Sommet pour un nouveau pacte financier : pourquoi faut-il parler d'argent pour résoudre la crise climatique ?
Ce n'est pas un hasard si Emmanuel Macron avait choisi le cadre de la COP27 pour annoncer son grand raout financier. Selon un groupe d'experts indépendants créé sous l'égide des Nations unies (document PDF), les pays en développement – hors Chine – devront dépenser plus de 2 000 milliards de dollars par an (environ 1 826 milliards d'euros) d'ici à 2030 pour assurer leur développement et répondre à la crise du climat et de la biodiversité, sans quoi la communauté internationale peut dire adieu aux objectifs qu'elle s'est fixés dans l'accord de Paris. L'heure est donc venue de se frotter à la question qui fâche : comment faire, et surtout avec quels moyens financiers ?
>> Nouveau pacte financier : suivez en direct le sommet à Paris
Organisé jeudi 22 et vendredi 23 juin à l'initiative du président français et de la Première ministre de la Barbade, Mia Mottley, porte-parole déterminée des pays du Sud, ce sommet pour un nouveau pacte financier doit permettre d'apporter un début de réponse. Il n'est ainsi ni un sommet climatique, ni un sommet financier, mais une rencontre hybride à la croisée d'un défi sans commune mesure et d'une boîte à outils chaotique qu'il faut désormais mettre en ordre. Franceinfo vous explique pourquoi aborder de front les questions d'argent est indispensable pour faire face à la crise.
Parce que les institutions financières ne sont pas à la hauteur de l'enjeu climatique
Le constat est unanime : les institutions financières internationales ne sont plus à la page. Créés en juillet 1944 par les accords de Bretton Woods, les deux piliers sur lesquels reposent le développement et la stabilité économique à l'échelle de notre planète – la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) –, vacillent même complètement sous le poids de la crise climatique. Héritées d'une époque où l'on parlait davantage du débarquement des soldats alliés sur les plages françaises que de la montée des eaux ou des canicules marines, ces institutions ne sont pas bien armées pour mettre les pays en difficulté sur la voie d'un développement décarboné, ni pour leur permettre de s'adapter au réchauffement climatique. Pire, elles n'arrivent pas non plus à les aider à se relever des catastrophes que subissent déjà les pays vulnérables en raison de la hausse des températures.
Face à ces nouvelles missions, un rapport d'experts publié en 2022 (document PDF) estime que les montants investis par ces institutions financières devaient être multipliés par trois en cinq ans. La Banque mondiale et les Banques multilatérales de développement doivent d'abord mieux utiliser l'argent dont elles disposent, souligne une note de l'Institut de l'économie pour le climat . Pour l'Institut, ce "changement de paradigme clair", implique de sortir d'une logique consistant à accompagner ponctuellement des "projets verts" pour se concentrer sur les initiatives les plus à même d'accélérer la transition profonde de l'économie du pays bénéficiaire, y compris quand elles sont a priori plus risquées ou moins rentables à court terme. Bref, fini le financement d'une éolienne par-ci ou d'une centrale photovoltaïque par-là, place à des visions de longs termes, élaborées sur le terrain. Et dont le succès devrait, mécaniquement, attirer les acteurs privés dans leur sillage, espèrent les porteurs de ces solutions.
Quant au FMI, il doit revoir à Paris le fonctionnement de ses droits de tirage spéciaux (DTS), ces actifs de réserves distribués par l'institution aux pays en cas de crise, comme lors de la pandémie du Covid-19. Parce qu'ils sont distribués proportionnellement aux contributions des Etats, les pays du G20 disposent aujourd'hui de DTS non utilisés, qu'ils aimeraient transférer à leurs voisins en difficulté. Cela mobiliserait l'équivalent de 100 milliards de dollars (soit environ 91 milliards d'euros) du Nord vers le Sud de manière indolore – puisque les donateurs n'ont jamais converti ces DTS en devise – mais hélas, le mécanisme en vigueur ne permet pas de telles opérations. Ainsi, de nombreux pays du Sud, notamment africains, plaident pour que les Banques multilatérales de développement puissent se charger de ces opérations.
Parce que le changement climatique fait de gros dégâts sur les économies
Si le montant de la facture de l'adaptation et du développement des pays du Sud est estimé à 2 000 milliards par an, d'ici sept ans, la communauté internationale ne semble pas s'être mise à la recherche de l'enveloppe. Quant au fonds dédié à la réparation des catastrophes, créé en 2022 à la COP27 de Charm el-Cheikh (Egypte), il est encore vide. Pourtant l'expérience du Pakistan, accablé à l'été 2022 par des inondations monstres, montre l'urgence à l'alimenter : le pays a besoin de 16 milliards de dollars (14,6 milliards d'euros) pour reconstruire ses villes, ses infrastructures et son économie.
Selon les estimations, les besoins pourraient atteindre jusqu'à 1 700 milliards de dollars (1 552 milliards d'euros) en 2050, rien que pour traiter les conséquences économiques du changement climatique dans l'ensemble des pays en développement. Face à ce mur de dépenses, rénover l'architecture des institutions financières mondiales de sorte qu'elles optimisent leurs fonds ne suffira pas : il faut mettre de l'argent frais sur la table.
