: Témoignages "On s'est pris le réchauffement climatique en pleine tête" : de la Teste-de-Buch à la vallée de la Maurienne, cartes postales d'un été caniculaire
Vous avez été nombreux à répondre à notre appel à témoignages sur la façon dont des endroits qui vous sont chers souffrent du réchauffement climatique. Sources taries, arbres en souffrance, nature partie en fumée... Voici un tour de France en 11 étapes des conséquences concrètes de cet été en surchauffe.
De la sidération, de la tristesse, de l'incompréhension et, parfois, de la colère. Face à un paysage qui change sous l'effet de la chaleur et de la sécheresse, des phénomènes amplifiés par le changement climatique provoqué par l'activité humaine, beaucoup se sentent désarmés. En cet été 2022, les témoignages se multiplient sur les réseaux sociaux pour pointer des rivières réduites à l'état de flaques, des glaciers disparus ou des forêts qui suffoquent. De la Bretagne aux Vosges, des bords de Loire à la Méditerranée, vous nous avez relaté les transformations que vous avez observées, sur vos lieux de vacances ou près de chez vous, dans une nature défigurée par cet été d'un genre nouveau.
"Un petit coucou d'Isola (Alpes-Maritimes), où les fontaines sont à sec"
"Isola, j'y vais tous les ans, parfois plusieurs fois par an, dans la maison de famille de mon mari. Depuis quand ? Eh bien, nous sommes mariés depuis cinquante-cinq ans. Mon beau-père nous a transmis la connaissance des chemins, des promenades à faire. On l'a transmise à notre tour à nos enfants et à nos petits-enfants. Pour la première fois cet été, toutes les fontaines du village sont coupées, à l'exception d'une, dans le jardin d'enfants. Même la fontaine principale, où viennent boire et se rafraîchir les nombreux cyclistes et motards qui arpentent le massif l'été, ne coule plus. Quand on arrive ici, le rituel, c'est une petite balade autour de la châtaigneraie, du plateau de Louch, près de la cascade, etc. C'est là qu'on a constaté les effets de la sécheresse. Je me suis mise au dessin et j'avais l'intention de dessiner les fleurs sauvages qui poussent toujours autour du village. Mais je n'en ai pas trouvé. Ce n'est pas non plus catastrophique, mais cela pose question pour l'avenir. Ces dernières années, des jeunes se sont réinstallés ici : ils sont boulangers, restaurateurs, apiculteurs, ils font de la bière, etc. C'est un renouveau extraordinaire. Mais si un jour il n'y a plus d'eau ?"
Signé Marie-Noëlle, de Montpellier (Hérault)
"Bons baisers du Mônetier-les-Bains (Hautes-Alpes), d'où l'on voit fondre les glaciers"
"Je viens dans la région depuis trente ans pour pratiquer l'alpinisme et j'y ai une résidence secondaire depuis sept ans. Aujourd'hui que je suis un peu plus âgé, je randonne. On a eu un hiver très sec avec très peu de neige. Déjà, lors de mon passage en mai, je me suis dit que ce serait une année difficile. Malgré cela, en arrivant en juillet, j'ai été surpris de voir à quel point les glaciers avaient triste allure. C'est frappant quand on regarde les Agneaux : ce sont deux sommets, l'un est noir et l'autre blanc, enneigé au sommet. Cette année, les deux agneaux sont noirs. Tout a fondu. Là, ça craint vraiment de faire de l'alpinisme. En tout cas, je ne partirai pas dans ces conditions-là. Avant-hier, on a entendu des chutes de pierres en continu, à cause de la fonte du permafrost qui tenait les rochers. Il y a quarante ans, on pouvait se rendre sur le glacier au mois de septembre. Aujourd'hui, après juin, c'est compliqué. C'est triste car la montagne, c'est avant tout la liberté. On la voit changer de manière irréversible."
