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Allemagne: pourquoi des procès d'anciens nazis aussi tardifs
Le tribunal de Lunebourg (Allemagne) juge jusqu'en juillet 2015 Oskar Gröning, ancien comptable du camp d’extermination d’Auschwitz, quelque 70 ans après les faits. Pourquoi un procès aussi tardif ? Et d’une manière générale, comment s’est fait le processus de dénazification Outre-Rhin? Eléments de réponse avec Stefan Martens, directeur adjoint de l’Institut historique allemand de Paris.
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Temps de lecture : 4min
Comment la dénazification a-t-elle été menée en Allemagne?
Dans les années 40-50, le processus de dénazification a été mené par les Alliés notamment avec les procès de Nuremberg. Mais en Allemagne, cette justice a été vécue comme étant celle des vainqueurs. Dans le même temps, le processus a été ressenti comme trop systématique. Les Américains ont ainsi envoyé des questionnaires à des millions de citoyens. Mais on ne pouvait pas épurer tout le monde. Résultat : cette étape de la dénazification a été un échec.
Il faut dire aussi qu’à la même époque, les juristes des années 30-40, qui avaient donc connu le nazisme, étaient encore en place. Il y avait donc une certaine hésitation de leur part à travailler sur la période nationale-socialiste. D’une manière plus générale, au sein de cette génération, on se disait qu’on avait survécu et qu’il fallait reconstruire le pays. L’affaire est donc complexe.
De plus, avec la Guerre froide, les anciens cadres du régime nazi sont devenus intéressants pour les Alliés. C’est comme cela que Klaus Barbie a été recruté par les Américains et a pu échapper à la justice française.
Cela n’a pas contribué à rendre la justice sur les crimes nazis…
Tout au long des années 50, les questions concernant le jugement de ces crimes ont été mises de côté. Celles-ci n’intéressaient pas l’opinion. Seuls les cas spectaculaires ont été jugés. La France a un peu connu la même chose avec les lois d’amnistie de 1951 et 1954 : il s’agissait de contribuer à un retour à la normale.
La situation a commencé à évoluer à la fin des années 50, avec la création en 1958 de l’office central d’enquête sur les crimes du nazisme à Ludwigsbourg. Celui-ci a centralisé les recherches menées par les systèmes judiciaires des Länder (régions de la République fédérale d’Allemagne, NDLR). 6000 personnes ont ainsi été recensées. Mais faute de personnel et de moyens, l’office n’a pu mener que 600 enquêtes.
En 1958, un procès a permis de juger à Ulm 10 membres des Einsatzgruppen, responsables de la «Shoah par balles» dans les territoires occupés. Puis entre 1963 et 1965 a eu lieu à Francfort le «procès d’Auschwitz», initié par le procureur de la ville, Fritz Bauer. Ces deux actions judiciaires ont eu une action pédagogique auprès de l’opinion allemande.
Quelle a été la réaction de la jeune génération?
Dans le même temps, on a assisté à la naissance d’un certain esprit critique lié à la réaction des jeunes contre la génération de leurs parents. Avec la question : «Qu’avez-vous fait à l’époque du nazisme ?»
La difficulté de juger les criminels nazis a été renforcée par un problème juridique. Au départ, la loi allemande ne permettait que de juger les auteurs de crime pouvant être confrontés à leurs victimes, et les coupables d’assassinat aggravé. Avec une prescription au bout de 20 ans.
En 2002, la loi internationale a été changée. (Le nouveau texte prend désormais en compte la notion de «crimes contre l’humanité», permettant de prendre en compte la dimension collective de l’extermination, avec une gradation des responsabilités, NDLR). Cela a ainsi permis d’élargir le champ des recherches, et de juger les sous-fifres, ceux qui n’étaient pas responsables au premier niveau. Mais qui ont permis à l’administration nazie de fonctionner. On a ainsi pu juger en 2011 un ancien garde du camp de Sobibor en Pologne, John Demjanjuk. Pour les historiens, ce processus permet d’aider à déterminer l’échelle des responsabilités.
Dans les années 40-50, le processus de dénazification a été mené par les Alliés notamment avec les procès de Nuremberg. Mais en Allemagne, cette justice a été vécue comme étant celle des vainqueurs. Dans le même temps, le processus a été ressenti comme trop systématique. Les Américains ont ainsi envoyé des questionnaires à des millions de citoyens. Mais on ne pouvait pas épurer tout le monde. Résultat : cette étape de la dénazification a été un échec.
Il faut dire aussi qu’à la même époque, les juristes des années 30-40, qui avaient donc connu le nazisme, étaient encore en place. Il y avait donc une certaine hésitation de leur part à travailler sur la période nationale-socialiste. D’une manière plus générale, au sein de cette génération, on se disait qu’on avait survécu et qu’il fallait reconstruire le pays. L’affaire est donc complexe.
De plus, avec la Guerre froide, les anciens cadres du régime nazi sont devenus intéressants pour les Alliés. C’est comme cela que Klaus Barbie a été recruté par les Américains et a pu échapper à la justice française.
Cela n’a pas contribué à rendre la justice sur les crimes nazis…
Tout au long des années 50, les questions concernant le jugement de ces crimes ont été mises de côté. Celles-ci n’intéressaient pas l’opinion. Seuls les cas spectaculaires ont été jugés. La France a un peu connu la même chose avec les lois d’amnistie de 1951 et 1954 : il s’agissait de contribuer à un retour à la normale.
La situation a commencé à évoluer à la fin des années 50, avec la création en 1958 de l’office central d’enquête sur les crimes du nazisme à Ludwigsbourg. Celui-ci a centralisé les recherches menées par les systèmes judiciaires des Länder (régions de la République fédérale d’Allemagne, NDLR). 6000 personnes ont ainsi été recensées. Mais faute de personnel et de moyens, l’office n’a pu mener que 600 enquêtes.
En 1958, un procès a permis de juger à Ulm 10 membres des Einsatzgruppen, responsables de la «Shoah par balles» dans les territoires occupés. Puis entre 1963 et 1965 a eu lieu à Francfort le «procès d’Auschwitz», initié par le procureur de la ville, Fritz Bauer. Ces deux actions judiciaires ont eu une action pédagogique auprès de l’opinion allemande.
Quelle a été la réaction de la jeune génération?
Dans le même temps, on a assisté à la naissance d’un certain esprit critique lié à la réaction des jeunes contre la génération de leurs parents. Avec la question : «Qu’avez-vous fait à l’époque du nazisme ?»
La difficulté de juger les criminels nazis a été renforcée par un problème juridique. Au départ, la loi allemande ne permettait que de juger les auteurs de crime pouvant être confrontés à leurs victimes, et les coupables d’assassinat aggravé. Avec une prescription au bout de 20 ans.
En 2002, la loi internationale a été changée. (Le nouveau texte prend désormais en compte la notion de «crimes contre l’humanité», permettant de prendre en compte la dimension collective de l’extermination, avec une gradation des responsabilités, NDLR). Cela a ainsi permis d’élargir le champ des recherches, et de juger les sous-fifres, ceux qui n’étaient pas responsables au premier niveau. Mais qui ont permis à l’administration nazie de fonctionner. On a ainsi pu juger en 2011 un ancien garde du camp de Sobibor en Pologne, John Demjanjuk. Pour les historiens, ce processus permet d’aider à déterminer l’échelle des responsabilités.
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