: Récit Sécheresse, incendies, orages de grêle... 2022, "annus horribilis" où la France s'est pris les foudres de la crise climatique
Année la plus chaude, vague de chaleur la plus précoce, plus grand nombre de jours de canicule, plus grand nombre de jours au-dessus des normales de saison, été le plus chaud depuis 2003... Le bilan de l'année 2022 fait froid dans le dos en France. Alors que sous l'effet du réchauffement climatique causé par les activités humaines, l'Hexagone et la Corse se sont réchauffés d'environ 1,7°C depuis le début de l'ère industrielle, pour la seule année écoulée, une telle situation s'est traduite par des événements jusqu'alors jamais observés. Ils inscrivent concrètement la crise climatique dans le quotidien de chacun.
Si les années 2019 et 2020 ont été sèches, 2022 peut ainsi être qualifiée d' "historique ou d'exceptionnelle", "même si l'on sait très bien que cela va se reproduire de plus en plus fréquemment dans les 10, 20 ou 30 prochaines années", assure Régis Taisne, chef du département cycle de l'eau à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies. " C'est u ne première, à la fois en termes d'amplitude, de durée et d'impact géographique."
Retour un an en arrière. Dès la fin 2021, la France connaît un hiver sec et des chutes de neige trop faibles pour remplir les nappes phréatiques. Les mois de janvier, février et mars 2022 enregistrent alors une insuffisance pluviométrique de près de 40% sur l'Hexagone. Régis Taisne reçoit dès le mois de mars des alertes de plusieurs régions. Quand le printemps arrive, les experts espèrent des pluies "utiles", sans quoi les réserves ne suffiront pas pour affronter d'hypothétiques vagues de chaleur. Mais il ne pleut quasiment pas.
Dans le Var, la préfecture déclenche dès le début du mois d'avril le premier niveau d'alerte dans tout le département. Le sud de l'Ain est contraint à des restrictions d'eau. "On nous annonce ça le 1er avril, quand toutes nos cultures sont implantées... Changer notre rotation de culture, ça ne se fait pas en claquant des doigts", déplore auprès de France 2 Romain Georges, agriculteur qui a interdiction d'irriguer son maïs entre 9 heures et 20 heures. Quinze jours plus tard, l'alerte est renforcée . Les unes après les autres, les préfectures émettent des arrêtés de vigilance.
"On sait alors que, même s'il se met à pleuvoir, la sécheresse sera extrêmement sévère", se souvient Régis Taisne. La crainte se vérifie quand l e pays connaît son mois de mai le plus sec jamais enregistré.
L'été et ses vagues de chaleur viennent sceller le destin des sols et de la végétation. Juillet 2022 est le mois le plus sec que la France a connu depuis le début des relevés, en 1959. Au milieu de l'été, plus aucun département de la France hexagonale et de la Corse n'est épargné par la sécheresse. Quarante-six comptent des zones "rouges", soumises à d'importantes restrictions. " Il n'est tombé que 7,8 mm d'eau. On a un déficit de précipitations de 88% par rapport à ce qui aurait été nécessaire" , confirme alors le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu.
Le niveau de la Loire est si bas que, par endroits, on la traverse à pied, constate France Bleu Loire océan. L'accès à des gorges du Verdon méconnaissables est désormais interdit aux embarcations, une décision historique. Des lecteurs de franceinfo nous interpellent pour partager leur stupéfaction. L'eau a disparu dans un village de la Creuse, raconte l'une. Les feuilles sont mortes, dans une forêt des Deux-Sèvres, "complètement lyophilisées", elles craquent "comme des chips" sous les pas, nous alerte un autre. Des arbres agonisent dans le bocage bourbonnais. En Meurthe-et-Moselle, la végétation a grillé, et dans les Hautes-Alpes, au lac de Serre-Ponçon, l'eau est descendue de plusieurs mètres.
