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Allemagne : pourquoi tant d’«intransigeance» vis-à-vis de la Grèce?

«Intransigeance» : le qualificatif revient souvent hors d’Allemagne pour qualifier le comportement de l’Allemagne, et de la chancelière Angela Merkel, face à la Grèce. Passage en revue des raisons qui expliquent l’attitude allemande.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
La chancelière allemande Angela Merkel, le président français François Hollande (de dos) et le Premier ministre grec Alexis Tsipras le 12 juillet 2015 à Bruxelles (AFP - John MACDOUGALL)

En avril 2015, le Parti socialiste français n’hésitait pas à égratigner l’occupante de la chancellerie, évoquant «l’intransigeance égoïste de la chancelière Merkel, qui ne songe à rien d’autre qu’à l’épargne des déposants outre-Rhin, à la balance commerciale enregistrée par Berlin et à son avenir électoral». Caricature ou réalité ?
 
Le poids de l’histoire
Qu’on le veuille ou non, l’Allemagne reste hantée par le spectre de l’inflation de 1923. Comme le rappelle La Tribune, le 15 novembre 1923, «il fallait 2500 milliards de marks pour un dollar». Une époque «où il fallait une brouette de billets pour affranchir une lettre»… Plus de 90 ans après, on peut penser que l’affaire est loin. Pour autant, cette période dramatique, qui précède de dix ans l’arrivée du nazisme au pouvoir, reste un traumatisme dans la mémoire collective du pays. Et «un élément structurant de la pensée outre-Rhin».
 

Billet allemand de 20 milliards de marks émis pendant la période de l'inflation en 1923 (AFP - ALFREDO DAGLI ORTI / THE ART ARCHIVE / THE PICTURE DESK)

Dans ce contexte, la stabilité monétaire est, aujourd’hui, un enjeu essentiel. «Il est donc naturel de retrouver cette vision de l’économie dans la conception de l’Europe. Dans les esprits allemands, l’Union européenne est perçue comme un acteur de régulation qui règlemente la stabilité budgétaire, la concurrence…», observe Henrik Uterwedde, chercheur au DFI (Institut franco-allemand de Ludwigsburg).

Et l’Allemagne étant la principale puissance économique de l’Union, elle a forcément marqué de son empreinte et de sa rigueur les institutions de l’UE. Notamment ses institutions économiques et financières comme la BCE, et la mise en place de l’euro avec le traité de Maastricht. De ce point de vue, «les Grecs ont (…) choqué l’Europe en truquant les statistiques et en vivant pendant (des années) au-dessus de leurs moyens», estime Henrik Uterwedde.

L’attitude de l’opinion allemande
D’une manière générale, les Allemands apparaissent massivement opposés à un nouveau plan d’aide à la Grèce. Il n’y a qu’à voir certains titres du quotidien populaire Bild, le plus fort tirage de la presse d’outre-Rhin, pour s’en convaincre. Comme celui de cet article du 27 avril 2010 : «Pourquoi payons-nous des retraites de luxe aux Grecs ? C’est si bon d’être retraité en Grèce». Même si d’autres journaux, tel le réputé Spiegel, insistent sur «le mythe des retraités de luxe grecs»

Clichés ou pas, la CDU de la chancelière Angela Merkel, et les sociaux-démocrates du SPD, les deux partis de la coalition gouvernementale, ne peuvent donc pas facilement faire l’impasse sur l’état d’esprit de l’opinion. D’autant qu’ils regardent avec inquiétude la montée en puissance du parti AfD et celle du mouvement anti-immigrés Pegida.

Le niveau institutionnel et les rapports de force politiques
On l’oublie un peu vite, mais l’Allemagne est un régime parlementaire. En clair, «le gouvernement doit obtenir l’aval du parlement pour engager des discussions avec ses partenaires européens pour débloquer un plan d’aide envers la Grèce. (…) De plus, avant d’engager l’argent public allemand, le gouvernement doit également passer devant les députés pour valider un plan d’aide», constate Henri Uterwedde.

Autrement dit, la coalition au pouvoir doit prendre en compte les équilibres politiques au sein de sa majorité. Or celle-ci est tiraillée entre le centre gauche, en clair les sociaux-démocrates du SPD, et les éléments droitiers de la CDU-CSU, qui peuvent chasser sur les mêmes terres que l’AfD, voire Pegida…

Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, à Francfort le 9 juillet 2015 (REUTERS - Ralph Orlowski)

Wolfgang Schäuble, dur des durs
Un seul homme incarne à lui seul la fermeté allemande face à la Grèce depuis cinq ans : Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances, 72 ans, décrit par Le Point comme l’«austère gardien de la rigueur monétaire». «Il ne cesse de répéter que sans volonté crédible de réformes en profondeur l'Europe ne déliera pas pour la troisième fois les cordons de sa bourse pour venir en aide à la Grèce», ajoute l’hebdomadaire.

Au-delà, celui qui fut ministre à l’époque du chancelier Helmut Kohl, explique : «Ce ne sont pas les règles qui importent. C’est la confiance. (…) C’est un problème de confiance mutuelle». Sous-entendu : celle-ci n’existe pas…
   
Schäuble, 72 ans, qui se déplace en fauteuil roulant, est très respecté dans l’opinion allemande et caracole dans les sondages. Un facteur qu’Angela Merkel ne peut donc pas rayer d’un trait de plume. Une anecdote le prouve : lors des festivités du 70e anniversaire de la CDU le 29 juin 2015, le premier a été acclamé par les militants. Pas la seconde…

Eléments moraux et religieux ?
Certains observateurs et acteurs politiques de gauche mettent aussi parfois en avant, chez la fille de pasteur protestant qu’est Angela Merkel, une éventuelle attitude religieuse et morale vis-à-vis de l’austérité.

La chancelière «a le sens du péché, comme beaucoup de ses compatriotes. Il y a une manière allemande de parler de l’euro qui fleure bon l’influence du Temple. Et qui n’est évidemment pas sans conséquences sur les solutions avancées pour secourir l’union monétaire européenne», écrit ainsi le journaliste Alain Frachon dans Le Monde.  

«Dans une union monétaire bancale, comme l'est la zone euro, le mal, c'est la dette, résultat d'une gestion désinvolte et folklorique des finances publiques», comme on l’a vu avec la Grèce. «Accumulée au fil des ans, (cette dette) jette le discrédit sur la monnaie : elle mine la confiance dans toute la zone». Et Alain Frachon de poursuivre : «La sanction est là pour dissuader. Elle doit être lourde pour enlever au pécheur l'envie de recommencer».

A ce niveau, certains observateurs rappellent que l’Allemagne a la mémoire courte. Berlin oublierait ainsi un peu vite que l’accord de Londres, en 1953, avait permis à la RFA d’annuler plus de 60 % de sa dette. Et parmi les créanciers concernés, il y avait… la Grèce.

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