La Corse sous la menace de la bactérie tueuse d'oliviers
Sur les hauteurs de Bonifacio, Fabienne Maestracci -56 ans- est très fière de ses 550 oliviers. Ses arbres aux troncs qui s'entremêlent ont pour certains 2.000 ans. Ils ont poussé, tant bien que mal, dans la terre rocailleuse, ils ont résisté aux maladies. Mais depuis plusieurs mois, le spectre de la bactérie tueuse préoccupe cette oléicultrice. La semaine dernière, la redoutable Xylella fastidiosa -c'est son nom scientifique- a été retrouvée à Rungis, sur un plant de caféier originaire d'Amérique centrale. En Italie, dans la région des Pouilles, la maladie est présente depuis 2010. Elle a déjà dévasté des dizaines de milliers d'oliviers.
"On n'a plus du tout le même regard qu'avant sur les oliviers, d'habitude vous cherchez des petites maladies que nous savons combattre. Mais là, on est en permanence en train d'essayer de déceler la moindre suspicion, la moindre trace et c'est angoissant. Je suis allée dans les Pouilles et vous avez des milliers d'arbres qui sont complétement secs. C'est un paysage de cauchemar. Ici, on est à peu près dans la même configuration climatique et géographique que les Pouilles, donc vous imaginez, ici, il faudrait tout couper. Tout ça, ce serait mort " s'inquiète Fabienne Maestracci.
"Si elle arrive, c'est fini"
Ces ennemis que les agriculteurs redoutent, ce sont de minuscules insectes, les cicadelles et les cercopes. Ils contaminent et asphyxient les arbres, les oliviers, bien sûr, mais aussi 200 autres espèces très présentes en Corse. Les risques sont donc démultipliés avertit Agnès Simonpietri, conseillère territoriale du groupe autonomiste Femu a Corsica. "Les cicadelles voyagent et aiment bien se mettre dans les voitures et les bateaux. Il suffit d'une cicadelle pour contaminer 50 plantes différentes. Et en plus on a les conditions idéales pour qu'elle se développe au maximum. Et si elle arrive, avec le couvert végétal qu'on a, ce sera hors de contrôle. Avec le couvert végétal qu'on a, c'est fini ".
Effectivement, parmi les pays contaminés, les Etats-Unis, le Brésil, le Costa-Rica, l'Italie, aucun n'a réussi à se débarrasser de la Xylella. En Italie, en 3 ans, la surface de la zone contaminée a été multipliée par 20. "Quand un foyer est déclaré quelque part, il est pratiquement impossible de l'éliminer " confirme Daniel Sainte-Beuve, responsable des filières végétales à l'office de développement agricole et rural de Corse (Odarc).
Mesures préventives
Comme sur le continent, l'importation de végétaux qui proviennent des zones contaminées est interdite en Corse. Pour s'en assurer, des contrôles sanitaires sont organisés dans les ports et les aéroports de Corse. Exemple avec cette arrivée par bateau d'une quinzaine d'oliviers qu'un pépiniériste a fait venir de Toscane. Mickaël Lecat, directeur de la Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles (Fredon), se charge de l'inspection. "On regarde les feuilles, les desséchements sur les côtés. C'est caractéristique d'une suspicion. En cas de doute, on fait des prélévements qu'on envoie au laboratoire et on consigne la marchandise sur place ". Cela reste un simple contrôle visuel, avec ses limites puisque les premiers symptômes peuvent mettre trois ans à apparaître.
La menace est prise très au sérieux également par les pouvoirs publics. L'alerte à la Xylella figure en première page du site Internet de la préfecture de Corse, avec un numéro vert, pour signaler les cas suspects. Le préfet de Corse, Christophe Mirmand, propose un embargo sur l'importation de tous les végétaux qui viennent d'Italie. Pas seulement en provenance des zones contaminées. "La menace est extrêmement sérieuse si l'on considére les dégâts commis dans les Pouilles par la bactérie. L'ampleur des destructions illustre ce que pourraient être les dégâts ici en Corse en cas d'apparition de la Xylella. Il n'y a pas de traitement identifié et il faudrait envisager des mesures d'arrachage et de destruction des végétaux potentiellement contaminés " prévient le préfet.
Mutisme de Bruxelles
En Corse, plusieurs oléiculteurs s'étonnent de voir que la France gère seule le problème. Louis Cesari, qui produit de l'huile d'olive à Ghisonaccia, critique le silence de l'Union européenne. "Lorsqu'on interpelle l'Europe on a des réponses administratives. Mais ça ne sert à rien, la maladie va continuer à progresser et ce n'est pas le fait de la regarder avec une loupe qui va l'arrêter. Depuis qu'on a cette maladie dans les Pouilles, on n'a rien fait. La maladie a progressé librement et elle n'a pas eu d'entrave ". La liste des épidémies qui ont touché la Corse ces dernières années est déjà longue... Charançon rouge, fièvre catarrhale, cynips, flavescence dorée... Les Corses veulent à tout prix éviter de rajouter une ligne à ce sinistre inventaire.
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