: Récit Inondations en Espagne : comment des régions entières ont plongé dans le chaos après des pluies diluviennes
Il suffit de jeter un œil aux images pour mesurer l'ampleur de la catastrophe inouïe qui s'est abattue sur la région de Valence (Espagne). Dans l'avenue Gomez-Ferrer, à Sedavi, des dizaines de voitures chavirées et cabossées s'amoncellent dans une casse improvisée, aussi spectaculaire que terrifiante. Tous ces véhicules ont été dégueulés par le courant d'une eau furieuse, qui a submergé la ville en raison des pluies diluviennes. En seulement huit heures, il est tombé 500 litres au mètre carré sur la région, résume ce jeudi 31 octobre sur franceinfo le météorologue Patrick Marlière. Soit l'équivalent de onze mois de précipitations à Paris.
Les opérations de recherche de survivants se poursuivent toujours dans le sud-est de l'Espagne, alors que le bilan des inondations monstres qui ont frappé le pays faisait état d'au moins 158 morts, selon un bilan des service de secours jeudi à 16 heures. Par ailleurs, de nombreuses personnes sont toujours portées disparues. "Nous savons qu'il y a des endroits (...) où il peut y avoir des gens dans les garages, dans les sous-sols, des gens qui sont allés chercher leurs véhicules", a commenté jeudi la ministre de la Défense, Margarita Robles, deux jours après le début des intempéries meurtrières.
Eric Primas, un entrepreneur français, vit sur les hauteurs de Valence. Mardi soir, il aperçoit la dépression se rapprocher, avec davantage et davantage de force. "On voyait des tunnels qui se formaient dans les rues avec des tornades qui se formaient. Ça volait de partout." Des éclairs éclatent, suivis de grêlons. Des pluies diluviennes forment enfin de "grands rideaux de pluie". Cet homme raconte à franceinfo être sorti aux alentours, avec une lampe torche, et avoir secouru plusieurs automobilistes qui n'arrivaient pas à s'extraire de leurs véhicules. Il aperçoit une jeune conductrice. "Elle me regardait. J'ai essayé de tirer sur la poignée, mais je n'ai rien pu faire. Ça a glissé. Cette voiture est partie dans la nuit." Il ignore ce qu'elle est devenue.
La situation devient rapidemernt catastrophique dans toute la région. Le gouvernement central met en place une cellule de crise, qui se réunit pour la première fois dans la soirée. L'Andalousie, dans le sud du pays, est également touchée. Un train à grande vitesse transportant 276 passagers déraille en raison des intempéries, sans faire de blessé. A Alora, après le débordement d'une rivière, les services d'urgence secourent des dizaines de personnes, certaines par hélicoptère, rapporte l'Agence France-Presse.
"L'usine où je travaille a été détruite"
Des personnes sont d'abord portées disparues à L'Alcudia, près de Valence, et à Letur, dans la région voisine de Castille-La Manche. Un poste de commandement avancé est installé dans le village, mercredi, et les militaires y croisent la Croix-Rouge ou des politiques de passage. "Notre fonction, c'est de chercher", explique l'un des 40 pompiers sur place. "Nous partons du point où l'on a vu pour la dernière fois la personne, puis on descend la rivière, et on remonte." Son équipe a alors déjà découvert une personne en vie et une autre décédée.
A ce stade, les autorités recensent déjà une cinquantaine de morts, mais le bilan grossit d'heure en heure. La situation est particulièrement difficile pour les personnes les plus fragiles. A Sot de Chera (Communauté valencienne), quand la médecin du village se retrouve isolée à son domicile, la garde civile vient la récupérer par hélicoptère, pour qu'elle puisse continuer de prendre soin des habitants, comme le montre une vidéo publiée sur X par les forces de l'ordre. Selon les autorités, les secours effectuent dans la journée de mercredi un total de 70 sauvetages par hélitreuillage et 200 opérations terrestres dans la région de Valence.
La circulation est perturbée en de nombreux endroits. La garde civile demande aux habitants de ne jamais franchir de routes inondées, car l'aspect de l'eau, marron et opaque, peut masquer sa profondeur. Elle partage également quelques croquis à garder en tête, si des automobilistes se retrouvaient bloqués dans leur habitacle. Les écoles sont fermées jusqu'à nouvel ordre. Au plus fort des coupures, plus de 150 000 personnes sont privées de courant mercredi dans la région de Valence. Le stade de Mestalla, d'ordinaire théâtre des joutes du club de foot de la ville, est transformé en plateforme logistique pour venir en aide à la population.
La commune d'Utiel, située davantage dans les terres, est particulièrement touchée. "La pluie est tombée sans s'arrêter de 17 heures à 5 heures" , témoigne Emilio Muñoz, un septuagénaire interrogé par l'AFP, qui vit près du rio Magro. "L'eau est rentrée dans ma maison et a tout retourné. Tout est à jeter !" Même le lustre en cristal de sa salle à manger est recouvert de feuilles et d'arbustes, témoignant de la force des éléments. De nombreuses maisons baignent dans la boue. Les habitants empilent leurs meubles et leurs appareils électroménagers dans la rue.
