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Grand entretien Rapport du Giec : face au réchauffement climatique, "nous sommes dos au mur", mais "des solutions existent", résume Valérie Masson-Delmotte

Causes, conséquences, solutions... La climatologue française, figure du groupe international d'experts sur le climat, fait le point sur les connaissances scientifiques, à l'occasion de la sortie d'un nouveau rapport.
Article rédigé par Thomas Baïetto - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
La climatologue Valérie Masson-Delmotte, le 22 septembre 2022 à Paris. (FRANCK FIFE / AFP)

C'est l'aboutissement d'un travail scientifique de huit ans sur le réchauffement climatique. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) a publié, lundi 20 mars, la synthèse des rapports élaborés par ses scientifiques depuis 2015. L'occasion pour franceinfo de s'entretenir avec la climatologue Valérie Masson-Delmotte, coprésidente de l'un des groupes de travail de l'institution.

>> Ce qu'il faut retenir de la synthèse des travaux du Giec

Au terme d'un week-end marathon dans la ville suisse d'Interlaken, la chercheuse, dont le mandat au Giec se termine, fait le point sur les causes et les conséquences du réchauffement climatique, mais aussi sur les outils pour limiter les dégâts.

Franceinfo : Rares sont ceux qui, aujourd'hui, contestent la réalité du réchauffement climatique. En revanche, de nombreuses personnes continuent de douter de la responsabilité de l'homme. Que dit le Giec sur cette question ?

Valérie Masson-Delmotte : L'influence humaine sur le climat à l'échelle planétaire est sans équivoque. Les scientifiques ont confronté les observations à des modélisations climatiques. Ils ont rejoué l'histoire du climat depuis 1850, en tenant compte des facteurs naturels (comme l'activité du soleil, celle des volcans…) et rien n'explique cette accumulation de chaleur. A l'inverse, quand on tient compte de notre influence, là, on voit que les simulations correspondent à ce que nous observons. Le réchauffement observé sur la période 2010-2019 atteint +1,1°C. Notre meilleure estimation de l'influence humaine est de +1,07°C. Les chiffres convergent. Une deuxième approche, qui consiste à dresser le bilan énergétique des facteurs humains et naturels, aboutit au même résultat. 

"Sans influence humaine, on ne peut pas expliquer l'accumulation de chaleur."

Valérie Masson-Delmotte, climatologue

à franceinfo

Quelles sont les activités humaines qui provoquent ce réchauffement ?

Le premier facteur est le rejet de CO2, un gaz à effet de serre émis notamment lorsqu'on brûle du charbon, du pétrole et du gaz. Il y a ensuite la déforestation et les émissions de méthane. Cet autre gaz à effet de serre est rejeté par les fuites dans le secteur des énergies fossiles, mais aussi par les élevages de ruminants.

Le climat de la Terre a déjà varié. Pourquoi ce changement climatique est-il si préoccupant ?

Par le passé, il y a eu des variations lentes du climat, avec des périodes glaciaires et interglaciaires. Ce sont des changements que notre espèce a connus sur plusieurs dizaines ou centaines de milliers d'années. Quand on regarde la différence entre un climat doux et un climat glaciaire à l'échelle planétaire, il n'y a que cinq degrés d'écart. Et le plus rapide de ces changements s'est produit à un rythme d'à peu près un degré par millénaire.

>> Nos réponses à vos questions sur le réchauffement climatique

Aujourd'hui, nous sommes déjà dans une période douce. Le rythme du réchauffement observé est d'un peu plus d'un degré en 100 ans. Il est donc exceptionnel à l'échelle planétaire par rapport à ces variations passées. Bien sûr, il existe des capacités d'adaptation : l'histoire de l'humanité et du vivant le montre. Mais plus le réchauffement est rapide, plus on touche aux limites de l'adaptation. 

Valérie Masson-Delmotte revient sur les principaux points du rapport du Giec

Cette synthèse revient aussi sur les effets déjà constatés du changement climatique. Quels sont-ils ?

