Crise climatique : où en est la transition énergétique dans le monde, à moins d'un mois de la COP29 en Azerbaïdjan ?
"Nous avons été témoins de l'ère du charbon et de l'ère du pétrole, et nous avançons maintenant à toute vitesse vers l'ère de l'électricité." Pour le directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), Fatih Birol, l'humanité ouvre un nouveau chapitre de son "histoire de l'énergie". La phase de transition en cours "définira le système énergétique mondial à l'avenir et sera de plus en plus basé sur des sources d'électricité propres", présage-t-il, en introduction du rapport annuel de l'organisation sur les perspectives énergétiques mondiales, publié mercredi 16 octobre.
L'édition 2024 du World Energy Outlook, rapport qui fait référence auprès des acteurs économiques, met à jour les projections jusqu'en 2050 en matière de demande, de production et de consommation d'énergie, ainsi que sur les émissions de gaz à effet de serre qui y sont associées. Car pour limiter la hausse des températures à +1,5°C d'ici 2100, conformément aux engagements de l'accord de Paris, la transition énergétique doit correspondre aux ambitions climatiques affichées par la communauté internationale. Qu'en est-il vraiment, à moins d'un mois de l'ouverture de la COP29 sur le climat en Azerbaïdjan (du 11 au 22 novembre) ?
La consommation d'énergies fossiles augmente toujours
Compte tenu du rôle critique que joue la combustion des énergies fossiles (le charbon, le pétrole et le gaz) dans les émissions de gaz à effet de serre responsables du changement climatique, la part de ces combustibles dans l'approvisionnement énergétique total "doit diminuer de manière significative" d'ici 2050, selon le consensus scientifique. Or, en 2023, "les énergies fossiles ont répondu à 80% de la demande mondiale en énergie", contre 83% douze ans plus tôt, note l'organisation de l'OCDE.
Le scénario de l'AIE, fondé sur les politiques énergétiques déjà en place, table sur une part de la consommation de combustibles fossiles qui, certes, décline au fil des années, mais répondrait encore à 58% de la demande mondiale en 2050 (contre les 10% nécessaires selon la feuille de route conçue par les experts de l'agence). Quand l'AIE se base sur les promesses des différents pays, supposant que les gouvernements tiennent tous leurs engagements en matière de verdissement de l'énergie, le taux d'énergies fossiles dans le mix mondial reste "au-delà", à 25% à la moitié du siècle.
L'érosion de la part des énergies néfastes ne signifie pas que la consommation de charbon, de pétrole et de gaz s'effondre. L'AIE rappelle ainsi que l'explosion de la demande en énergie des économies émergentes, comme l'Inde ou la Chine, a entrainé une hausse de 25% de la consommation d'énergies de sources carbonées sur dix ans. Or, "les deux tiers de l'augmentation de la demande énergétique mondiale ont été satisfaits par les combustibles fossiles", poussant "les émissions de CO2 liées à l'énergie à un nouveau niveau record, déplore le rapport. "Le monde est encore loin d'une trajectoire alignée avec ses objectifs climatiques."
L'AIE anticipe toutefois que les politiques actuelles conduisent tout droit l'humanité vers un pic de la demande en énergies fossiles "d'ici la fin de la décennie". Dans le détail, ce plus haut (qu'on imagine naïvement préalable à une baisse) concerne d'abord le charbon. "Avec l'augmentation rapide de la demande d'électricité dans des pays comme la Chine et l'Inde, la consommation de charbon devrait désormais diminuer plus progressivement", note-t-elle. Pour le pétrole et le gaz, des experts cités par Le Monde observent que les données du rapport penchent plutôt pour "une globale stagnation des demandes" jusqu'en 2050.
Les énergies renouvelables se développent vite
En 2023, "un niveau record d'énergie propre (plus de 560 gigawatts) a été raccordé aux réseaux mondiaux", se réjouit l'AIE. Depuis la précédente édition du rapport, "38 pays, responsables d'un tiers des émissions de CO2 liées à l'énergie, ont mis en œuvre de nouvelles mesures de dépenses publiques en faveur des technologies énergétiques propres", ajoute Fatih Birol. Une tendance illustrée par l'engagement des Etats lors de la COP28, en décembre dernier aux Emirats arabes unis, à tripler leurs capacités en énergies renouvelables d'ici 2030.
Si, depuis 2015, "les investissements dans les énergies propres ont bondi de 60%" – représentant aujourd'hui 2 000 milliards de dollars –, il faudrait plus que doubler ce montant d'ici 2030 pour rester dans les clous de l'objectif "Net zero" (ou "zéro émission nette"). L'AIE note encore que les pays riches, ainsi que la Chine, concentrent l'écrasante majorité de ces investissements au détriment des pays émergents, qui comptent deux tiers de la population mondiale. Un retard que les experts expliquent par "le coût élevé du capital et le manque de financement abordable à long terme" pour ces Etats, faisant écho aux appels à réformer les institutions financières internationales, aujourd'hui incapables d'accompagner cette nécessaire transition.
"Beaucoup d'exemples montrent qu'une vision claire [du développement des énergies propres] soutenue par des politiques judicieuses, des réglementations et un engagement du secteur privé, peuvent stimuler la croissance à la fois en quantité et en qualité de ces investissements", argumente l'AIE. Et les efforts sont payants. Citant le cas de la Chine, l'AIE relève avec optimisme que "le solaire se déploie à un tel rythme que d'ici 2030, la production d'énergie solaire de la Chine pourrait à elle seule dépasser la demande totale d'électricité des Etats-Unis aujourd'hui."
Le passage au "tout électrique" reste un défi
Dans son rapport, l'AIE insiste sur le fait que la baisse attendue des énergies fossiles s'accompagne d'une hausse fulgurante des besoins en électricité. Une électricité qui, pour ne pas émettre de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, doit être issue d'énergies renouvelables ou décarbonées. "L'électricité propre est l'avenir, et l'une des conclusions frappantes de ce rapport est la rapidité avec laquelle la demande d'électricité va augmenter", insiste Fatih Birol. Selon le patron de l'AIE, "l'équivalent de la consommation d'électricité des dix plus grandes villes du monde [s'ajoute] à la demande mondiale chaque année."
Cette consommation est tirée par l'électrification des secteurs gourmands en énergies fossiles, tels que l'industrie et le transport ; par une nouvelle demande, tel que le développement de l'intelligence artificielle ; et enfin, par d'anciens besoins décuplés par le changement climatique, telle que la climatisation. Or, "avec l'énergie nucléaire, qui fait l'objet d'un regain d'intérêt dans de nombreux pays" et l'essor du solaire et des batteries, "les sources à faibles émissions devraient produire plus de la moitié de l'électricité mondiale avant 2030", estime le rapport, qui note qu'en valeur absolue, la seule capacité de production d'électricité renouvelable passera de 4 250 GW aujourd'hui à près de 10 000 GW en 2030.
Des chiffres encourageants, mais qui s'accompagnent de défis techniques et politiques, notamment pour encourager le déploiement des véhicules électriques : "Une décarbonation sécurisée du secteur de l'électricité nécessite que les investissements dans les réseaux et le stockage augmentent encore plus rapidement que la production", écrit l'AIE.
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