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Reportage #MontéeDesEaux : à Dolus-d'Oléron, "on ne voit pas l'urgence à partir"

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 15min
Le littoral de Dolus-d'Oléron (Charente-Maritime), en novembre 2020. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Confrontée à l'érosion de son littoral ouest et à la montée du niveau de l'océan sous l'effet du réchauffement climatique, la commune est divisée entre partisans de la relocalisation et riverains soucieux de défendre le trait de côte. La question a été au cœur des dernières municipales.

A chaque fois qu'une tempête est annoncée, Anne Boucher, 52 ans, se prépare. Conserves, bouteilles d'eau, radio, piles, corde, gilets de sauvetage... "La base" en cas de problème est stockée au premier étage de sa belle maison blanche aux volets verts de Dolus, sur l'île d'Oléron (Charente-Maritime). "J'ai aussi briefé les enfants, le plus grand sait quoi faire en cas de tempête", poursuit cette mère de deux garçons de 12 et 4 ans. "J'ai vécu en outre-mer et à l'étranger, je sais qu'il faut se préparer un minimum, justifie l'ancienne enseignante. On habite en bord de mer, c'est normal."

>> Cet article fait partie de l'opération spéciale #MontéeDesEaux lancée par franceinfo à l'occasion de la COP26.

L'océan Atlantique est à 300 mètres, derrière les dunes de la Rémigeasse et de la Perroche. La maison, construite en 2008 dans une zone humide, se trouve sous le niveau de la mer, comme 511 maisons de la commune. Sur le plan de prévention des risques naturels, elle est en rouge clair, pour "zones urbanisées en aléa modéré et fort pour l'aléa court terme". Derrière ce jargon administratif, un calcul précis : si la tempête Xynthia de 2010, l'événement de référence, se reproduisait avec un niveau marin plus haut de 20 cm et qu'une brèche se formait dans les enrochements de la côte, la maison d'Anne serait inondée. Ce zonage a été effectué avec les prévisions moyennes de montée des eaux liées au changement climatique du Giec pour 2100 à l'esprit : au moins 28 cm si l'homme réduit très fortement ses émissions de gaz à effet de serre, mais plus probablement 84 cm, voire jusqu'à 1,01 m, au vu de la trajectoire actuelle.

Anne Boucher, habitante de la Rémigeasse, le 24 novembre 2020, à Dolus-d'Oléron (Charente-Maritime) (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

C'est la tempête Xynthia de 2010 et ses 47 morts en France qui ont fait naître les premières inquiétudes chez Anne Boucher. Aucune goutte d'eau salée n'a franchi la dune ce jour-là à Dolus, mais ici aussi la bande littorale a souffert. "Je n'avais jamais envisagé une submersion par la mer avant", confie Anne Boucher. L'étage était plutôt pensé pour prévenir une inondation par le marais qui borde son terrain. L'hiver 2013-2014, connu localement comme celui aux 32 tempêtes, est venu grignoter un peu plus cette barrière entre l'océan et les maisons.

"Un nid à emmerdes"

Au-delà de la menace du réchauffement climatique, la côte ouest de l'île d'Oléron souffre en effet, comme tous les littoraux, d'un phénomène naturel, aggravé par les activités humaines : l'érosion. "Le sud de l'île [inhabité et couvert de forêts] est parmi les endroits qui reculent le plus en Europe, de 15 à 20 m par an. A chaque fois que l'on s'approche d'une embouchure [ici le pertuis de Maumusson, bras de mer entre l'île et le continent], les littoraux sont très mobiles", explique Xavier Bertin, chercheur au CNRS et à l'université de La Rochelle. L'océan n'avance pas à cette vitesse à la Rémigeasse, située quelques kilomètres plus au nord, mais il progresse quand même. Selon les chiffres de la communauté de communes, le trait de côte a reculé de 10 m en 2014 et de 2,8 m en moyenne chaque année de 2013 à 2018. La plage a perdu entre 17 250 m3 et 32 500 m3 de sable. "Si la dune n'est pas protégée et si les ouvrages de défense existants ne sont pas entretenus, on va droit dans le mur, enfin dans l'eau", redoute Anne Boucher.

