Peut-on établir un lien entre les glissements de terrain spectaculaires de 2024 et le changement climatique ?

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Un habitant marche au milieu des débris pour récupérer des effets personnels dans les décombres de sa maison après la crue dévastatrice du Vénéon, dans le hameau de La Bérarde (Isère), le 28 juin 2024. (ARNAUD FINISTRE / AFP)
Evident en haute montagne, le lien entre la hausse des températures et les mouvements de terrain devient difficile à établir à plus faible altitude.

Des routes déviées et des accès coupés pour cause d'éboulements, de coulées de boue ou de glissements de terrain... Ces événements que les experts regroupent dans la famille des "phénomènes gravitaires" – des roches ou autres sédiments qui tombent, en vertu des lois de la gravité – sont le quotidien des montagnards. Dans la vallée d'Aspe, dans les Pyrénées-Atlantiques, une partie de la RN 134 vers l'Espagne s'est effondrée, dans la nuit du vendredi 6 au samedi 7 septembre, emportée par une puissante coulée de boue. Plus tôt dans l'été, d'autres catastrophes ont braqué les projecteurs sur ces manifestations aussi imprévisibles que destructrices : celle du hameau de La Bérarde (Isère), emporté la nuit du 21 juin par un torrent de boues et de rocs ; les pluies torrentielles qui ont fait au moins 12 morts et disparus dans les Alpes suisses fin juin ; l'effondrement d'un pan de montagne, le 25 juillet, sur une route du Vercors. 

Ces catastrophes répétées, survenues après de violents épisodes de pluies en zone montagneuse, posent la question de l'implication du changement climatique d'origine humaine, pourvoyeur d'épisodes météorologiques extrêmes à travers le globe. Un suspect habituellement pointé du doigt, mais qui n'est pourtant pas toujours directement en cause. 

La haute montagne en surchauffe 

"Il faut se méfier des généralisations", insiste Serge Taboulot, président de l'Institut des risques majeurs (IRMa) à Grenoble (Isère). "En ce qui concerne la haute montagne, il n'y a pas photo. Le risque augmente de manière très nette, partout dans le monde, en lien avec le changement climatique qui entraîne la fonte du pergélisol". Cette terre glacée, aussi appelée "permafrost", maintenait jusqu'alors la roche en place. Mais sous l'effet de la hausse des températures, le dégel provoque des chutes de roches et autres éboulements qui contraignent chaque été les alpinistes à renoncer à bien des routes, devenues trop dangereuses.

"Les laves torrentielles, qui sont des écoulements mêlant roches et eau, tendent aussi à s'intensifier dans les Alpes avec l'augmentation des extrêmes climatiques", abonde Ludovic Ravanel, géomorphologue au CNRS et guide de haute montagne. Il explique que "le dégel du permafrost rend disponible ce matériau meuble" qui dévale les pentes en cas de précipitations. La catastrophe survenue dans le hameau de La Bérarde résulte ainsi "probablement d'une conjonction de plusieurs phénomènes en cascade", dont l'origine, dans les hauteurs du massif des Ecrins, "met en cause le changement climatique, mais sans que l'on sache très bien pour l'instant dans quelle mesure", estime Serge Taboulot.

Car le lien entre changement climatique et mouvements de terrain s'avère de plus en plus fragile à mesure que l'on descend en altitude, ce qui écarte de facto la fonte du pergélisol comme facteur déclencheur. "Pour les autres phénomènes gravitaires, d'autres facteurs vont primer, telle que la fatigue de la roche", précise Ludovic Ravanel, spécialiste de l'évolution des milieux de moyenne et haute montagne face aux évolutions du climat.

Ainsi, l'éboulement de l'été 2023 en Maurienne (Savoie), qui paralyse encore l'axe ferroviaire qui relie la France à l'Italie, n'est pas attribué au changement climatique. Pas plus que la chute de 20 millions de tonnes de roches sur une route du Vercors en juillet. Plutôt que l'effet de la température ou d'un quelconque épisode météo, Serge Taboulot pointe dans ce dernier cas "la fragilité bien connue de la falaise en question", quand bien même la zone venait d'être touchée par des pluies abondantes. 

La pluie, facteur indirect 

Moins étudiés que les séismes ou les inondations, les mouvements de terrain restent un risque naturel méconnu. Pour percer leurs secrets, Jean-Philippe Malet, géomorphologue au CNRS, travaille à l'élaboration d'une base de données sur ces catastrophes. "Les mouvements de terrain sont des événements multifactoriels, note-t-il, mais souvent, l'un de ces facteurs, c'est l'eau". En l'occurrence, la pluie. "Cela peut être une pluie relativement peu intense, comme des petites pluies sur le long terme qui vont saturer les sols et déclencher un mouvement de terrain. Où, à l'inverse, un méga-orage, ou un typhon, avec une quantité énorme d'eau qui tombe en quelques heures, liste le chercheur. Ça peut être aussi l'alternance avec des périodes de sécheresse, etc."

Or, la hausse des températures causée par nos émissions de gaz à effet de serre entraîne davantage de pluies extrêmes et une augmentation de la variabilité pluviométrique (des alternances entre sécheresses et inondations). Pourtant, "nous ne pouvons pas affirmer aujourd'hui que le réchauffement climatique est responsable d'une augmentation du nombre de phénomènes gravitaires", précise Jean-Philippe Malet, et ce faute de données suffisantes. Ludovic Ravanel rappelle quant à lui que "l'hypothèse selon laquelle le changement des systèmes de précipitations peut déstabiliser les terrains reste mal démontrée".

En revanche, ces nouveaux extrêmes sont impliqués au moins indirectement dans ces événements. "Quand il s'agit de phénomènes de précipitations au paroxysme, clairement le changement climatique les rend possibles", pointe Serge Taboulot. "Presque tout le temps, les grandes catastrophes sont liées à des intensités et des quantités totales de précipitations qui n'étaient pas imaginables hors contexte du changement climatique", relève-t-il. Ainsi, selon le groupe d'experts qui évaluent le lien entre événements météorologiques extrêmes et climat, le World Weather Attribution, des phénomènes tels que le typhon Gaemi, qui a causé 45 glissements de terrain en juillet dans les seules îles des Philippines, ou les pluies de moussons qui ont ravagé l'Etat indien du Kerala ne se seraient pas produits si les activités humaines n'avaient pas fait exploser les émissions de gaz à effet de serre.

Pour citer un exemple plus proche de nous, l'ingénieur évoque la tempête Alex, qui a dévasté les vallées de la Tinée et de la Vésubie en 2020. Quand, dit-il, "l'inimaginable est survenu". Face aux incertitudes concernant le rôle à venir des extrêmes météorologiques sur un écosystème aussi fragile et puissant que la montagne, Serge Taboulot note que "nous ne sommes pas prêts, notamment parce que ce que nous appelons des 'précipitations cinquantennales et centennales' est encore basé sur les critères du siècle dernier. Or, elles se produisent tous les dix ans dans les Alpes, voire tous les cinq ans. Des précipitations centennales d'aujourd'hui, dans notre climat actuel, ça devient vite une catastrophe".


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