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"La loi Hulot ne sert pas à grand-chose" : depuis un an, la France a autorisé la poursuite de 18 projets d'hydrocarbures

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un chevaleret de pompage pour l'extraction de pétrole, le 5 avril 2013 à Forcelles (Meurthe-et-Moselle). Un permis d'exploration a été prolongé sur la commune en 2018. (MAXPPP)

Régulièrement mise en avant par le gouvernement dans son bilan écologique, cette loi est toujours critiquée par les associations environnementales, un an après son entrée en vigueur.

C'est le totem écologique du gouvernement. Critiqué après l'autorisation de forages en Guyane accordée fin octobre à Total, le ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, l'avait brandi fin octobre. "Je le dis sans détour : nous vivons la fin de l'exploitation pétrolière en France", avait-il tweeté, avant de citer la loi Hulot de décembre 2017 qui "interdit tout nouveau permis d'exploration et exploitation d'hydrocarbures sur l'ensemble du territoire". Le texte ne porte que sur une part infime de la consommation d'hydrocarbure en France – 1% selon le gouvernement –, mais il a valeur de symbole, dans l'Hexagone et à l'étranger.

Très fier que la France devienne aujourd’hui le premier pays au monde à interdire tout nouveau permis de recherche d’hydrocarbure dès maintenant et toute exploitation d’ici 2040.

Emmanuel Macron

le 19 décembre 2017, lors de l'adoption de la loi Hulot

Nul doute que le texte sera à nouveau mis en avant par les autorités françaises à l'occasion de l'ouverture, lundi 3 décembre, de la COP24, le grand raout de la communauté internationale pour lutter contre le réchauffement climatique. Mais derrière les effets de manche, la réalité est bien plus complexe. "La loi Hulot ne sert pas à grand-chose, c'est une posture", répond Isabelle Lévy. Cette militante du collectif Non au pétrole de schiste du pays fertois est bien placée pour le savoir : dans un tableur Excel, elle suit avec précision l'évolution de tous les permis et concessions d'hydrocarbures en France.

"Un mensonge organisé"

Selon ses données, corroborées par franceinfo avec le Journal officiel, 18 projets ont progressé depuis le vote de la loi. Des permis d'exploration ont été renouvelés, des concessions ont été accordées pour permettre à des industriels d'exploiter les ressources enfouies sous terre. L'un d'eux, à Claracq (Pyrénées-Atlantiques), a été abandonné par l'entreprise depuis. Contacté par franceinfo, le ministère de la Transition écologique et solidaire n'a pas donné suite.

Dans l'Aube, la compagnie SPPE a par exemple obtenu le droit de continuer à extraire du pétrole jusqu'en 2040 sur sa concession de Saint-Lupien. A La Conquillie (Seine-et-Marne), le canadien Vermilion, qui extrait les trois quarts du pétrole en Ile-de-France selon Le Parisien, a obtenu la concession qu'il attendait depuis plusieurs années. La même entreprise pourra continuer à chercher de l'or noir au large du Cap Ferret (Gironde) puisque son permis Aquila a été renouvelé en janvier. Dans le viseur de l'ONG Les Amis de la Terre depuis plusieurs années, le permis La Folie de Paris, qui permet à l'entreprise Concorde Energie Paris de rechercher du pétrole de schiste en Seine-et-Marne, a lui aussi été prolongé, jusqu'en 2021.

Ces renouvellements de permis ne corroborent pas vraiment la fin des énergies fossiles claironnée par le gouvernement. "Il y a un mensonge organisé autour de cette loi dans la façon de la promouvoir comme un texte qui met fin à l'exploitation des hydrocarbures en France", constate Maxime Combes, économiste chez Attac et auteur de Sortons de l'âge des fossiles ! (Seuil).

Une loi sous influence

Ce n'était pas ce qu'avait imaginé Nicolas Hulot au départ. "La toute première version du projet de loi prévoyait d'interdire de renouveler les concessions d'exploitation, pour permettre une transition progressive. Mais il y a eu une pression des lobbies", explique Juliette Renaud, chargée de campagne aux Amis de la Terre. Le Conseil d'Etat a en effet préconisé le retrait de cette mesure en s'appuyant sur la notion d'"espérance légitime d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété", après le lobbying intensif des entreprises d'hydrocarbures, révélé fin août par Libération, grâce à des documents obtenus par l'ONG.

Le gouvernement avait suivi cet avis. "Cette mesure a été supprimée. Il est toujours autorisé de renouveler les concessions jusqu'en 2040 et même au-delà si l'entreprise arrive à démontrer qu'elle n'est pas rentrée dans ses frais", poursuit Juliette Renaud.

Avec la loi Hulot, il n'y a pas de nouveau projet, mais tous les projets en cours vont continuer. Sur ce point, le gouvernement n'avait aucune obligation de céder aux pressions des lobbies.

Juliette Renaud, chargée de campagne aux Amis de la Terre

à franceinfo

Si cette mesure avait été conservée, les industriels auraient certes pu l'attaquer en justice. Mais l'écologiste regrette que l'Etat ait renoncé à se battre devant les tribunaux. "Il aurait pu faire valoir l'urgence climatique et les dommages environnementaux contre les arguments économiques de l'entreprise. Là, on va uniquement se baser sur le terrain économique", poursuit Juliette Renaud. Une inaction déjà constatée, selon Isabelle Lévy, dans la gestion du permis Guyane Maritime de Total. "Il n'y avait pas d'obligation à autoriser ces forages. Ce n'est pas parce que vous avez un permis de recherche que vous avez obligation de donner l'autorisation de travaux miniers. La découverte d'un nouveau récif corallien, les différentes COP ou la loi Hulot auraient pu pousser le préfet à dire non, estime-t-elle. Bien sûr, Total aurait attaqué en justice. Mais ça permettait à l'Etat de se défendre."

Presque 100 projets actifs en France

La liste pourrait encore s'allonger. Ces 18 projets font partie des 90 permis ou concessions d'hydrocarbures actifs en France, selon le décompte officiel du gouvernement. Rien ne s'oppose légalement à ce que ces projets se poursuivent jusqu'en 2040, voire au-delà si l'entreprise estime ne pas rentrer dans ses frais. Symboliquement, leurs exploitations participeraient à la hausse des émissions de gaz à effet de serre de la France, qui ne respectent déjà pas ses objectifs de l'accord de Paris. "Pour limiter le réchauffement climatique, on sait qu'il faut laisser 80% des réserves dans le sol, rappelle Maxime Combes. Quand la marmite bout, évitons de relancer le feu pour qu'elle bout d'avantage."

Le permis Bleue Lorraine devrait être le prochain. En Moselle, l'association Apel 57 espérait que la loi Hulot interdise l'exploitation du gaz de couche, un hydrocarbure non conventionnel qui fait l'objet de ce permis de recherche. Mais ce gaz, qui ne concerne il est vrai que ce seul permis en France, a été exempté d'interdiction, parce que, selon Les Amis de la Terre, le gouvernement avait peur de devoir payer des compensations. Une décision qui agace ces militants écologistes : tant qu'il n'est pas extrait, ce gaz est emprisonné dans des veines de charbon jamais exploitées et ne vient donc pas alimenter le réchauffement climatique. 

On est en pleine incohérence. On a l'impression qu'il y a d'un côté les paroles et de l'autre les actes.

Anaëlle Lantonnois, membre de l'Apel 57

à franceinfo

Le permis de recherche est arrivé à échéance le 30 novembre 2018. La veille, dans un communiqué de presse, la Française de l'Energie a annoncé qu'elle avait déposé une demande de concession.

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