L'élu de Dolus-d'Oléron (Charente-Maritime) Grégory Gendre, ancien maire de la commune, trace un schéma du littoral dans le sable, le 23 novembre 2020. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Depuis ce fameux hiver 2013-2014, l'avenir de cette dune est devenu un sujet politique brûlant dans la commune, au cœur des dernières municipales. Elu maire au printemps 2014, Grégory Gendre, un écologiste originaire de l'île, passé par le journalisme et Greenpeace, prend la question à bras-le-corps. Le plan local d'urbanisme (PLU), ce document qui planifie l'urbanisme de la commune, doit justement être révisé et le ministère de la Transition écologique vient de lancer un appel à projets pour imaginer le littoral de 2070. "J'en ai parlé directement aux huit maires de la communauté de communes, en leur disant 'Vous avez vu, c'est formidable, il faut qu'on soit site pilote !' se remémore l'élu de 42 ans. Ils m'ont répondu 'Hop, hop, hop, jeune fou, c'est un nid à emmerdes, tu vas avoir tous les habitants et les résidents secondaires [62,4% des logements de la commune] sur le dos."

"Le temps lui donnera raison"

Il en faut plus pour dissuader le nouvel élu, peu rebuté par l'adversité comme l'a montré son combat perdu d'avance contre l'installation d'un restaurant McDonald's dans sa commune. Dans la droite ligne de la stratégie d'adaptation défendue par l'Etat [LIEN PAPIER SOLUTIONS], Grégory Gendre commence à réfléchir, avec l'appui d'organismes gouvernementaux comme le Cerema et le Puca, à un projet de relocalisation, à long terme, des maisons menacées. Il imagine un "algorithme territorial" pour calculer la valeur des biens dans le temps et aider les gens à choisir entre partir et rester. Un terrain est même réservé, à côté du cimetière, à 2,7 km de la mer, pour accueillir les déplacés qui le souhaitent. "C'était l'un des élus les plus impliqués dans l'appel à projets. Il avait un programme intéressant", se souvient Stéphane Costa, géographe à l'université de Caen (Calvados) et président du conseil scientifique de la stratégie nationale de gestion du trait de côte. "Je l'avais trouvé courageux, abonde Stéphane Buchou, député LREM de Vendée et auteur en octobre 2019 d'un rapport parlementaire sur l'avenir du littoral. Le temps lui donnera raison..."

Le lotissement de la Rémigeasse, le 24 novembre 2020, à Dolus-d'Oléron (Charente-Maritime). (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Bien vu sur le continent, Grégory Gendre ne rencontre pas le même succès sur l'île. A la Rémigeasse, son projet hérisse les habitants. Créée en 2014 pour "veiller à la protection du littoral maritime"l'association Protégeons la Rémigeasse (APLR) s'oppose frontalement à ses projets. "Quand il a proposé Oléron 2070, on n'avait rien contre. Mais il ne nous a pas écoutés sur le court terme et ça a clashé", retrace son ancien président, Emmanuel Rudelle, lors d'une promenade sur la plage. Le chirurgien de 60 ans, qui vit à l'année dans l'île depuis 2006, comprend la décision de rendre la zone inconstructible – "Cela nous embête, mais c'est raisonnable" – dans le nouveau PLU, mais estime que "l'existant est là, il faut le préserver". Il pointe également la nécessité de protéger la route, qui est l'une de celle qui conduit au port de la Cotinière, haut-lieu de l'économie locale.

"On ne voit pas l'urgence à partir. Il faut se laisser le temps de réfléchir. On est conscients du réchauffement climatique, mais la mer ne monte pas de 50 cm par an."

