On vous explique pourquoi Paris et quatre grandes villes prennent des arrêtés anti-pesticides symboliques
La loi interdit déjà l'utilisation de produits phytopharmaceutiques chimiques par les collectivités pour entretenir les espaces verts et la voirie. Mais de plus en plus de communes veulent aller plus loin et interdire totalement ces produits.
Elles veulent "faire plier le gouvernement" sur l'utilisation des pesticides. Paris, Lille, Nantes, Grenoble et Clermont-Ferrand ont annoncé, jeudi 12 septembre, que l'utilisation des produits phytosanitaires chimiques sur leur territoire était interdit. Leur objectif est de "faire changer la loi" sur cette question sensible, alors que le gouvernement a lancé une consultation sur la distance minimale d'épandage entre les champs traités et les habitations. Franceinfo vous explique cette décision avant tout symbolique.
Qu'ont décidé Paris, Lille, Nantes, Grenoble et Clermont-Ferrand ?
Ces cinq grandes villes déclarent "élargir" le champ d'interdiction des pesticides chimiques sur leur territoire. "Il s'agit pour nous d'engager une démarche concertée pour faire changer la loi et concourir à la sauvegarde du patrimoine inestimable de la biodiversité sur nos territoires et de la santé de nos concitoyens", écrivent Paris, Clermont-Ferrand, Grenoble, Lille et Nantes dans un communiqué commun.
"L'usage des produits phytosanitaires chimiques sera désormais interdit sur l'ensemble des territoires de nos villes, peut-on lire dans le communiqué. Les différents acteurs concernés seront sensibilisés à ce sujet, par le biais d'une information large que nos villes diffuseront et rappelant les alternatives existantes aux pesticides pour l'entretien des espaces verts."
Avec les maires de Clermont-Ferrand, Grenoble, Lille et Paris, j'ai décidé d'interdire l'usage des #pesticides sur le territoire de la Ville de #Nantes. Retrouvez ci-dessous notre communiqué commun sur le sujet ⤵️ pic.twitter.com/1gBI9OPqHK
— Johanna Rolland (@Johanna_Rolland) September 12, 2019
Est-ce que cela va changer quelque chose ?
La loi interdit déjà, depuis 2017, l'utilisation de produits phytosanitaires chimiques par les collectivités pour entretenir les espaces verts et la voirie. Même interdiction, depuis janvier 2019, pour les particuliers et les jardiniers amateurs, qui ne peuvent utiliser que des produits d'origine naturelle. Il ne reste donc plus que les espaces verts privés non ouverts au public, comme les copropriétés et les terrains gérés par les entreprises. La SNCF, notamment, est une grande utilisatrice de glyphosate pour désherber ses voies et leurs abords immédiats. Pénélope Komitès, adjointe à la maire de Paris, estime que la surface potentielle concernée atteindrait environ 600 hectares dans la capitale. A Grenoble, elle atteint 1 800 hectares.
L'annonce des cinq grandes villes va "contribuer à amplifier le débat", assure de son côté Stéphen Kerckhove, de l'ONG Agir pour l'environnement. "Il faut bien comprendre que les pesticides ne concernent pas que les agriculteurs", a-t-il insisté. "Beaucoup de maires ruraux se sont positionnés, mais cet enjeu est aussi un enjeu des métropoles et des aires urbaines. Sur notre territoire, nous avons des espaces industriels ou des emprises SNCF qui peuvent être encore traités", renchérit Olivier Bianchi, maire de Clermont-Ferrand, auprès de l'AFP.
Ces arrêtés peuvent-ils être contestés ?
Les maires (tous de gauche ou écologistes) savent bien qu'ils s'exposent à des recours des préfets devant la justice administrative, en raison d'un précédent, à Langouët (Ille-et-Vilaine). L'édile Daniel Cueff a pris, en mai, un arrêté très médiatisé interdisant l'utilisation de produits phytopharmaceutiques "à une distance inférieure à 150 mètres" de tout bâtiment à usage d'habitation ou professionnel. La préfecture l'a contesté, considérant qu'il n'est pas dans les attributions d'un maire de prendre une telle mesure. Le tribunal administratif de Rennes a ordonné la suspension de l'arrêté le 27 août.
Mais Daniel Cueff a fait des émules. Selon le Collectif des maires anti-pesticides, 54 communes urbaines ou rurales et le département du Val-de-Marne ont pris de tels arrêtés, sans compter les cinq nouvelles grandes villes. En retour, les préfectures les contestent un par un. Ainsi, deux jours après la décision du tribunal administratif de Rennes, la préfecture du Doubs a saisi la justice pour demander l'annulation de deux arrêtés municipaux pris dans le département (il y en a eu d'autres depuis). Dans le parc naturel régional de l'Avesnois (Nord), la même bataille oppose les maires et l'Etat, sur fond de préservation du bocage.
Qu'en dit le gouvernement ?
La ministre de la Transition écologique, Elisabeth Borne, a dénoncé sur Twitter un "coup de com" en expliquant que les maires se contentent d'appliquer la loi. "Merci à ces cinq communes d'avoir confirmé qu’elles respecteront la loi : depuis le 1er janvier 2017, l’utilisation des pesticides est déjà interdite dans les espaces publics, et depuis le 1er janvier 2019, chez les particuliers..." a-t-elle écrit. Le ministère s'est étonné, en outre, de la volonté de "faire plier le gouvernement" de la part de grandes villes "assez déconnectées des réalités que représentent les problèmes de pesticides pour les communes rurales et agricoles".
Merci à ces 5 communes d’avoir confirmé qu’elles respecteront la loi : depuis le 1er janvier 2017 l’utilisation des pesticides est déjà interdite dans les espaces publics, et depuis le 1er janvier 2019 chez les particuliers... #coupdecom https://t.co/R7vGLRJj9K
— Elisabeth BORNE (@Elisabeth_Borne) September 12, 2019
Quant à Emmanuel Macron, il fait le grand écart. Dans l'affaire de Langouët, le président de la République soutient le maire et en même temps la préfète. Le locataire de l'Elysée souhaite "aller vers un encadrement des zones d'épandage de pesticides", et pointe "les conséquences sur la santé publique". "Donc monsieur le maire, il a raison sur ses motivations", a-t-il estimé. "Je le soutiens dans ses intentions", a-t-il insisté. "Mais je ne peux pas être d'accord quand on ne respecte pas la loi", a-t-il poursuivi.
Pourquoi ce bras de fer entre l'Etat et les communes ?
Lundi, le gouvernement a lancé une consultation pour fixer, dans la loi, une distance minimale entre les champs traités avec des pesticides et les habitations. Les discussions dureront pendant trois semaines. Ce projet est fondé sur les préconisations scientifiques rendues à ce sujet par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) qui demande la mise en place de distances de sécurité, allant de 5 à 10 mètres, entre les surfaces traitées et les habitations, selon les types de culture. Une décision qui reste en travers de la gorge des écologistes qui souhaitent, eux, une interdiction (ou dans certains cas, un encadrement très strict) des pesticides.
"Cinq mètres, c'est ce qui est indiqué sur les bidons de pesticides de synthèse", s'est indigné Daniel Cueff, le maire de Langouët, interrogé par franceinfo. "Ce que le ministre de l'Agriculture est en train de faire, c'est en fait de demander à respecter le mode d'emploi", a-t-il ajouté. Le Collectif des maires anti-pesticides appelle donc à multiplier les arrêtés anti-pesticides et à "submerger" la consultation en ligne, qui a déjà recueilli plus de 11 000 commentaires depuis lundi.
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