Les pistes en la matière sont nombreuses : selon un collectif d'économistes cité dans Le Monde, une taxe mondiale sur les transactions financières étendue aux pays du G20 "permettrait de lever (…) entre 156 milliards et 260 milliards d'euros par an." Elargie à davantage de transactions de trading, "les recettes collectées pourraient dépasser les 400 milliards d'euros par an." Un collectif d'ONG, dont Oxfam, le Réseau action climat et Global Citizen, plaide aussi pour une taxe sur les énergies fossiles "conformément au principe du pollueur-payeur" dont les revenus seraient fléchés vers "les pays à faible et moyen revenus qui sont les plus impactés et les moins responsables du changement climatique."
Au cours des discussions qui ont précédé le sommet pour un nouveau pacte financier, ces acteurs de la société civile ont vu émerger une coalition de pays (les îles Marshall, le Royaume-Uni et plusieurs Etats européens, dont la France) autour de la proposition de création d'une taxe sur le transport maritime, angle mort des engagements de l'accord de Paris. "Il faut bien l'ajuster", prévient toutefois Laurence Tubiana, directrice de la Fondation européenne pour le climat, "pour qu'elle ne soit pas vécue comme une pénalisation, avec des compagnies maritimes qui la répercuteraient sur les pays importateurs ou les consommateurs". Enfin, reste à s'assurer que cette éventuelle taxe soit bien au moins en partie dirigée vers les pays du Sud, alors que les acteurs du secteur, qui se réunissent en juillet au sein de l'Organisation maritime mondiale, pourraient vouloir l'utiliser pour financer leur propre transition.
Enfin, les ONG rappellent, quant à elles, le levier de la lutte contre l'évasion fiscale : un fléau qui affecte lourdement les pays en développement, les privant de milliards de dollars de revenus fiscaux.
Parce que les pays du Nord, responsables du changement climatique, doivent mettre la main à la poche
Les pays riches sont historiquement responsables de l'écrasante majorité des émissions de gaz à effet de serre, à l'origine du changement climatique. A l'inverse, les pays du Sud en subissent le plus durement les conséquences. A ce titre, le Nord a "une dette climatique" envers les plus fragiles, rappelle Fanny Petitbon, chargée de campagne climat pour l'ONG Care France. Or, les nations les plus développées sont pour l'heure très loin de s'en acquitter. Leur engagement de verser 100 milliards de dollars (environ 91 milliards d'euros) par an aux pays les plus en difficulté, pris en 2009 lors de la COP15 à Copenhague (Danemark), n'a toujours pas été tenu.
"Il y a une crise de confiance entre les pays donateurs et les pays du Sud", constate Elise Dufief, chercheuse à l'Institut du développement durable et des relations internationales. Pour cette experte, regagner la confiance nécessite d'abord de tenir ces promesses initiales, avant de prendre de nouveaux engagements. "Les pays développés doivent s'engager à de nouveaux financements tout en remplissant leurs obligations existantes (…). Plus de financements sont nécessaires pour l'adaptation, ce qui doit se traduire par plus de subventions", abonde un rapport de l'European council on foreing policy, qui rappelle que 71% de la finance climatique publique en 2020 était constituée de prêts. Et qui dit "prêts", dit "dettes", un autre grand dossier que le sommet devrait évoquer.
Parce que le climat vient encore alourdir la dette des pays du Sud
Durant la dernière décennie, l'endettement des pays en développement a plus que doublé, pour atteindre 9 000 milliards de dollars (8 217 milliards d'euros) en 2021, selon la Banque mondiale. Crise sanitaire, crise économique, énergétique... Le climat n'est pas la seule cause dans l'état de surendettement qui frappe désormais une soixantaine de pays (dont les plus endettés doivent verser jusqu'à 20% de leurs revenus à leurs créanciers). Mais cette dette empêche bel et bien les pays les plus vulnérables de financer l'atténuation et l'adaptation face au changement climatique.
Le sommet pour le nouveau pacte financier devra se pencher sur les aménagements à imaginer pour alléger ce fardeau. Plusieurs pays militent ainsi en faveur d'une clause de suspension du paiement de la dette en cas de catastrophe naturelle, laquelle pourrait être mise en place par la Banque mondiale.
Certains réfléchissent également à un moyen de restructurer les dettes plus rapidement, afin de proposer des conditions plus tolérables aux pays en grande difficulté. La Zambie, par exemple, est en défaut de paiement depuis 2020, mais n'a toujours pas obtenu de traitement de sa dette. Et ce, alors même que le pays multiplie les gages d'efforts environnementaux. "Nous avons inscrit notre réponse climatique dans des documents nationaux de haut niveau tels que la politique nationale sur le changement climatique et le huitième plan de développement national", a rappelé avant le sommet le secrétaire permanent du ministère zambien de l'Economie verte et de l'Environnement.
Le pays, qui planche sur une stratégie nationale de croissance verte ambitieuse, n'attend qu'une chose : "des flux financiers opportuns et prévisibles vers la Zambie et d'autres pays africains" pour s'inscrire dans les ambitions de la COP21. En 2015, c'est à Paris, déjà, que la communauté internationale s'était accordée sur la fin (la limitation de la hausse des températures moyennes mondiales sous la barre des 2°C). Ce nouveau sommet parisien est enfin dédié aux moyens.
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