Signé François, de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine)
"Pensées de La Teste-de-Buch (Gironde), où notre écrin de nature est parti en fumée"
"L'ensemble des Testerins ont vécu un drame cet été [avec les incendies qui ont ravagé la forêt]. Je me suis installée ici il y a une vingtaine d'années, venant de Paris, pour trouver l'espace et la nature. L'océan d'un côté, la forêt de l'autre. Ici, les gens pêchent, surfent, vont à la plage et dans la forêt, font du vélo... La nature fait partie du quotidien. On était les usagers de cette forêt et de ces arbres, aujourd'hui on n'est plus usagers de rien du tout. Je suis allée voir au pied de la dune du Pilat à sa réouverture. J'ai eu envie de pleurer. C'est comme perdre un membre de la famille. Quel gâchis ! Après l'incendie, je suis en colère face à l'inaction des politiques et à l'impréparation de la mairie. On découvre, dans une région recouverte par des bois, qu'on n'a rien pour lutter contre le feu. C'est un écrin de nature perdu parce qu'il n'y a pas de courage politique. Je suis choquée de voir, d'une part, des jeunes générations sidérées et, de l'autre, des gens plus âgés qui refusent de faire le lien avec le réchauffement climatique, même quand il fait 42 °C en juin, 27 °C déjà en février, et que toute la végétation est asséchée. On nous dit qu'on va replanter. Mais on va replanter quoi ? Une forêt ancestrale ? Des arbres centenaires ? On va replanter des pins à perte de vue et voilà. C'est désespérant."
Signé Véronique, de la Teste-de-Buch (Gironde)
"Je vous envoie du soleil de Saint-Moreil (Creuse), où la source a disparu"
"Ici, ça a toujours été très vert, plein de lacs, d'arbres, d'ombre… C'est là que se trouve la maison familiale, un village que je connais donc depuis quarante-huit ans. J'ai toujours connu sa source. Enfant, on y jouait et on y buvait. Samedi 23 juillet, il y avait de l'eau, pas beaucoup, mais ça coulait. Et le dimanche, plus rien. On a d'abord pensé qu'il y avait quelque chose qui bloquait l'écoulement de l'eau. On a remonté le cours et on a vite crompris. Ce n'était pas une grosse source, c'est certain, mais elle avait toujours coulé. Alors forcément, c'est la stupéfaction. "Même en 1976, pendant la sécheresse, elle coulait !" J'ai entendu cette phrase 10 fois, tous les aînés le disent. On s'est pris le réchauffement climatique en pleine tête. Etre informé, c'est une chose, mais le vivre, c'est très différent. Ici, on a toujours fait très attention à notre consommation d'eau. On est des petites gens qui faisons des petits gestes. Alors, ça nous écœure de penser à ceux qui vivent dans l'excès et qui s'en foutent, car eux, ils auront toujours de l'eau dans dix ans."
Signé Florence, de La Roche-Blanche (Loire-Atlantique)
"Bonjour depuis la forêt de Chizé (Deux-Sèvres), où les animaux se sont tus"
"J'habite depuis six ans dans un petit village au cœur de la forêt. On y trouve des chênes, des bouleaux, il y a quelques charmes, des érables… Ce n'est pas une forêt très impressionnante, mais elle est très verte. Cette année, le sol est très craquelé, voire poussiéreux. Sur les arbres, les feuilles sont lamentablement molles, quand elles ne tombent pas par terre, complètement lyophilisées. Elles craquent sous les pas comme des chips. Je n'avais jamais vu cela. La forêt a une place énorme dans mon quotidien. Je suis jeune retraité et photographe animalier amateur. J'ai adopté un bon gros chien que je promène longuement. Lors de la promenade du matin, vers 7h30, on entend encore la vie de la forêt, les animaux, etc. Et puis, vers 8h30, tout s'arrête. On n'entend plus un oiseau chanter. Tout le monde est planqué. Quand on subit trois canicules coup sur coup, la nature ne connaît pas de répit. Les arbres les plus fragiles vont avoir des problèmes. Et dans un sous-bois dense et si sec, il suffirait de peu pour que ça brûle. On a eu des remontées de fumée venues de Gironde : pendant un instant on s'est tous demandé si ça ne venait pas de chez nous."
