La cathédrale de Reims bombardée en 1914: réactions en France et en Allemagne
Les premières informations qui circulent sont dramatiques. «Une horrible main l’a écorchée vive. (…). La cathédrale de Reims n’est plus qu’une plaie», écrit le grand reporter Albert Londres, dans un article du Matin resté fameux.
Alors que les combats font rage sur le front (entre le 6 août et le 3 septembre, il y aurait eu 320.000 morts côté français), l’émotion est à son comble. Les Allemands ont agi «sans pouvoir invoquer même l’apparence d’une nécessité militaire, pour le seul plaisir», dénonce le lendemain le ministre français des Affaires étrangères, Théodore Delcassé. «Le Gouvernement de la République a le devoir de dénoncer à l’indignation universelle cet acte révoltant de vandalisme qui, en livrant aux flammes un sanctuaire de notre histoire, dérobe à l’humanité une parcelle incomparable de son patrimoine artistique», ajoute-t-il (cité par un mémoire de maîtrise sur le sujet, soutenu dans la capitale champenoise en 1998).
«Reims est le berceau et le baptistère de la nation française, saint Remi est le père de la nation et de la monarchie très chrétienne… Fusion des sangs, fusion des pensées, fusion des sentiments et par conséquent des vouloirs… voilà, n’est-ce pas, ce qui fait une nation ?», explique le cardinal Alfred Baudrillart, recteur de l’Institut catholique de Paris, le 30 septembre.
Même Marcel Proust
Toute l’élite intellectuelle est à l’unisson.
Le philosophe Henri Bergson dénonce «la brutalité et le cynisme de l’Allemagne, dans son mépris de toute justice et de toute vérité, une régression à l’état sauvage».
Dans ce contexte, on ne s’étonnera pas de la réaction d’un écrivain nationaliste comme Maurice Barrès dans L’Echo. «Ils s’acharnent à cette minute sur le lieu où de barbares nous fûmes nommés Français, où nous fûmes sacrés comme les héritiers légitimes des antiques civilisations. Ils veulent nous atteindre à notre source même et nous frapper symboliquement dans notre racine».
Dans les milieux de gauche, on n’est pas en reste. Dans les colonnes de La Guerre sociale, Anatole France, un des piliers du camp dreyfusard, écrit : «Les barbares ont incendié, en invoquant le dieu des chrétiens, un des plus magnifiques monuments de la chrétienté. Ils se sont ainsi couverts d’une infamie immortelle, et le nom allemand est devenu exécrable à tout l’univers pensant». Propos surprenants chez un écrivain connu pour son anticléricalisme.
De son côté, Marcel Proust évoque, à Noël 1914 (Lettres à sa voisine, Gallimard), «le désastre de Reims» comme «un crime (…) froidement conçu». Mais le grand écrivain se place sur un plan esthétique: à ses yeux, le bombardement du monument est un «crime» contre l’art. «La guerre est la guerre et nous ne pleurons pas qu’une humanité de pierres. Mais celle de Reims dont le sourire semblait annonciateur de celui de Vinci, dans ses draperies qui rappelaient, à confondre l’esprit, la plus belle époque de la Grèce antique», poursuit-il. Et de dénoncer «la diminution humaine qui sera consommée le jour où s’écrouleront à jamais les voûtes à demi incendiées» sur les anges du monument.
Propagande
Pour autant, les premières descriptions des dommages ont été exagérées, comme le montreront, par la suite, les commissions d’enquête envoyées sur place. D’où il ressort que l’affaire a notamment été récupérée par la propagande. Laquelle entend ainsi «contribuer au sursaut patriotique par une dramatisation du récit de la guerre et des souffrances des populations civiles, sensibiliser les opinions publiques internationales pour un ‘‘procès en barbarie’’ de l’adversaire germanique», analyse un article du site de la Mission du centenaire 14-18.
Il s’agit aussi de «réconcilier implicitement les deux France laïque et religieuse qui s’étaient si durement affrontées moins de dix ans plus tôt» à l’occasion de la séparation des Eglises et de l’Etat. En clair : l’heure est à l’union nationale, au-delà des convictions des uns et des autres.
Les opinions internationales, elles aussi, semblent choquées, du moins si l’on en croit certaines réactions de presse.
«Le Kaiser a surpassé le crime impie de Louvain en détruisant la glorieuse cathédrale de Reims, noble héritage d’un âge de foi, appartenant non à la France seule, mais au monde entier», écrit ainsi le Times, journal publié dans un pays, la Grande-Bretagne, alliée à la France. «Ce joyau d’architecture et de sculpture cher à la France (…) est réduit en cendres par les grenades allemandes. Le monde civilisé en souffrira comme d’un inconcevable délit», peut-on lire dans La Stampa italienne (l’Italie est alors officiellement neutre).
Les réactions allemandes
En Allemagne, on cherche à minimiser les dégâts. Les Français «nous ont forcés eux-mêmes à attaquer la ville par tous les moyens nécessaires. Sur l’ordre du commandant supérieur de l’armée allemande la cathédrale devait être épargnée tant que l’ennemi ne l’utiliserait pas à son profit», explique le gouvernement du Reich. «Toutefois, nous avions constaté qu’il y avait sur la tour un poste d’observation grâce auquel s’explique l’efficacité de l’artillerie ennemie sur notre infanterie. Nous avons été obligés de supprimer ce poste (…). Ainsi que nous avons pu l’observer, les tours et l’extérieur de la cathédrale sont indemnes», ajoute-t-il.
De son côté, l’hebdomadaire satirique berlinois Kladderadatsch publie une caricature, qu’aujourd’hui l’on qualifierait de plus que douteuse : on y voit «le détail racial d’un tirailleur noir en train de tirer, allongé au milieu des tours de l’édifice», au milieu d’un fatras regroupant notamment la Vénus de Milo et la Joconde Avec ce commentaire : «Comme la cathédrale de Reims leur a déjà servi de couverture, les rusés Français utiliseront bientôt le contenu du Louvre comme matériel de retranchement».
De Gaulle et Adenauer à Reims
Par la suite, les réactions se feront plus modérées. «La destruction appelle la reconstruction comme la défaite appelle la revanche… Les beaux-arts ont leurs blessés qu’il faut guérir…», observe le chartiste Maurice Prou.
Ce qui sera fait après la guerre sous la direction de l’architecte Henri Deneux. Lequel va utiliser une technique de béton armé pour reconstruire la charpente du monument. Et ce n’est pas le moindre des symboles que le 8 juillet 1962, le général de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer assistent côte à côte à une messe célébrée dans la cathédrale pour marquer la réconciliation franco-allemande…
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