent le barrage de Sivens sur le fond comme sur la forme. Sur la forme, ils évoquent un "conflit d'intérêts", des "études manipulées" et un "déni de démocratie". Sur le fond, ils reprochent au projet de représenter un "gouffre" financier "avec un coût de fonctionnement de l’ordre de 360 000 euros par an pendant 20 ans", ne profitant qu'à "une vingtaine d’irrigants aujourd’hui".
Pire encore, le barrage, souligne le collectif du Testet, sacrifierait la "dernière zone humide importante du bassin du Tescou qui abrite au moins 94 espèces animales protégées [insectes, couleuvres, amphibiens, chauve-souris...] et 353 espèces de plantes vasculaires". En outre, "la compensation environnementale prévue à travers notamment la réhabilitation de 9 petites zones humides éparpillées sur le bassin n’est pas acceptée par les scientifiques et experts consultés lors de la procédure".
Le collectif pourfend enfin "la poursuite d’un modèle agricole productiviste défendu par la FNSEA depuis des décennies et qui est un échec total pour l’emploi, la santé, l’environnement".
5 Et les travaux, concrètement, ils en sont où ?
L'avancement du projet s'est accéléré cette année. En février, "le préfet du Tarn a autorisé la capture des animaux protégés et le déboisement de la zone". "Les opposants au barrage ont alors été expulsés", rapporte Le Figaro.
Le 1er septembre, ni les barricades érigées par quelque 200 militants revenus sur les lieux, ni les opposants cachés dans les arbres n'ont pu empêcher les bûcherons de faire tomber les premières branches. Les travaux ont alors commencé dans une ambiance électrique, au milieu des jets de cocktails Molotov, pétards agricoles et gaz lacrymogènes, raconte France 3 Midi-Pyrénées. Ils se sont poursuivis jusqu'à la mort d'un jeune manifestant, Rémi Fraisse, dans la nuit du 25 au 26 octobre.
6 Qui était Rémi Fraisse ?
C'est dans ce face-à-face tendu qu'est intervenue la mort de Rémi Fraisse. Ce jeune homme de 21 ans, pacifiste, calme et réfléchi, selon ses proches, étudiait à Toulouse, à l’université Paul Sabatier, où il suivait un cursus consacré à l'environnement.
Le père de Rémi, Jean-Pierre Fraisse, a raconté à BFMTV que son fils "était sensible aux questions d'écologie" et en particulier à "ce problème de barrage de Sivens". "C'est pour ça qu'il est allé à Sivens samedi", a-t-il encore expliqué, cité cette fois par L'Obs. A i-Télé, il a précisé que son fils était allé sur le site "un peu en touriste, avec sa copine".
C'est lors d'affrontements entre opposants au projet et forces de l'ordre sur le site du barrage que Rémi Fraisse est mort. Son corps a été retrouvé dans la nuit du samedi 25 au dimanche 26 octobre. "C'était entre 2 heures et 02h30 du matin, on a vu un pote tomber au sol. Les gendarmes se sont mis à quatre pour le tirer et l'emmener", a assuré un témoin à l'AFP.
"Il était à 30 m de moi sur ma gauche. Je l’ai vu se faire toucher alors qu’il y avait des explosions à côté. Ils [les forces de l'ordre] ont envoyé des grenades explosives [assourdissantes], des tirs de flash-balls. Après, cette personne s’est retrouvée à terre", confirme Camille sur le site Reporterre, qui a recueilli des témoignages de plusieurs militants présents lors du drame.
L'enquête s'oriente dans ce sens, privilégiant la thèse d'un décès dû à une grenade offensive lancée par les gendarmes. "On a retrouvé des traces de TNT sur certains scellés provenant des effets vestimentaires de la victime", a annoncé mardi 28 octobre le procureur d'Albi, Claude Dérens, avant de préciser que cette matière figurait "dans la composition des charges des grenades lacrymogènes ou offensives utilisées par les gendarmes".