Avec +1,1°C de réchauffement planétaire, nous observons déjà des impacts généralisés et sévères. Il y a par exemple une baisse des rendements agricoles dans certaines régions d'Afrique, avec des conditions plus chaudes et plus sèches. Il y a les difficultés d'approvisionnement en eau, avec la sécheresse, mais aussi l'intensification des pluies extrêmes qui augmentent la sévérité des inondations, en particulier en ville où l'urbanisation favorise le ruissellement.

Il y a bien sûr les vagues de chaleur, qui affectent la santé humaine. Nous l'avons vu pendant l'été 2022 en Europe de l'Ouest, avec une surmortalité importante. Il y a des effets sur les écosystèmes, avec le blanchiment des coraux ou les vagues de chaleur marine qui tuent les gorgones [des colonies de coraux] en Méditerranée. La montée du niveau de la mer va aussi augmenter les inondations chroniques à marée haute, les records lors des tempêtes et l'érosion par exemple pour les côtes sableuses.

L'année 2022, marquée par la chaleur, les incendies et la sécheresse, a été la plus chaude jamais enregistrée en France. Est-ce un aperçu de ce qui nous attend dans les prochaines décennies ?

L'année 2022 est assez représentative de ce que pourrait être une année moyenne autour de 2050, si les politiques publiques actuelles se poursuivent et s'il n'y a pas, dans le monde, un sursaut pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Le réchauffement climatique frappe plus durement encore les pays du Sud. Que dit le Giec sur les inégalités climatiques ?

Ce rapport souligne à quel point la prise en compte des questions d'équité et de justice est essentielle pour agir face au climat. Ceux qui vivent dans des contextes les plus fragiles, c'est-à-dire environ 3 milliards de personnes, ont une vulnérabilité plus grande et font face, dès aujourd'hui, à des pertes et des dommages. Ce qui est aussi frappant, c'est que ce sont ces personnes qui contribuent le moins à l'accumulation de chaleur dans le système climatique. Leurs émissions de gaz à effet de serre historiques et actuelles sont plus faibles que la moyenne planétaire. A l'inverse, dans les pays où les émissions de gaz à effet de serre sont plus élevées que la moyenne planétaire, il y a une capacité à agir plus grande.

L'accord de Paris prévoit de limiter le réchauffement nettement en dessous de +2°C et idéalement à +1,5°C. Où en est-on aujourd'hui ?

C'est l'un des messages clés du Giec. Les tendances actuelles ne sont pas du tout compatibles avec la stabilisation du réchauffement, qui permettrait d'assurer un monde vivable et équitable. Des efforts ont été faits, mais ils n'atteignent pas l'échelle suffisante pour une baisse suffisamment rapide des émissions de gaz à effet de serre.

Si on veut limiter le réchauffement autour de +1,5°C, il faudrait quasiment diviser par deux les émissions mondiales de CO2 d'ici à 2030. Or, les émissions ont continué à augmenter et les promesses mises sur la table par les différents pays, si elles étaient tenues, pourraient permettre une légère baisse entre 2020 et 2030. 

"Il faudrait des baisses massives d'émissions de gaz à effet de serre dans tous les secteurs d'activité, à un rythme inédit, tous azimuts."

Valérie Masson-Delmotte, climatologue

à franceinfo

Avec les politiques publiques mises en place, le réchauffement au niveau planétaire serait d'environ 1,5°C au début des années 2030, d'environ +2°C autour de 2050 et, en 2100, environ 3°C.

Même s'il ne fait pas de recommandations politiques, le Giec évalue les solutions pour limiter le réchauffement. Quelles sont-elles ?

