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Vidéo Moins de pollution dans l'air mais davantage dans la mer : comment des milliers de bateaux s'adaptent à une nouvelle réglementation

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L'Oeil du 20h : 13 février 2020
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Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
France Télévisions

Les gros navires sont des usines à gaz, parfois capables de rejeter autant d'oxyde de soufre qu'un million de voitures. Mais depuis le 1er janvier 2020, promis juré, les gros bateaux ne polluent presque plus. L'air marin est épargné, mais c'est la mer qui trinque.

A Marseille (Bouches-du-Rhône), comme dans tous les ports et les mers du monde, on se plie à la nouvelle réglementation. Les 60 000 navires qui sillonnent les mers (cargos, paquebots et ferries) ont dû réduire leurs émissions de soufre depuis le 1er janvier, de 3,5% à 0,5%, soit sept fois moins.

Pour rentrer dans les clous, les armateurs avaient le choix : utiliser un carburant moins soufré mais bien plus cher, ou équiper leurs cheminées de scrubbers (épurateurs), sortes de pots catalytiques géants qui utilisent l'eau de mer pour filtrer les gaz d'échappement. Aujourd'hui, des milliers de bateaux traversent les océans en utilisant ce dernier dispositif. Plusieurs armateurs, notamment français, ont choisi d'en installer sur leurs navires : c'est le cas de Corsica Linea, Brittany Ferries ou MSC, par exemple.

Des tonnes d'eaux souillées

Mais ce dispositif pose problème. Dans 70 à 80% des cas, les scrubbers utilisés sont en "boucle ouverte", c'est-à-dire que l'eau de mer est prélevée, pulvérisée dans les cheminées, puis rejetée sans que rien ne soit prévu pour les tonnes d'eaux souillées. Quand on interroge Corsica Linea sur la destination de ces eaux, la réponse est claire : "Directement à la mer". Est-ce que cela revient à déplacer le problème, de renvoyer en mer une pollution émise auparavant dans l'air ? "Non parce que vous avez une réaction chimique qui fait que vous rejetez quelque chose qui est propre", affirme Alain Mistre, directeur exploitation portuaire et environnement de Corsica Linea.

Propre, vraiment ? Ce n'est pas l'avis d'un expert, interrogé par "L'Œil du 20 heures" : "C'est extrêmement corrosif, ce qui ressort, l'acier ne résiste pas s'il n'est pas protégé. Ça fait des trous dans les coques. Vous renvoyez toute l'acidité en mer. Donc au lieu de polluer l'atmosphère, vous polluez la mer." Dans le sillage des scrubbers, des chercheurs ont ainsi trouvé des hydrocarbures ou des métaux lourds, à des niveaux parfois 50 fois supérieurs aux doses normales.

Des conséquences dramatiques pour les mers

A tel point que certains ports et des pays entiers interdisent ces rejets dans leurs eaux. La Chine, Singapour, certains Etats américains, le canal de Panama, mais aussi la Belgique ou Le Havre… Dans ces zones, les navires doivent passer d'un système en boucle ouverte à une boucle fermée, qui réutilise la même eau et stocke les déchets à bord. Ou utiliser un carburant moins polluant. Mais au large, les navires peuvent continuer de polluer en toute légalité.

Avec des conséquences dramatiques sur l'écosystème, selon une étude menée par des biologistes suédois, de l'institut IVL. "Nous avons constaté une surmortalité des microplanctons, et ceux qui survivaient n'arrivaient pas à atteindre le stade adulte. Donc il y a un effet massif sur des micro-organismes qui sont essentiels pour toute la vie marine", constate Kerstin Magnusson, qui a codirigé l'étude.

C'est tout simplement incroyable que sans même chercher à mesurer l'impact que cela aurait sur l'environnement, on ait accepté cette orientation.

Kertin Magnusson

à France 2

De son côté, l'organisation maritime internationale se saisit lentement du dossier, et l'un de ses groupes de travail planche sur un état des lieux des connaissances scientifiques sur le sujet. En France, les autorités ont demandé à la Commission européenne d'interdire purement et simplement les rejets des scrubbers, en vain pour l'instant.

Certains armateurs, dont Corsica Linea ou Brittany Ferries, investissent dans des bateaux fonctionnant au gaz liquéfié. Moins polluants mais beaucoup plus chers, ils restent une goutte d'eau dans un océan de fioul.

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