Glyphosate : une spécialiste des pesticides se dit "sans voix" après la proposition de Bruxelles de renouveler pour 10 ans l'autorisation dans l'UE

La toxicologue et directrice de recherche à l'Inrae, Laurence Huc, dénonce un "lobbying extrêmement fort et puissant" qui explique la prolongation de l'autorisation du glyphosate dans l'Union européenne.
Article rédigé par franceinfo
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Une manifestation contre les pesticides à Toulouse, en mai 2022. (ALAIN PITTON / NURPHOTO)

Laurence Huc, directrice de recherche à l'Inrae et toxicologue, s'insurge jeudi 21 septembre sur franceinfo au sujet de la proposition de la Commission européenne de renouveler pour dix ans l'autorisation du glyphosate dans l'Union européenne sous conditions. Cette proposition fait notamment suite à un rapport de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) estimant que le niveau de risque ne justifiait pas d'interdire cet herbicide controversé. Laurence Huc accuse cette étude de "ne répondre à aucun canon scientifique" et se dit même "sans voix" en tant que chercheuse. Cette spécialiste des pesticides dénonce un "lobbying extrêmement fort et puissant". Pour Laurence Huc, cette proposition "de réautoriser le glyphosate n'est pas basée sur des données sanitaires, mais sur des décisions économiques et politiques".

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franceinfo : Dans un entretien à Mediapart hier, vous accusez l'étude de l'Autorité européenne de sécurité des aliments de ne respecter aucun canon scientifique. Que voulez-vous dire par là ?

Laurence Huc : Quand on ignore 90% de la littérature scientifique qui met en évidence des effets toxiques pour la santé humaine et pour la biodiversité du glyphosate, oui ça ne répond à aucun canon scientifique. L'autorité sanitaire ne peut pas prétendre qu'il n'y a pas d'effet sur la santé. La décision de réautoriser le glyphosate n'est pas basée sur des données sanitaires mais sur des décisions économiques et politiques.

Vous évoquez dans cet entretien plusieurs études sur le glyphosate. Pourquoi, selon vous, ne sont-elles pas prises en compte par l'Efsa ?

En tant que scientifique, on en reste sans voix. Il faut rappeler que les travaux de l'Inserm sont [issus d'] une expertise collective. Des scientifiques ont travaillé pendant deux ans. Les conclusions qu'ils ont faites sont basées sur une expertise éclairée, basée scientifiquement. Les autorités ne prennent donc pas leur décision sur la base de la science telle qu'elle a été produite. Quand on lit les rapports [des autorités], selon des prétextes fallacieux, ils excluent les études les unes après les autres. On parle de milliers d'études, on ne peut pas les ignorer. C'est pour ça que je dis dans cet entretien qu'il y a une truanderie.

Est-ce le même mécanisme que l'on peut observer du côté des lobbies, comme celui du tabac ?

Il y a plusieurs façons de produire du bruit : en disant qu'il y a une controverse sur la dangerosité du glyphosate ; il y a la pression des lobbys sur les scientifiques, les experts et les instances ; il y a production d'études truquées, écrites par les industriels qui sont allés acheter des scientifiques pour qu'ils mettent leur nom sur la publication et prétendent qu'il s'agit d'une étude scientifique, pour produire du doute et dire que le glyphosate n'est pas cancérigène. On parle de controverse quand les pouvoirs économiques ne sont pas d'accord avec ce que dit la science.

Dans cet entretien, vous mettez en avant une étude qui note des cancers chez des rongeurs...

Ces données sont très importantes. Des études scientifiques indépendantes ont montré que c'était cancérigène chez les rongeurs. Et quand on regarde précisément les dossiers règlementaires, les études fournies par Bayer et Monsanto, on voit que les rats développent des tumeurs. On voit comment les arguments sont avancés pour ne pas reconnaître ces tumeurs dans leurs propres données et pour conclure ensuite que ce n'est pas cancérigène. Là où il y a un gros problème, c'est que les experts des agences règlementaires laissent passer ce genre de conclusions entièrement écrites par les industriels. [Ce genre d'études sur les rongeurs] sont une base scientifique pour évaluer la nocivité d'une substance. On ne fait pas de l'expérimentation humaine, on fait de l'expérimentation animale et des études sur des cellules. Ça suffit pour autoriser des médicaments, pour prouver la dangerosité de certaines autres substances.

Mais là où c'est dérangeant c'est que lorsqu'il y a des enjeux économiques forts, on va dire que les modèles rongeurs ne sont pas bons. Cette production de doute, ce déni de reconnaissance fait oublier que nous sommes exposés au glyphosate et que l'expérimentation humaine est en cours sur les professionnels, les populations qui vivent à proximité des exploitations agricoles. On a maintenant des données épidémiologiques qui montrent que ça augmente les risques de cancer donc on ne peut plus se permettre qu'il y ait encore des doutes sur la cancérogénicité du glyphosate.

Comment expliquez-vous ce déni sur le glyphosate ?

C'est le plus utilisé, sûrement le moins cher à produire et le plus facile à utiliser. Il y a aussi un lobbying extrêmement fort et puissant.

Pourquoi sortez-vous du silence ?

Mon métier est de vérifier la sécurité des substances. Je travaille sur les pesticides depuis cinq ans, sur les hydrocarbures et la dioxine depuis vingt ans. Je suis indignée [quand je vois qu'il y a] des connaissances scientifiques et que ça ne sert à rien en termes de règlementations et de décision politique.

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