Espagne: le très lucratif business des dettes
L'Espagne y a cru de toutes ses forces. Le pays allait bien, l'immobilier était florissant et tout le monde a voulu acheter. Les banques, gagnées par cet optimisme contagieux, ont prêté à tour de bras, et même au delà du raisonnable. Et puis ce fut la chute, la bulle immobilière a éclaté, les chantiers se sont arrêtés, les entreprises ont licencié, le chômage est monté, les gens n'ont plus été capables de rembourser les emprunts contractés.
L'Espagne a utilisé 41 milliards d'euros du plan de sauvetage des banques pour recapitaliser ses caisses d'épargne et restructurer le secteur. Les banques, après avoir frôlé le pire (ou être tombées dedans pour certaines), commencent à entrevoir le bout du tunnel. Mais elles conservent, en plus des milliers de maisons saisies, des monceaux de créances de particuliers.
Des banques indélicates
Quand la crise immobilière a éclaté et que les taux sont montés, les propriétaires se sont retrouvés dans l'impossibilité de payer les mensualités de leurs emprunts, les établissements ont saisi des maisons hypothéquées, même si elles étaient déjà partiellement payées. Ils se sont ainsi retrouvés à la tête d'un très important patrimoine immobilier, immobilisant trop de capitaux. Ils ont alors mis en place un système très vicié pour s'en débarrasser en créant des filiales immobilières.
Pour comprendre leur mode de fonctionnement, prenons un exemple fictif. Une maison coûtant 300.000 euros est partiellement payée quand elle est saisie. Le propriétaire a déjà déboursé 200.000 euros et est encore redevable de 100.000 euros quand elle est mise aux enchères. Comme les banques ont déjà récupéré leur argent, la maison est bradée avec une mise à prix aux enchères très basse. La structure immobilière émanant de la banque se porte acquéreur du bien pour 50.000 euros. Et là où le système se révèle tout à fait vicié, sachant qu'il n'existe pas en Espagne de système de dation éteignant la dette, le propriétaire est redevable de la différence restante. Au final, il a payé 200.000 euros, a perdu sa maison, et demeure endetté à hauteur de 50.000 euros.
Les fonds charognards
C'est là qu'entrent en scène ce que les Espagnols appellent les «fonds charognards» (fondo buitres en v.o.).
Ce sont des fonds privés qui rachètent aux banques des lots de créances douteuses et non honorées. Ils les payent à hauteur de 5 à 10% de leur valeur réelle. Deuxième exemple, quelqu'un emprunte 100 euros à une banque, la banque vend cette créance à un fonds charognard pour 5 euros. A lui de se faire rembourser par le débiteur. Autant dire que dès 6 euros, le fonds charognard rentre dans ses frais. La banque, quant à elle, récupère un peu d'argent sur cette créance, alors qu'elle a déjà été renflouée, et donc remboursée, par l'Europe et l'État espagnol. Les deux acteurs de ce marché sont donc bénéficiaires, au détriment de l'Etat (lien en espagnol) et du particulier.
Harcèlement téléphonique
Les fonds charognards usent de tous les stratagèmes (lien en espagnol) possibles pour se faire rembourser ces dettes en déshérence. Ils disposent d'armées de «prospecteurs» téléphoniques, touchant souvent un pourcentage sur ce qu'ils rapportent (ça motive !). Ceux-ci appellent, jusqu'à ce que le débiteur stressé et épuisé s'engage à payer. Ce sont des personnes pressantes, limite menaçantes, usant d'un pseudo-jargon juridique, qui appellent à n'importe quelle heure pour impressionner, voire faire peur au débiteur. Peu importe que certaines dettes soient totalement caduques ou éteintes, que le particulier n'ait pas un sou vaillant, le but est de le faire payer. Plus l'affaire est vieille et pas hors de prix, plus il est facile de négocier. En effet, rappelez-vous de l'exemple lu plus haut, dès six euros, le fonds est bénéficiaire.
Certains se font donc fort d'expliquer aux victimes en délicatesse avec leur créancier, comment limiter les dégâts du remboursement.
Les recettes de la riposte
De véritables petits manuels de survie bancaire fleurissent sur la Toile espagnole. Cela va des conseils pour obtenir le meilleur rabais, à la façon de passer carrément sous les radars de détection en apprenant à vivre sans compte bancaire (lien en espagnol).
Négocier
Le premier conseil consiste à patienter. Plus le créancier attend, plus il est enclin à négocier. Les «conseillers» assurent qu'il est possible d'arriver a une décote de 80%, et donc de vous acquitter de seulement 20% de la somme dûe. Des personnes, interrogées par Géopolis, affirment avoir réussi à obtenir 70% de rabais, pas plus. Il suffit de proposer de payer la somme immédiatement et d'un seul coup, à la seule condition d'une très importante réduction, assez facilement obtenu dans ces conditions.
Compte à zéro
Pour mettre en oeuvre une autre solution, il faut diposer d'un compte en banque et d'une carte de débit (contrairement à la France où les gens disposent de cartes de crédit). Il suffit de laisser ce compte en permanence à zéro. Et quand une facture est présentée, après le refus de la banque face à un compte vide, votre créancier se signale. Il ne vous reste alors qu'à provisionner le compte de la somme exacte en en informant le créancier, qui représente dans la minute sa facture pour être payé et le tour est joué.
Ne plus avoir de compte en banque
L'absence de compte bancaire est assez compliquée, mais dans un pays où il est encore possible de se faire payer son salaire en liquide, c'est pratiquement jouable. Il suffit alors d'être un peu prévoyant et de se débrouiller pour disposer d'espèces en toute occasion. Pour contrer ces paiements possiblement au noir, puisqu'en liquide, l'Etat à interdit de payer plus de 2.999 euros en liquide, sauf a donner une quantité dissuasive de justificatifs.
Qu'à cela ne tienne, fractionnez vos versements pour rester dans les clous. Les gens proposent donc souvent plusieurs paiements, correspondant à plusieurs factures, toutes en dessous de 2.999 euros.
Alors que l'Espagne se félicite d'être pratiquement sortie de sa crise bancaire, il semblerait que la réalité soit un peu moins glamour. Les banques, après s'être fait payer deux fois leurs pertes, envisagent de faire une troisième culbute en les défiscalisant. Mais pendant ce temps, l'avenir semble nettement moins riant pour les Espagnols de base.
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