Signé Jean-Etienne, de Villiers-en-Bois (Deux-Sèvres)
"On vous embrasse de la vallée de la Maurienne (Savoie), où mon fils voit disparaître la neige"
"Je passe mes vacances dans cette région depuis que j'ai 7 ans. J'en ai 44 aujourd'hui. Avant-hier, sur une rando que l'on connaît bien, on a constaté que sur les trois lacs que l'on voit d'habitude, il n'en restait plus qu'un. Les torrents que l'on étaient censés traverser n'étaient plus là non plus. Il n'y a plus de marmottes dès l'entrée du parking. Elles vivent désormais beaucoup plus haut, où l'air est plus frais. Quand on vient ici, on cherche la fraîcheur, le blanc de la neige qui saupoudre les sommets, la verdure des prairies… Cet été, on a retrouvé de la rocaille et de l'herbe grillée. Quand j'étais petit, mon père emmenait toujours des sacs poubelle en rando pour en faire des luges dans la descente. J'ai fait la même rando avec mon fils pour la première fois. Il y avait juste un carré de neige d'un mètre sur deux. Il est allé dessus et j'ai pris une photo, pour montrer ça à mes parents. J'ai pensé : "Lucas pourra dire à ses enfants qu'il a connu la fin de la neige en été dans les Alpes." On a l'habitude d'imaginer la fonte des glaces comme quelque chose d'abstrait, à des milliers de kilomètres, sur la banquise. Il y a une forme de sidération quand on voit de façon si saisissante les effets du réchauffement climatique dans un endroit si familier."
Signé Olivier de Scharrachbergheim (Bas-Rhin)
"Souvenirs du Lac du Schiessrothried (Haut-Rhin), où les cyanobactéries prolifèrent"
"Je randonne souvent dans les Vosges avec des amis. Quand on est sur le massif du Hohneck, on voit le lac en contrebas. D'habitude, l'eau est vert foncé. Là, elle est carrément turquoise. Il fait très chaud et les cyanobactéries prolifèrent partout dans la région, dans quasiment tous les lacs des Vosges. La semaine dernière, je suis partie randonner, je portais mon maillot de bain, prête à me baigner. On s'est arrêtés pour pique-niquer et heureusement, en repartant, je suis tombée sur un panneau "baignade interdite". Alors, c'est plutôt joli comme couleur, mais c'est quand même bizarre de voir autant de lac concernés. La chaleur, aussi, est vraiment inhabituelle : même en altitude, on se balade en tee-shirt. J'avais déjà conscience du risque d'effondrement de la biodiversité, mais c'est autre chose que de l'observer de si près et à plusieurs reprises, dans différents endroits et en l'espace de quelques semaines."
Signé Patricia, de Strasbourg (Bas-Rhin)
"Un petit coucou de Barrais-Bussolles (Allier), où les arbres souffrent"
"J'ai grandi au cœur du bocage bourbonnais, dans une famille d'agriculteurs. On trouve ici des parcelles de pâture et de cultures, délimitées par des haies. Dans ces haies, il y a des arbres, notamment des chênes pédonculés, massifs, très imposants, qui ont des dizaines d'années, voire plus de 100 ans. Depuis 2015, ils subissent de plein fouet l'emballement du changement climatique : à part en 2021, il y a eu chaque année des sécheresses et des canicules, et les arbres ne tiennent plus le choc. L'année a encore été sèche et certains commencent à avoir un feuillage plus clairsemé. Leur cime est moins feuillue. Quand vous voyez un arbre dans cette situation, vous êtes certain qu'il sera mort dans deux ou trois ans. Je crains le début de la désertification d'une partie de la France. Car c'est comme ça dans beaucoup de régions. Les grands arbres qui ont besoin de beaucoup d'eau vont remonter vers le Nord, ou plus en altitude. Quand je lisais des articles scientifiques à ce sujet, il y a cinq ou six ans, je ne pensais pas qu'on assisterait à ça si vite. Là, c'est flagrant, il suffit d'observer."