Sur le front de la ressource en eau potable, "les difficultés sont telles qu'elles entraînent des coupures d'eau, essentiellement dans des petites communes. Ce n'est pas passé loin à Nantes, et une ville comme Saint-Malo a été en difficulté", raconte Régis Taisne. " Dans l'immense majorité des cas, les collectivités ont fait face, y compris de manière un peu artisanale, en remontant de l'eau par camion dans des petits hameaux. "
A Sault (Vaucluse), la commune distribue des bouteilles, deux litres d'eau par habitant et par jour. L'exploitation de lavande dirigée par Guillaume Liardet est alimentée depuis Carpentras : "Je n'ai jamais connu ça, ni mes parents", s'inquiète-t-il devant les caméras de France 3.
"J'aimerais croire qu'il y aura un avant et un après cette année 2022, poursuit Régis Taisne. Certes, les gens du monde de l'eau, du secteur de l'environnement, les gens qui suivent les études et les relevés n'ont pas été surpris. Mais leurs alertes étaient peu audibles, car perçues comme théoriques, estime l'expert. Cette fois, la sécheresse est entrée dans le quotidien des politiques, des entreprises, des citoyens… Espérons que la prise de conscience se transforme, non pas en peur mais en mobilisation, notamment pour économiser, comme on le fait pour l'énergie."
Incendies : entre "film de guerre" et "science-fiction"
Outre ses températures et sa sécheresse, 2022 représente un tournant sur le front des incendies. Le week-end des 25 et 26 mars déjà, des feux se déclarent dans les Alpes-Maritimes et les Bouches-du-Rhône, "mais aussi dans des départements au nord de la Loire qui ne posaient pas problème depuis plusieurs années : le Maine-et-Loire et la Charente-Maritime, avec une trentaine d'hectares ce week-end encore", témoigne alors le colonel Sylvain Besson, directeur départemental adjoint des pompiers de l'Hérault. Dans les départements du nord et de l'est de la France, les soldats du feu s'attendent, compte tenu du changement climatique, à devoir lutter à leur tour contre les feux de forêt .
Dans les Pyrénées-Orientales, 50 hectares de maquis sont engloutis par le feu avant même le début de l'été. Plusieurs foyers se déclarent aussi près de Nîmes (Gard). Le 13 juin, un camping arboré du Grau-du-Roi est ravagé par les flammes.
Le 12 juillet, premier jour de la deuxième canicule de l'été, des feux se déclarent à La Teste-de-Buch et à Landiras. "Deux gros incendies de forêt en simultané. De mémoire, c’est du jamais-vu", confie le pompier Fabien Longo à France 3. En survolant le massif avec les secours, le maire de La Teste-de-Buch, Patrick Davet, a "l'impression de voir un film de guerre sur le Vietnam", raconte-t-il à la chaîne quelques mois plus tard.
Les flammes s'attaquent même à la Bretagne, plus particulièrement aux Monts d'Arrée (Finistère). "C'est l'un des endroits les plus humides en France. Et on se retrouve avec des bombardiers suédois qui survolent la zone pour éteindre un incendie ? On se dit que c'est de la science-fiction" , se souvient le photographe Mathieu Rivrin.
La température flirte avec les 40°C, quand il apprend, le 18 juillet, qu'un incendie s'est déclaré à quelques kilomètres de chez lui. "Les gens s'étaient garés et certains pleuraient sur le bord de la route. Je suis resté de longues minutes à regarder le feu passer de mont en mont, je n'arrivais pas à prendre de photos de la scène. Ce n'était pas de la panique, mais comme un blocage psychologique : de la stupéfaction."
Les incendies frappent aussi le Morbihan, ainsi que la forêt de Brocéliande. Des hameaux sont évacués et des hectares, carbonisés, en Charente, en Isère, dans le Jura, dans le Maine-et-Loire...
Partout, "les feux de chaume ont pris une ampleur particulière cette année, constate aussi Jean-Louis Pestour, responsable national incendies à l'Office national de forêts. Les évaluations prospectives dont nous disposions montraient déjà un déplacement du risque d'incendie vers l'Ouest, le Nord, le Centre et le quart nord-est, à un échelon plus lointain. Ce sont des choses qu'on avait déjà intégrées. Ce que l'on ne savait pas, c'est que ça irait si vite."
