Biodiversité : la France plaide contre l'exploitation minière des fonds marins, un sujet qui divise les Etats
Faut-il protéger les tréfonds de l'océan ou exploiter ses ressources ? Les Etats opposés à l'exploitation minière sous-marine et ceux qui défendent cette potentielle activité controversée ont chacun défendu leur point de vue, mercredi 26 juin, à l'occasion d'une réunion annuelle des 168 Etats membres de l'Assemblée de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), à Kingston, en Jamaïque. A cette occasion, le secrétaire d'Etat français à la Mer, Hervé Berville, a défendu la position de la France, fermement opposée à l'extraction de minerais dans les fonds marins.
Nous ne pouvons pas et nous ne devons pas nous lancer dans une activité industrielle nouvelle alors que nous ne sommes pas encore capables d'en mesurer pleinement les conséquences, et donc de prendre le risque de dommages irréversibles pour nos écosystèmes marins.
Hervé Berville, secrétaire d'Etat à la Mer
"Notre responsabilité est immense et aucun d'entre nous ici dans cette salle ne pourra dire qu'il ignorait l'effondrement de la biodiversité marine, l'élévation du niveau de la mer ou encore l'augmentation brutale de la température des océans", a-t-il lancé.
La France fait partie de la vingtaine de pays qui réclament désormais un moratoire, une "pause de précaution", avant la possible extraction du nickel, cobalt ou cuivre que recèlent des fonds marins riches d'une biodiversité encore largement méconnue. Mais lors de cette réunion, débutée lundi, les pays membres n'ont pas su s'accorder sur la nécessité de débattre de cette question "Nous avons le devoir de débattre de ces sujets fondamentaux dans cette assemblée", a insisté Hervé Berville, rejoint dans sa demande par d'autres pays comme le Chili et le Costa Rica.
Des fonds marins convoités pour leurs minerais
Car le temps presse pour les opposants à l'exploitation minière des fonds marins. En vertu de la Convention de l'ONU sur le droit de la mer, l'AIFM est chargée à la fois de protéger le plancher océanique des zones en dehors des juridictions nationales, et d'y organiser l'exploration et l'éventuelle exploitation de minéraux convoités. Son Conseil de 36 Etats membres négocie depuis dix ans un code minier pour fixer les règles d'une éventuelle exploitation de ces minéraux, que certains estiment capitaux pour la transition énergétique, en particulier les batteries des véhicules électriques.
Mais depuis le 9 juillet, n'importe quel Etat peut déposer une demande de contrat d'exploitation pour une entreprise qu'il sponsorise, grâce à l'expiration d'une clause déclenchée en 2021 par le gouvernement de Nauru, permettant de réclamer l'adoption du code minier sous deux ans.
Dans ces conditions, le petit Etat insulaire du Pacifique a assuré qu'il solliciterait "bientôt" un contrat pour Nori (Nauru Ocean Resources), filiale du canadien The Metals Company qui veut récolter des "nodules polymétalliques" dans la zone de fracture de Clarion-Clipperton (CCZ), dans le Pacifique. "Nous avons une occasion de soutenir le développement d'un secteur qui pour Nauru a le potentiel d'accélérer notre transition énergétique, pour lutter contre le changement climatique", a plaidé mercredi son président, Russ Kun.
"Une grande bataille se profile"
Dans la lutte contre le réchauffement, "la communauté internationale doit utiliser tous les outils à sa disposition. Les métaux critiques sont un outil qui peut nous aider", a renchéri le Premier ministre des îles Cook Mark Brown, appelant à une exploitation "responsable". "Nous ne pouvons pas appeler cela une transition propre ou verte si elle se fait au prix de la biodiversité et de la nature", a répondu le représentant de Vanuatu, en faveur d'un moratoire.
ONG et scientifiques pointent du doigt les risques de destruction directe d'habitats et d'espèces, mais aussi de perturbation de la capacité de l'océan à absorber le carbone émis par les activités humaines. "Si on commence à altérer une zone, on a la quasi-certitude que l'ensemble de l'océan va finalement être altéré. Le problème, c'est qu'on ne sait pas en combien de temps et dans quelles conséquences", estime Pierre-Antoine Dessandier, biologiste marin à l'Ifremer.
"Avec des puissances majeures comme le Brésil et le Canada rejoignant le soutien pour le moratoire, des fissures apparaissent dans ce qui était jusqu'à présent une forteresse des intérêts de l'industrie", a déclaré à l'AFP Louisa Casson, de Greenpeace. "Une grande bataille se profile, mais le combat est engagé", a-t-elle ajouté.
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