Sur l'énergie, la priorité est de sortir du charbon et de déployer au maximum tout ce qui permet de produire de l'électricité bas carbone. Dans les options évaluées, le photovoltaïque et l'éolien ont le plus fort potentiel d'émissions de gaz à effet de serre évitées, pour un coût abordable. Mais il y a bien sûr beaucoup d'autres leviers d'action, comme le nucléaire ou l'hydroélectricité, qui ont cependant l'inconvénient de ne pas être accessibles partout dans le monde.

Sur la question de l'alimentation et de l'usage des terres, il y a la lutte contre la déforestation, l'utilisation optimisée des engrais azotés [des engrais fabriqués à partir d'ammoniac qui entraînent des pollutions de l'eau, de l'air et des sols, ainsi que de fortes émissions de gaz à effet de serre] ou les efforts pour réduire les émissions de méthane des ruminants. Il y a enfin le changement des pratiques alimentaires et le fait d'avoir une alimentation avec plus de protéines végétales et moins de protéines animales.

Dans le débat public, les "petits gestes" individuels et les "grands gestes" collectifs sont souvent opposés. Est-ce que le Giec s'est penché sur cette question ?

Ce sont les politiques publiques qui permettent à chacun d'adopter des changements de pratiques quotidiennes. Ce n'est pas l'injonction à la morale individuelle, ce sont des actions plus structurantes. Par exemple, en ville, le fait de mettre en place des transports en commun ou des infrastructures cyclables est une condition pour ne pas dépendre de la voiture individuelle.

Il est toujours intéressant de tenter de mesurer son propre bilan carbone, par exemple sur le site de l'Ademe. Cela donne une idée de nos habitudes qui pèsent le plus sur le climat, parce qu'il y a parfois des idées reçues dans ce domaine. On pense souvent, par exemple, que le numérique et l'envoi de mails pèsent lourd dans notre bilan carbone, alors que leur impact est négligeable par rapport à celui de la voiture ou du chauffage.

Malgré ce constat, les grandes entreprises pétrolières, comme TotalEnergies, continuent d'investir massivement dans les énergies fossiles. Est-ce compatible avec nos objectifs climatiques ?

Les rapports du Giec ne se prononcent pas sur un projet en particulier. Mais chaque investissement dans le secteur des énergies fossiles entraîne un cumul supplémentaire d'émissions de CO2, et donc un réchauffement. La question n'est pas de se priver demain des énergies fossiles. Elle est de réorienter les investissements pour, le plus vite possible, en sortir.

Pour apparaître vertueuses, ces entreprises ont tendance à cacher leur investissement dans les énergies fossiles derrière un tout petit volet d'investissement dans les énergies renouvelables, montré dans la publicité. Il y a eu enfin beaucoup d'annonces récentes qui montrent un gros recul par rapport aux engagements pour le climat pris par ces compagnies pétrolières et gazières. C'est très préoccupant. 

Les rapports du Giec sont de plus en plus lus dans le monde des entreprises. Je pense que c'est aussi notre rôle : il ne s'agit pas de se poser en juge, mais de fournir un cadre qui permet à la société civile d'examiner ses actions et de s'interroger si elles sont compatibles avec la limitation des risques climatiques.

Malgré toutes vos connaissances sur l'ampleur du problème, vous restez optimiste. Comment faites-vous ?

Nous n'avons pas le choix. Nous sommes tous habitants de cette planète et il n'y a pas tellement d'alternatives. Nous sommes dans une situation difficile, qui peut s'aggraver. La question n'est pas d'être optimiste, mais de comprendre que nous sommes le dos au mur, et que des solutions existent. Il faut les mettre en place le plus vite possible et de la manière la plus intelligente possible.

Je suis scientifique. Mon rôle a été de produire des connaissances, de les évaluer et de les transmettre de la manière la plus rigoureuse possible. Ce n'est pas aux scientifiques de porter la responsabilité de l'action pour le climat dans le monde. C'est à chacun de le faire. Et plus on a des capacités d'agir élevées, plus on a un niveau de responsabilité élevé, plus cette charge mentale devrait être forte.

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