A Ribarroja del Turia, commune de 22 000 habitants limitrophe de Valence, les trombes d'eau tombées durant la nuit ont fait sortir de son lit la rivière Turia et pris au piège de nombreux habitants, coincés dans leurs voitures ou dans leurs logements. Des centaines de salariés ont dû passer la nuit dans leur entreprise, faute de pouvoir rentrer chez eux. "J'ai beaucoup d'amis qui ont tout perdu. Leur maison, leur voiture, ils ont tout perdu... L'usine où je travaille a été détruite. C'est difficile, parce qu'on ne sait pas ce qui va se passer maintenant", confie à l'AFP José Manuel Rellan.
La situation est encore plus dramatique à Paiporta, 25 000 habitants. Dans la soirée, une femme est filmée alors qu'elle est emportée par les eaux. Cette ville est considérée comme l'épicentre des inondations, avec au moins 45 morts, dont une mère et son bébé de 3 mois. Le lendemain, la crue a laissé la place à des carcasses de voitures enchevêtrées, des arbres arrachés, des pylônes et des câbles renversés par terre. Et à la boue, qui recouvre la ville.
Des scènes déchirantes
Tandis que les secouristes en tenue orange cherchent encore des disparus, des machines doivent venir déblayer la route pour permettre aux camions grues de retirer les véhicules et mettre fin à l'isolement de la commune. "Je me suis senti tellement impuissant, raconte Salvador Torres, rencontré par franceinfo. La rue, ce n'était que de l'eau, qui montait, qui montait... Ma voiture était là, juste devant. L'eau l'a soulevée à l'autre bout de la rue". L'eau a même infiltré un supermarché jusque dans les rayons, où la police autorise la population à se servir sans payer.
La situation en Andalousie suscite également l'inquiétude, autour de Cadix notamment, où plusieurs rues sont inondées. Plus d'un millier de personnes sont secourues depuis lundi dans la région, à l'image d'un couple de personnes âgées coincé dans sa maison inondée, secouru par les airs près de Séville. Une cinquantaine de routes régionales sont fermées, dont celle qui relie Séville à l'aéroport. Le niveau de la rivière Tamarguillo est suivi comme le lait sur le feu.
En attendant, les autorités demandent aux Espagnols de ne pas se rendre à Valence ce week-end, même en l'absence de nouvelles pluies. Certaines routes sont effondrées ou bloquées, des chaussées sont couvertes de sédiments et des véhicules bloquent parfois le passage. La décrue continue de livrer des scènes déchirantes, et le nombre de victimes devrait encore évoluer dans les heures qui viennent. Au milieu des voitures et des camions à l'arrêt, sur un tronçon de l'A3 bloqué depuis deux jours, une journaliste du quotidien El Pais entend des cris et des pleurs. En s'approchant, elle aperçoit un homme soutenu par deux amis, qui vient de découvrir son père âgé de 83 ans, mort au volant de son véhicule. Il repart dans une voiture maculée de boue, inconsolable.
Un deuil de trois jours, décrété mercredi, entre en vigueur jeudi dans le pays. Le drapeau espagnol est mis en berne au palais de la Zarzuela, la résidence royale, et une minute de silence est également observée au ministère de la Défense. Au même moment, le président du gouvernement, le socialiste Pedro Sanchez, rend visite au centre de coordination d'urgence de Valence.
"Les inondations du siècle", selon la presse
Les premières polémiques n'ont pas mis longtemps avant d'apparaître. Le message d'alerte du service de Protection civile a été envoyé mardi après 20 heures, alors que l'agence météorologique avait émis une "alerte rouge" dès le matin. Pourquoi un tel délai ? La Communauté valencienne et les services de l'Etat central se renvoient la balle.
La police nationale annonce jeudi avoir arrêté 39 personnes suspectées d'actes de pillage commis notamment des centres commerciaux d'Aldaia et d'Alfafar. Dans le même temps, plus de 1 200 militaires sont toujours déployés sur le terrain, principalement dans la région de Valence, aux côtés de pompiers, policiers et secouristes qui cherchent à localiser d'éventuels rescapés et s'efforcent de déblayer les zones sinistrées. Pour autant, l'épisode météorologique "n'est pas encore terminé", affirme le roi Felipe VI, dans une allocution prononcée vers midi. La Protection civile envoie d'ailleurs un message d'alerte aux habitants de la province de Castellon, au nord de Valence, pour leur demander de rester chez eux et de préférence en hauteur.
La presse espagnole et le Premier ministre espagnol qualifient désormais ces intempéries d'"inondations du siècle". En effet, jamais un tel phénomène n'avait fait autant de victimes en Espagne depuis les 300 morts d'octobre 1973, rappelle l'AFP. La région de Valence et la côte méditerranéenne espagnole subissent régulièrement, en automne, le phénomène météorologique de la "gota fria" (la "goutte froide"). Cette dépression isolée en haute altitude provoque des pluies soudaines et extrêmement violentes, parfois pendant plusieurs jours.
Face à l'ampleur du drame, beaucoup d'observateurs appellent à revoir les règles d'urbanisme et à penser autrement la bétonisation des territoires. Plus de 470 000 personnes vivent dans le bassin du Jucar, qui couvre une partie de la Communauté valencienne, et donc dans des zones potentiellement inondables, rappelle le journal ABC . En attendant des jours meilleurs, Pedro Sanchez a lancé un message clair et limpide aux habitants de la région de Valence : "Restez chez vous".
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