Emmanuel Rudelle

à franceinfo

Son successeur à la tête de l'APLR, Alain Kermarrec, 71 ans, est sur la même ligne. "Ce qu'on aimerait, c'est qu'avant de parler de délocaliser, on commence par avoir des idées pour entretenir le littoral, protéger les dunes", appuie cet ancien pompier volontaire, arrivé de Normandie en 2017. Lui non plus ne remet pas en cause la montée du niveau de la mer, mais estime que le lotissement est à l'abri si le sable tient. "Les dunes font plus de 8 m de hauteur, on ne sera plus de ce monde avant que l'eau passe par-dessus, estime-t-il. Il faut écouter les scientifiques, bien sûr, mais peut-être qu'il ne faut pas s'alarmer trop vite non plus."

Emmanuel Rudelle (à gauche) et son successeur à la tête de l'association Protégeons la Rémigeasse, Alain Kermarrec (à droite), le 23 novembre 2020, à Dolus-d'Oléron (Charente-Maritime). (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

L'association demande que les quelques ouvrages de défense existants – des digues de rochers, appelées enrochement – soient entretenus, que les big bags, des grands sacs de sable installés par l'équipe de Grégory Gendre pour protéger la dune mais jugés inesthétiques, polluants et inutiles, soient enlevés et que la dune soit réensablée régulièrement. "Remettre du sable, déplacer une pierre. C'est peut-être un travail de Shadoks, mais ça permet de stabiliser le trait de côte", soutient Emmanuel Rudelle.

Bataille électorale

Adhérente de l'association, qui revendique 110 membres, Anne Boucher aimerait même aller un peu plus loin : "J'ai entendu que la défense en dur, ce n'était pas viable. Mais sur la plage voisine de la Perroche, il y a un mur qui n'a jamais bougé." Avec son mari, elle ne veut pas entendre parler de relocalisation : "Repartir de zéro, ce n'est pas jouable, nous avons encore un emprunt." Et puis, "vendre ici, c'est reporter le problème sur quelqu'un d'autre", estime l'ancienne enseignante.

Un big bag, un sac rempli de sable censé protéger la dune, le 23 novembre 2020, à Dolus-d'Oléron (Charente-Maritime). (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Le style du maire, peu adepte de la langue de bois, achève de le couper définitivement de l'association. "Plutôt que de prendre des pincettes, je l'ai dit, boum", se souvient-il. En réunion publique, l'édile lâche : "Ces 511 maisons, elles n'ont rien à faire là." "Votre collègue du journal local l'a relevé et quand les autres ont vu ça..." raconte Grégory Gendre, qui explique sa saillie par le fait que "les baraques qui posent problème ont été construites dans les années 1970, pour le tourisme de masse".

En 2019, le débat littoral devient électoral. Venu de la commune voisine de Saint-Pierre, un jeune élu Les Républicains, Thibault Brechkoff, se lance dans la course. Sur sa liste figurent trois membres de l'association Protégeons la Rémigeasse : Alain Kermarrec, Dominique Rudelle, femme d'Emmanuel et à l'époque secrétaire de l'association ainsi que Valérie Bougnard, sa cofondatrice. La mairie bascule à droite pour 90 voix, sur près de 2000 votants. "C'est une des raisons pour laquelle on a perdu", estime aujourd'hui Grégory Gendre, en pointant le nombre particulièrement élevé de nouvelles inscriptions sur les listes de la commune.

"C'est la génération du baby-boom, qui a toujours eu l'habitude d'aller de l'avant. Quand un mec comme moi leur dit 'On va reculer coco', c'est comme si je leur demandais de faire marche arrière sur l'autoroute."