Signé Etienne, de Dijon (Côte-d'Or)
"Bises du lac de Serre-Ponçon (Hautes-Alpes), où le niveau de l'eau n'a jamais été si bas"
"J'ai un gîte ici depuis 1996 et jamais je n'avais vu le lac si bas. Le niveau a baissé de 12 mètres. La base nautique a dû tout réinstaller pour permettre d'accéder à l'eau : les bateaux-pédalo, les jeux gonflables, etc. Il a fallu descendre les pontons pour éviter la gadoue. J'ai vu cet été les conséquences de ce manque d'eau sur l'activité de mes amis commerçants. Alertés par la presse, les touristes ont eu peur de ne pas trouver d'eau du tout et ne sont pas venus. Ça m'inquiète pour la suite. Là, on peut encore profiter des lieux. On a fait du paddle pas plus tard qu'il y a deux jours. Le coin est beau, sauvage. Mais si rien n'est fait pour lutter contre le réchauffement climatique, qu'est-ce qu'il restera dans dix ans ? C'est difficile de voir que rien ne bouge malgré l'évidence. Partout en montagne, il fait plus chaud, il y a moins de neige, donc moins d'eau… c'est un cercle vicieux qui se répercute sur toute la montagne et j'ai peur que, sans prise de conscience, on coure à la catastrophe."
Signé Coline, de Marseille (Bouches-du-Rhône)
"Coucou de la Montagnette (Bouches-du-Rhône), où rien ne sera plus comme avant"
"J'habitais pas loin quand j'étais enfant et j'y suis toujours retourné. La Montagnette avait déjà brûlé, en 1982 et encore en 2010, mais la végétation avait bien repris. L'été, j'y passais les mercredis après-midi à l'ombre des pins d'Alep. Après l'incendie de cet été, j'ai peu d'espoir de voir ce paysage renaître. Les forêts méditerranéennes vont laisser place aux landes qu'on voit en Espagne ou au Maroc. Si les conditions étaient stables, on pourrait compter sur la régénération des écosystèmes, mais avec des étés où il est fréquent d'avoir 40 °C et pas de pluie pendant six mois, ça va trop vite. J'appréhende cette transition. Je voulais que mon dernier garçon voit la Montagnette cet été et c'est déjà trop tard. On ne se rend pas compte, mais on renonce à des choses à cause du réchauffement climatique. Chez mes parents, on arrive à un point où on ne peut parfois plus jouer dehors avec les enfants, où ça devient juste difficile de faire quoi que ce soit en extérieur. A terme, c'est évident que ce sera moins agréable de vivre ici. Quel plaisir à vivre dans une région où il faudra rester enfermé six mois de l'année ?"
Signé David, de Biot (Alpes-Maritimes)
"Un petit mot depuis le plateau de Malzéville (Meurthe-et-Moselle), où la végétation grille"
"Je fais en général une marche sur le plateau de Malzéville une fois par an, au moment de l'été, à l'exception de ces dernières années. Pour mon retour, après trois ans, ça a été un choc. Passé le bois, il n'y a plus de vert. Tout est jaune comme les blés. Même en cas d'étés chauds, on retrouvait toujours quelques herbes hautes, du chiendent, des fleurs, des petites choses. Cette année, tous les végétaux s'arrêtent à 2 cm de hauteur, comme de la paille au ras du sol. Ce n'est pas de l'herbe, il n'y a même pas un semblant de pissenlit. Que du cramé, du jaune, du marron… Le contraste avec ce que je connaissais est très violent. J'ai 40 ans et, adolescent déjà, je venais sur le plateau de Malzéville. C'est presque un rituel familial. Ce que j'ai vu la semaine dernière, je n'ai même pas le souvenir de l'avoir vu un jour, ponctuellement, ne serait-ce que sur une petite parcelle du plateau. C'est un endroit champêtre, une bulle d'oxygène pour s'extirper de la ville et de son agitation. Moi qui ne suis pas du genre à aller au bout du monde, ce sont mes vacances du pauvre, un lieu pour me relaxer, respirer un air pur, etc. C'est inquiétant de voir tout un écosystème qui part en roue libre. Si c'est pour se retrouver avec un paysage lunaire balayé par le vent, ça va être rude."
Signé Jean-Baptiste, Malzéville (Meurthe-et-Moselle)
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