Allemagne : on vous explique pourquoi l'AfD, puissant parti d'extrême droite, est menacé d'interdiction
La foule défile dans la rue en Allemagne. Plus de 1,4 million de personnes, selon les organisateurs, ont manifesté, samedi 20 et dimanche 21 janvier, contre le parti d'extrême droite AfD (Alternative für Deutschland, Alternative pour l'Allemagne en français). Des défilés ont parcouru de nombreuses grandes villes (Berlin, Munich, Francfort, Bonn, Cologne...), mais aussi des localités de taille beaucoup plus modeste.
En cause : la révélation par la presse, début janvier, d'une réunion d'extrémistes à Potsdam, où un projet d'expulsion massive de personnes étrangères ou d'origine étrangère a été discuté en présence d'élus du parti. L'affaire a relancé le débat sur une éventuelle interdiction du parti d'extrême droite, de mieux en mieux placé dans les sondages.
Un projet d'expulsion massive de personnes
Le 10 janvier, un article du média d'investigation allemand Correctiv (dont une traduction en français est accessible sur Mediapart) révèle la tenue, fin novembre, d'une réunion "secrète" dans un hôtel de Potsdam, près de Berlin. Des membres de l'AfD, des donateurs du parti et des figures de la mouvance identitaire radicale, comme l'Autrichien Martin Sellner, participaient à cette rencontre. Ce dernier y a dévoilé un projet d'expulsion de deux millions de personnes d'origine étrangère en Afrique du Nord – y compris de citoyens naturalisés considérés comme "non assimilés". Les personnes "soutenant les réfugiés" étaient aussi concernées, selon Correctiv.
Le projet "n'est pas sans rappeler le projet des nationaux-socialistes de déporter quatre millions de juifs vers l’île de Madagascar en 1940", souligne Correctiv. La ministre de l'Intérieur, Nancy Faeser, a, elle, estimé que cette réunion rappelait "l'horrible conférence de Wannsee", où les nazis planifièrent en 1942 l'extermination des juifs européens. Et ce, alors que la rencontre de Potsdam s'est tenue à seulement huit kilomètres de la villa de la conférence de Wannsee.
"Le parallèle paraît évident", estime Hélène Miard-Delacroix, professeure d'histoire et de civilisation de l'Allemagne contemporaine à Sorbonne Université, auprès de France Culture. "L'idée formulée derrière est qu'il y aurait un peuple allemand pur, qui n'est pas bien défini, mais qui considère que toute arrivée de personnes étrangères serait à l'origine des problèmes que rencontre l'Allemagne actuellement."
L'AfD minimise son soutien au projet
De son côté, le parti d'extrême droite anti-immigration a confirmé la présence à la réunion de certains membres de l'aile radicale du mouvement. Mais l'AfD a précisé qu'ils étaient présents à titre personnel, et a nié adhérer au projet porté par Martin Sellner. Pourtant, le terme de "remigration" est utilisé par le parti, et figure dans son programme pour les élections européennes.
Après les révélations de Correctiv, le parti a même publié des visuels sur X défendant son idée et figurant des images d'avions sous des slogans tels que "La remigration est inévitable". "Nous ramènerons les étrangers dans leur pays. Des millions de fois. Ce n'est pas un 'plan secret'. C'est une promesse", a aussi écrit sur X le député de l'AfD René Springer.
D'importantes manifestations quotidiennes
Cette révélation a secoué l'Allemagne, alors que l'AfD ne cesse de progresser dans les sondages. Le parti pourrait obtenir au moins 20% des suffrages aux élections européennes, dans moins de six mois. Et il est crédité de plus de 30% des voix à huit mois de trois importantes élections régionales dans l'est du pays, en Saxe, en Thuringe et dans le Brandebourg.
Depuis, des dizaines milliers de personnes ont manifesté quotidiennement dans des dizaines de villes allemandes, dont le chancelier social-démocrate, Olaf Scholz, et la ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock. Des responsables politiques, des représentants religieux et des entraîneurs de la Bundesliga, le championnat de football allemand, ont aussi appelé la population à se mobiliser contre l'AfD, estimant que tout plan visant à expulser des personnes d'origine étrangère constituait une attaque contre la démocratie.
Un débat autour de l'interdiction de l'AfD
Les voix demandant l'interdiction de l'AfD se multiplient. Une pétition en ce sens a obtenu plus de 700 000 soutiens. Le député démocrate-chrétien (CDU) Marco Wanderwitz a entamé une campagne pour convaincre ses collègues – la première étape du processus d'interdiction consistant à réunir la signature de 5% des élus du Parlement. "L'Etat a le devoir d'étudier une éventuelle interdiction de l'AfD", a aussi estimé Wolfgang Thierse, ex-président social-démocrate du Bundestag.
En 2017, la Cour constitutionnelle allemande s'était opposée à l'interdiction de l'extrémiste Parti national démocrate (NPD), considérant "que ce parti était bien hostile à la Constitution par son programme et ses objectifs", mais "que [son] petit nombre [de partisans] ne constituait pas un danger", relève la chercheuse Hélène Miard-Delacroix auprès de France Culture. A l'inverse, l'AfD dispose d'un large soutien.
Mais le lancement de la procédure d'interdiction – très longue et compliquée – est vu d'un œil sceptique par la plupart des observateurs, qui craignent qu'un échec nourrisse davantage la popularité de l'AfD. "Le meilleur moyen de combattre l'extrémisme, c'est sur le terrain politique, pas devant les tribunaux", a ainsi estimé le chef de file de la CDU, Friedrich Merz. Pour Carsten Schneider, membre du gouvernement Scholz, "vouloir interdire un parti qui ne nous convient pas, mais est durablement installé à un niveau élevé dans les sondages, ne peut que créer un réflexe de solidarité à son égard". "S'il est prouvé qu'un parti veut transformer le pays en un Etat fasciste, il doit être interdit, quelle que soit sa force", a néanmoins considéré le vice-chancelier écologiste Robert Habeck dans un entretien au magazine Stern.
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