LE LIVRE. 1936, Léon Blum pouvait-il empêcher la seconde guerre mondiale?
Ce livre, «Un été impardonnable», écrit par Gilbert Grellet, ancien correspondant de l’AFP en Espagne, raconte comment en décidant la politique de «non-intervention» en Espagne, le gouvernement de Front populaire conforte indirectement Hitler et lui confirme que les démocraties sont incapables de bloquer ses visées hégémoniques en Europe. Un récit sans pitié pour Blum, l'icône socialiste, durement confronté à l'horreur des conséquences de sa politique.
L'ouvrage n'est pas qu'historique et la question de l’intervention militaire dans un pays étranger est d’actualité. La France est présente militairement dans plusieurs pays, Syrie, Irak et Mali. Une position qui fait débat mais qui est assumée par le gouvernement. D'ailleurs, Manuel Valls, qui signe la préface du livre, en profite pour rappeler que lui mène une politique interventionniste, semblant critiquer par la même celle menée par Blum (mais oubliant au passage que l'interventionnisme actuel a été très flou et évolutif en Syrie) et que la situation internationale est loin d'être là même.
Le mot «impardonnable», qui sert de titre au livre et qui est repris par Valls, a été prononcé devant l’auteur par des survivants des Brigades internationales lors d'une cérémonie du souvenir en 2006. Soixante dix ans après les événements, ceux-ci reprochaient toujours à la France du Front populaire sa politique de non-intervention, alors qu'il aurait pu, selon eux sauver la République espagnole avec une aide rapide et décisive.
Front populaire en France et en Espagne
Février 1936, le Front populaire gagne les élections et arrive au pouvoir en Espagne dans une Europe où l’Italie et l’Allemagne sont déjà dominées par le fascisme et le nazisme. En France, le gouvernement Blum s’installe en juin 36 après la victoire de la gauche aux élections d’avril 36. Survient le coup d’Etat en Espagne. Le gouvernement républicain espagnol, rapidement en danger, demande l’aide de la France doublement proche, politiquement et géographiquement. Quelques armes rejoignent l’Espagne grâce à des personnalités du gouvernement comme Pierre Cot, Jules Moch ou Vincent Auriol.
Mais pour Blum, humaniste et social-démocrate convaincu, la situation n’est pas simple. Tout d’abord sa majorité est fragile et la plupart de ses alliés radicaux au gouvernement ne sont pas très chauds (voire franchement hostiles) pour aider le gouvernement espagnol. De plus, les souvenirs de la boucherie de 14-18 ne sont pas loin et personne ne veut aviver les tensions avec l’Allemagne et l’Italie qui très vite s’engagent auprès des putchistes espagnols. Sans parler du poids de la presse réactionnaire et surtout des conservateurs anglais au pouvoir pour qui mieux vaut Franco que les Rouges. Résultat Londres menace de laisser la France seule en cas de conflit avec l’Allemagne.
Du coup, Blum se rallie à l'idée (hypocrite) de faire signer à tous les pays un pacte de « non-intervention » dans la crise interne de l’Espagne…mettant les deux camps sur le même plan. Et pendant que les démocraties (France, Londres) négocient avec Berlin et Rome cette neutralité et jouent le jeu, les deux dictatures déversent armes et munitions (et hommes) dans le camp de Franco. Et ce ne sont pas les témoignages sur les massacres commis par les colonnes fascistes parmi la population des villes conquises (le livre revient sur les massacres oubliés de Badajoz ou Tolède) qui le font changer d'avis. Au point que Mauriac écrit «La non-intervention, il faut l’avouer, au degré de fureur où le drame a atteint, ressemble à une complicité ».
L’auteur du livre montre comment Blum se débat entre son attachement socialiste et sa peur de menacer la paix, quitte à modifier les faits et à faire semblant de ne pas voir les armes allemandes et italiennes rejoindre l’Espagne. Il montre aussi comment une personnalité comme Churchill n’avait pas compris les enjeux de la guerre d’Espagne. Son anticommunisme primaire le rendait aveugle aux ambitions allemandes à cette date. Position qu’il corrigera par la suite. On lui doit en effet le fameux « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur, vous aurez la guerre » qu’il adressa à Chamberlain après la conférence de Munich en 38.
Phrase qui pourrait cruellement s’adresser à Blum.
Un été impardonnable
de Gilbert Grellet
Editions Albin Michel
280 pages
20 euros
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