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Manifestations d'extrême droite en Allemagne : "On touche à un tabou et ça fait très peur dans le pays"

Pour Hélène Miard Delacroix, spécialiste de l'Allemagne, les Allemands de l'Est "n’ont pas fait le chemin d’apprentissage démocratique et de recul sur le passé nazi".

Article rédigé par franceinfo
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Un millier de militants d'extrême droite ont manifesté jeudi 30 août à Chemnitz (Allemagne) pour dénoncer la politique migratoire d'Angela Merkel et réclamer son départ. (ODD ANDERSEN / AFP)

Plus d’un millier de militants d'extrême droite ont de nouveau défilé jeudi 30 août à Chemnitz, en Allemagne. Cette ville de la région de la Saxe, dans l'ex-RDA, est devenue l’épicentre de la contestation anti-migrants, après le meurtre d’un Allemand de 35 ans le week-end dernier, pour lequel la justice soupçonne deux jeunes irakien et syrien. L’extrême droite demande le départ de la chancelière Angela Merkel. "On touche à un tabou et ça fait très peur en Allemagne en ce moment"a expliqué sur franceinfo Hélène Miard Delacroix, professeur à la Sorbonne, spécialiste de l’Allemagne contemporaine.

franceinfo : Dans ces manifestations, on entend des références au national-socialisme d'Adolf Hitler, qu'est-ce que cela dit de l'extrême droite en Saxe et en Allemagne ?

Hélène Miard Delacroix : Ce sont des tactiques à la fois des groupuscules d'extrême droite, ouvertement néo-nazis et de la version bien présentable de la droite populiste de l'AFD [Alternative pour l'Allemagne], qui joue beaucoup sur les mots. Ce n'est pas par hasard si Hitler, dans les années 1920, avait inventé le national-socialisme [Parti national-socialiste des travailleurs allemands], justement pour donner l'impression aux gens que c'était deux choses respectables. Et là on voit comment les cartes sont brouillées, on touche à un tabou et ça fait très peur en Allemagne en ce moment.

L’AFD est un parti qui est entré au Bundestag, est-ce qu’il cautionne ces groupuscules et les soutient ?

L’agitation est organisée par l’AFD, qui sait très bien donner une forme de respectabilité à un vocabulaire et des gestes inadmissibles. Ces manifestations ont lieu trois ans après la décision d’Angela Merkel de ne pas fermer la route des Balkans et d’accueillir les migrants dans le pays. Les choses sont parfaitement organisées. Et pour cet anniversaire, on voit arriver dans la rue une population un peu instable, qui a peur et qui fantasme beaucoup sur la présence des étrangers dans le pays, avec en plus un potentiel de violences très fort des groupuscules néo-nazis dont on sait qu’ils existent depuis les années 1990 en ex-RDA.

On a l’impression qu’Angela Merkel est disqualifiée sur cette question des migrants ?

Elle est difficilement audible, alors qu’on sait très bien aujourd’hui que l’afflux massif de réfugiés s’est fait entre l’été 2015 et mars 2016. Depuis, il n’en arrive pas plus en Allemagne qu’avant 2015. Et pourtant, c’est devenu une arme contre la chancelière. Aujourd’hui se pose la question de savoir si une région comme la Saxe, qui organise sa police, a les effectifs suffisants pour faire face à cette foule qui se déchaîne dans les rues. C’est aussi la bonne occasion qui fait le larron. L’homme qui a été poignardé, apparemment par deux migrants, est d’origine cubaine et d’extrême gauche. Il n’est pas dans le schéma de la victime de l’extrême droite qui défend sa nation. Mais il est Allemand et on joue sur cet élément alors que si les gens qui descendent dans la rue voyaient la photo de ce monsieur, ils diraient 'c’est un étranger'.

Pourquoi l’extrême droite est-elle plus implantée en Saxe ?

Il y a d’abord un raison historique. La population d’Allemagne de l’Est, et en particulier les adultes, n’ont pas fait le chemin d’apprentissage démocratique et de recul sur le passé nazi comme cela a été le cas à l’Ouest. Ils ont aussi l’impression d’être en décalage, de ne pas toujours bien comprendre ce qu’il se passe. Il y a toujours cette vision que les élites sont à l’Ouest et sont mondialisées, alors on se replie sur sa région, l’ensemble où on se sent bien. Si cela se passe à l’Est, c’est aussi un phénomène géographique, les gens sont un peu comme les Polonais et les Hongrois dans leur façon de réagir. On voit donc qu’il existe des régions en Europe, dont les frontières sont glissantes.

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