7 Ce drame peut-il remettre en cause la construction du barrage ?
La mort de Rémi Fraisse a-t-elle changé la donne ? Cité par Le Point, le député écologiste Noël Mamère a estimé qu'"on ne construit pas un barrage sur un cadavre". A l'émotion politique se sont rajoutées les conclusions d'un rapport (PDF) extrêmement critique sur ce barrage. Le texte a été rendu public par le ministère de l'Ecologie deux jours après le décès du jeune manifestant. "Le projet est médiocre. (...) Il n'a pas assez regardé les autres solutions alternatives", a expliqué l'un des auteurs du rapport à France 2.
Mais les enquêteurs jugent "difficile" de stopper le chantier, "compte tenu de l'état d'avancement des travaux et des engagements locaux et régionaux pris avec la profession agricole". "Le conseil général du Tarn est maître d'ouvrage du projet" et "endosse la responsabilité du choix opéré", soulignent les auteurs de l'étude. Ils proposent donc, faute de mieux, d'améliorer le projet sur plusieurs points, avec un "comité de suivi multi-acteurs".
La balle est maintenant dans le camp du conseil général du Tarn. Son président, le socialiste Thierry Carcenac (PS), annonce mercredi 29 octobre à la Dépêche du Midi envisager "de suspendre les travaux, mais en aucun cas sine die". Il ajoute : "Je pense aussi qu'il faut remettre les choses à plat. L'assemblée départementale sera amenée à redébattre des préconisations des experts dans une vision du changement climatique et de tout ce qui se passe en matière d'eau sur le bassin du Tarn et Garonne."
8 Pourquoi la comparaison revient-elle avec Notre-Dame-des-Landes ?
Comme cela a été le cas contre le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), la mobilisation est allée grandissante pendant des mois. Elle rassemble de la même façon des habitants du département, des paysans opposés à l'agriculture intensive, des écologistes et des altermondialistes. A l'approche du début des travaux de déboisement, la zone du Testet s'est ainsi transformée en "zone à défendre" (ZAD). Des militants ont installé des campements pour occuper les lieux, en écho à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.
Comme à Notre-Dame-des-Landes, des forces de sécurité armées ont fait face aux "zadistes" pour protéger les travaux. Le dessinateur Sié, qui est allé à la rencontre des opposants au barrage pour Rue89, décrit ainsi le face-à-face : "Après des mois de tensions, à la rentrée, tout s'accélère : 200 gendarmes mobiles ouvrent la voie aux machines." Il détaille : "Lacrymos, matraques, flash-balls, matraques, tirs tendus, violences inutiles... La routine. En face : cocktails Molotov, pierres, sittings, des clowns, des grévistes de la faim, des qui s'enterrent jusqu'aux épaules, des qui grimpent jusqu'aux arbres..."
9 J'ai eu la flemme de tout lire, vous pouvez me faire un résumé ?
Le projet de barrage dans la forêt de Sivens est défendu par le conseil général du Tarn au nom des céréaliers qui manquent d'eau en fin de saison. Plusieurs collectifs le critiquent vivement depuis des mois, avec trois arguments-clés : le barrage menace la biodiversité (près d'une centaine d'espèces menacées), favorise l'agriculture intensive et coûte cher aux finances publiques.
Le débat sur la construction de cette retenue d'eau a pris de l'ampleur après la mort d'un jeune manifestant de 21 ans, Rémi Fraisse, dans la nuit du 25 au 26 octobre. Deux jours après sa mort, un rapport d'experts commandé par le ministère de l'Ecologie donnait d'ailleurs raison aux opposants. Mais estimait "difficile" de stopper le chantier, compte tenu de son avancement. Le président du conseil général du Tarn, le socialiste Thierry Carcenac, a dit "envisager" de suspendre les travaux, par "décence", mais pas de renoncer au barrage.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.