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Nouveau pacte financier mondial : quel bilan tirer du sommet organisé par Emmanuel Macron pour réconcilier le Nord et le Sud ?

Le sommet de deux jours qui s'est tenu à Paris s'est terminé par quelques avancées en faveur des pays pauvres. Le big bang espéré pour réorienter la finance mondiale au service du climat reste toutefois à concrétiser.
Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Emmanuel Macron, le président brésilien Lula et le Premier ministre chinois Li Quiang, à Paris, vendredi 23 juin 2023. (AFP)

Révolutionner la finance internationale, sauver la planète, éradiquer la pauvreté, réconcilier Nord et Sud… Le sommet pour un nouveau pacte financier mondial s'est achevé, vendredi 23 juin, par la promesse des Etats et des institutions rassemblés à Paris de mener les réformes qu'exige l'empilement sur notre planète des crises climatiques, économiques et sanitaires.

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Depuis l'ancien siège de la Bourse de Paris, Emmanuel Macron et une quarantaine de chefs d'Etat et de gouvernement ont fait le bilan de ces deux jours de discussions. Mais comment distinguer les déclarations d'intention faciles des annonces concrètes ? Franceinfo dresse le bilan de ce grand raout, aux résultats forcément décevants face à l'immensité des tâches. 

Des vieilles promesses d'aides recyclées

Les besoins sont faramineux. Selon l'ONG Oxfam, les pays à revenus faibles et moyens ont besoin de 27 000 milliards de dollars d'ici à 2030 pour répondre aux besoins en matière de dépenses climatiques et sociales. Face à ces montants, les 100 milliards de dollars par an promis depuis la COP15 de Copenhague, en 2009, et finalement réunis pour la première fois cette année, ne suffisent pas à crier victoire. De même, l'annonce de la réallocation par les pays riches de l'équivalent de 100 milliards de dollars de droits de tirages spéciaux à destination du Sud n'est que la confirmation d'un engagement pris en 2021.

Les pays en développement, nombreux à être représentés, parfois au plus haut niveau, "avaient besoin que ce sommet permette de dégager des milliers de milliards de dollars", a réagi la directrice générale d'Oxfam France, Cécile Duflot, dans un communiqué. "Ce qu'ils ont obtenu, c'est un recyclage de vieilles promesses non tenues et la perspective de nouveaux prêts qui pousseront les nations les plus pauvres vers un endettement désastreux." 

Pourtant, faire aboutir à Paris ces vieilles promesses était nécessaire afin "que les pays du Nord renouent le dialogue avec les pays en développement", a expliqué à franceinfo Claire Eschalier, du think-tank Institut de l'économie pour le climat. "Une façon, en quelque sorte, de rentrer dans les clous", après des années de promesses non tenues.

Peu d'argent neuf pour faire face à la crise climatique 

Ceux qui espéraient que le sommet soit l'occasion d'acter de nouveaux prélèvements – notamment sur les activités polluantes – sont repartis déçus. La possibilité de taxes internationales sur les transactions financières, sur les billets d'avion (comme c'est le cas en France depuis 2008) et sur les transports maritimes, n'a pas abouti.

En revanche, cette dernière option fait désormais l'objet d'un appui politique de plus en plus important. A tel point que ses promoteurs espèrent que cette piste se concrétisera au sommet de l'Organisation maritime internationale, prévu début juillet. "On a un club de ceux qui pensent comme nous et c'est à l'Organisation maritime internationale que la négociation doit se tenir et que nous la tiendrons", a promis Emmanuel Macron, en référence à la petite vingtaine de pays susceptibles de signer un accord.

Sur ces points, ce sommet parisien a permis d'inscrire ces discussions à l'agenda des futurs rendez-vous diplomatiques de haut niveau, comme le G7 et, surtout, le G20. 

Le début d'une réflexion pour remodeler les institutions financières

Le président de la République s'est félicité vendredi d'un "consensus complet" pour "réformer en profondeur" le système financier mondial. Mais en attendant cette révolution, le sommet a accouché d'une série de petits pas. La Banque mondiale a par exemple fait part de son intention d'intégrer à ses accords avec les pays les plus vulnérables une nouvelle clause de suspension du paiement de la dette en cas de catastrophe naturelle. Cette mesure, portée par Mia Mottley, la charismatique Première ministre de la Barbade, doit permettre aux pays frappés par des phénomènes météorologiques extrêmes de mettre en pause provisoirement le remboursement de la dette afin de parer à l'urgence. 