"Longtemps, le climat a évolué très lentement et on pensait que les choses étaient un peu immuables. On se rend compte qu'il faut être plus réactif, ce qui est un défi énorme à l'échelle d'une forêt", relève Jean-Louis Pestour. A l'heure de faire le bilan, il se réjouit que la prise de conscience se traduise désormais par davantage de moyens pour l'ONF, ainsi que pour les pompiers, en vue de renforcer la protection des forêts . "Dix millions supplémentaires vont venir s'ajouter à la quinzaine de millions de la Défense de la forêt contre les incendies", pointe-t-il.
Des orages "d'une violence extrême"
2022, ce sont aussi des orages au caractère inhabituel. Le 20 mai, a u Bignon-du-Maine (Mayenne), le plafond d'une école primaire s'effondre, matraqué par des grêlons, alors que les enfants arrivent dans l'établissement. Trois jours plus tard, au petit matin, les habitants de Jardres (Vienne), de Linars (Charente) et de communes du sud de Niort (Deux-Sèvres) sont réveillés par un vacarme assourdissant : des grêlons, qui font jusqu'à 7 cm de diamètre, s'abattent sur les voitures et les habitations. Dans le Puy-de-Dôme, les habitants décrivent un orage "impressionnant et inédit", tandis que d es glaçons de plus de 10 cm endommagent sur 250 maisons et 1 000 voitures à Châteauroux (Indre).
Un mois plus tard, "avec 206 229 impacts de foudre, juin 2022 a été le mois de juin le plus foudroyé sur la France sur la période 1997-2022", selon Météo France (PDF) . En Dordogne, Magali, propriétaire d'une chèvrerie et de chevaux, s'agace au micro de France Bleu Périgord : "Aux gens qui ne croient pas au changement climatique, qu'ils viennent à Vanxains et qu'ils s'en rendent compte", lance-t-elle après qu'un orage de grêle a dévasté une partie du département, le 23 juin. "C'est d'une violence extrême (...) Tout le monde est sans voix. C'est 1999 plus la grêle", commente la maire du village de Vanxains, Joëlle Saintmartin.
La hausse des températures favorise pendant plusieurs mois ces conditions météorologiques susceptibles d'engendrer de gros grêlons. Ces épisodes du printemps et de l'été 2022 engendrent "des pertes sans précédent, principalement à cause de la grêle", écrit en novembre dans un billet de blog (article en anglais) , directrice du segment "catastrophes naturelles" pour la société d'assurance Swiss Re, Tamara Soyka.
Cette dernière évoque également "une année record" en matière de pertes liées à la grêle. Elles sont estimées à 4,8 milliards d'euros par la Fédération française des assureurs, citée par Tamara Soyka.
Le bilan humain s'avère quant à lui sombre. Le 18 août, un orage s'abat sur la Corse, tuant cinq personnes, dont une adolescente de 13 ans, victime de la chute d'un arbre dans un camping, à Sagone. Le "derecho", événement violent et soudain, est particulièrement rare en France. Sur franceinfo, un témoin décrit "un phénomène de fin du monde".
Selon les travaux réalisés dans la foulée par le climatologue Davide Faranda, l'orage survenu en Corse est dû aux eaux alors anormalement chaudes de la Méditerranée. En pleine canicule marine, elle enregistre des températures supérieures de cinq degrés à la normale, avec près de 30°C, explique le chercheur, cité dans le journal du CNRS.
"La quantité de vapeur d'eau accumulée dans l'atmosphère, résultat de cette Méditerranée surchauffée, a quant à elle provoqué des orages destructeurs", résume le CNRS, qui évoque un "lien établi avec le dérèglement climatique" provoqué par l'activité humaine. En 2022, le pays s'est donc vu à la fois dramatiquement privé d'eau et menacé par le déluge.
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