Grégory Gendre

à franceinfo

Sur la plage de la Rémigeasse, Alain Kermarrec, qui a depuis démissionné de son poste de conseiller municipal pour incompatibilité personnelle et politique, savoure la victoire de l'association. "La nouvelle municipalité est plus ouverte au dialogue", euphémise-t-il. "On est partie prenante", reconnaît Emmanuel Rudelle, qui a démissionné comme sa femme de toute fonction au sein de l'association. Plus ouvert au dialogue, le nouveau maire semble aussi moins passionné par le sujet que son prédécesseur. Contacté, Thibault Brechkoff a préféré nous orienter vers la communauté de communes. "Beaucoup de choses sont pilotées et travaillées à cette échelle", a-t-il justifié.

Une approche plus prudente

C'est donc Michel Parent, nouveau président de la CDC et maire divers-droite du Château-d'Oléron depuis 1997, qui s'y colle pour présenter la nouvelle approche politique du problème de la Rémigeasse. L'ancien ostréiculteur de 73 ans prévient d'emblée, sans viser l'association avec laquelle il est en bons termes, que "ceux qui pensent avoir une solution pérenne pour cette plage n'y connaissent rien" . "Chaque site mérite ses solutions propres et on y va, je dirais presque, à tâtons", développe-t-il, avant de rappeler "qu'avant, on nous disait qu'il fallait mettre des épis partout, un peu comme les giratoires aujourd'hui, on sait maintenant que ce sont des conneries". Selon l'Office national des forêts, gestionnaire de la dune, la présence d'un de ces ouvrages, des tas de pierres perpendiculaires à la côte, explique en partie les malheurs de la Rémigeasse : le sable s'accumule au nord, sur la plage voisine, et vient à manquer au sud.

Le président de la communauté de communes de l'île d'Oléron, Michel Parent, le 24 novembre 2020, à Dolus-d'Oléron (Charente-Maritime). (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Michel Parent rejette tout nouvel enrochement – "si on met un élément dur, on fait disparaître la plage" – et tout projet de relocalisation – "déplacer la Rémigeasse, ce n'est pas possible, on n'a pas les espaces et le coût serait pharaonique, les gens ont des maisons de famille, ce n'est pas tenable". Il rappelle qu'une partie de l'île est constituée d'espaces naturels classés et protégés. Présent à ses côtés ce matin-là, Sébastien Filatreau, responsable du pôle Littoral et nature à la CDC, ajoute qu'il n'y a de toute façon "pas d'outil juridique pour le faire". La relocalisation, "l'Etat en parle comme une solution phare, mais on ne voit pas grand-chose", cingle ce spécialiste.

L'épis de la Rémigeasse, un ouvrage de défense contre la mer, le 23 novembre 2020, à Dolus-d'Oléron (Charente-Maritime). (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

A la place, les deux hommes envisagent "un réensablement régulier" de la dune, pour environ 50 000 euros, et son entretien pour éviter le piétinement délétère des touristes. Une méthode déjà testée à deux reprises ces dernières années sur la plage voisine de la Perroche, non loin de la maison d'Anne Boucher. "Depuis, je dors un peu mieux", confie la mère de famille. Responsable de l'unité territoriale Charente-Maritime de l'ONF, Jean-Bernard Duprat est moins convaincu. "Ce n'est pas la solution miracle, c'est un palliatif que les communes utilisent", estime ce technicien, plus favorable à un recul : "Les dunes sont par nature mobiles, elles ne sont pas faites pour protéger des habitations (...). Dans les années 1940, personne n'habitait derrière la dune parce que les gens savaient que c'était un milieu hostile." Michel Parent, le président de la communauté de communes, vante, lui, "la meilleure solution", à la fois "souple" et "réversible", utilisée depuis des années dans d'autres villes. Il l'assure : "En réensablant, on ne prend aucun risque." Ni naturel, ni politique...

* Ce reportage a été réalisé en novembre 2020. Depuis notre passage, la communauté de communes de l'île d'Oléron a adopté sa première stratégie locale de gestion de la bande côtière, avec un budget de 2 millions d'euros pour des études et travaux sur les trois prochaines années. Une partie des big bags installés par l'équipe de l'ancien maire ont été retirés.

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