Le tout nouveau président de la Banque mondiale, Ajay Banga, a quant à lui exprimé son intention d'œuvrer à une transformation culturelle de l'institution. En conférence de presse, il a déclaré lancer une réflexion visant à, "plutôt que de mesurer les volumes de financement, mesurer les impacts de ces financements sur les émissions de gaz à effet de serre". Concrètement, cela reviendrait à appréhender les projets financés avec une vision d'ensemble et des objectifs mesurables de lutte contre le réchauffement climatique et de développement pour les pays concernés.

D'ailleurs, ces pays ont très clairement appelé à ce que les institutions financières aident les Etats à concrétiser leurs propres stratégies de développement. Ainsi, pour le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, les nations du Sud attendent "non seulement une réforme de l'architecture financière internationale, mais aussi qu'elles se traduisent par des projets pratiques concernant notamment les infrastructures. C'est à cette condition que nous, les Africains, serons convaincus que cela vaut la peine de se rendre à ce genre de sommet, d'aller jusqu'en Europe et d'écouter toutes ces promesses", a-t-il prévenu.

Des annonces concrètes pour le Sénégal et la Zambie 

Pour trouver des annonces concrètes issues de ces deux jours de discussions, il faut regarder vers le Sénégal. Le pays d'Afrique de l'Ouest a noué un "partenariat pour une transition énergétique équitable" avec un groupe de pays du Nord (dont la France) et des banques multilatérales de développement, en vue d'atteindre son objectif de 40% d'énergies renouvelables à l'horizon 2030. Ces partenariats sont nés en novembre 2021 à la COP26, à Glasgow, et ont depuis permis à des pays tels que l'Afrique du Sud ou encore l'Indonésie d'avancer vers l'abandon du charbon, l'énergie fossile la plus émettrice de gaz à effet de serre. 

Enfin, alors que plusieurs pays font face à l'aggravation de leur endettement face aux multiples crises, les pays créanciers de la Zambie (notamment la Chine) ont accepté de restructurer 6,3 milliards de dollars de dette (soit environ 5,8 milliards d'euros), plus de deux ans après le défaut de paiement du pays

"Nous avons maintenant une méthode", s'est félicitée la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georgieva, dans un entretien avec l'AFP. "J'ai hâte de codifier le cas de la Zambie et de l'utiliser ensuite comme un modèle pour d'autres." Selon elle, plusieurs leçons peuvent être tirées de ce cas d'école.

Encourager ces restructurations ne suffit pas, estime cependant Fati N'zi-Hassane, directrice d'Oxfam en Afrique. "En ignorant des solutions évidentes comme l'annulation de la dette comme l'annulation de la dette ou augmenter les impôts sur les personnes et les entreprises les plus riches, les pays du Nord réunis à ce sommet ont fait passer la cupidité de quelques-uns avant les besoins du plus grand nombre", a-t-elle dénoncé. 

La mise en place d'un mécanisme de suivi 

En conclusion d'une dernière table ronde, vendredi, Emmanuel Macron a annoncé la création d'un mécanisme de suivi des engagements et des discussions lancés à Paris. Demandant aux différents acteurs présents de signer, s'ils le souhaitent, la liste des engagements évoqués pendant ces deux jours et dont il s'est fait "le scribe", le président français leur a donné rendez-vous pour un rapport de suivi "tous les six mois". Emmanuel Macron veut par ailleurs retrouver les interlocuteurs présents "dans deux ans", juste avant la COP25 prévue en Amazonie, et ce, afin de voir où en sont les avancées issues de ce "consensus."

Ce modèle de sommet hybride s'est surtout imposé comme une étape visant à faire se rencontrer les acteurs des négociations internationales dans un cadre plus souple que les sommets de l'ONU ou les rencontres du G20, et donc propice à l'émergence de solutions transversales pour répondre à ces crises. Le directeur de l'Institut du développement durable et des relations internationales, Sébastien Treyer, a d'ailleurs noté que les pays du Sud avaient saisi cette opportunité pour multiplier les déclarations fortes et coordonner leur action en vue des futurs rendez-vous diplomatiques. "Ce sommet n'a pas abouti à tous les éléments de transformation du système espéré, mais il devrait permettre de continuer à passer le relais et maintenir la pression pendant les prochains mois," explique-t-il. 

"J'aime l'esprit de coopération et de partenariat que j'ai observé ici", a appuyé à la tribune le président kényan, William Ruto. "Je pense que c'est la bonne manière de travailler." Si le système financier n'a pas été revu de fond en comble, la place accordée aux pays en développement dans ces discussions constituerait-elle déjà une forme de révolution ? 

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