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Belgique: le parti «Islam» constitue-t-il une menace?

En Belgique, «Islam» est le nom d’un micro-parti controversé fondé en 2012. Ses dirigeants appellent à la création d’un État islamique outre-Quiévrain. Ce parti est sous le coup d'une procédure d’interdiction, engagée par la droite belge.
Article rédigé par Valentin Pasquier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
  (Francois Lenoir)

«La charia, je suis pour. C’est un combat de longue haleine, ça va prendre des décennies, mais le mouvement est lancé», expliquait en 2012 Rédouane Ahrouch, tout juste élu aux municipales. Son parti, baptisé «Islam» (pour «Intégrité, solidarité, liberté, authenticité et moralité») réalisait ainsi une première : faire élire deux conseillers municipaux dans les communes bruxelloises - équivalents d'arrondissements - de Moolenbeek et Anderlecht.

Les principaux dirigeants d'«Islam» en 2012: (de gauche à droite) son président Abdelhaye Bakkili-Tahiri et ses deux conseillers communaux Rédouane Ahrouch (Anderlecht) et Lhoucine Aït-Jeddig (Molenbeek-Saint-Jean). (DR / capture d'écran)


Alors qu’il faisait campagne pour une meilleure représentation des musulmans, le tout jeune mouvement a ainsi pris un virage inquiétant : il se dit alors ouvertement favorable à l’établissement, à long terme, d’un «État islamique» dans le plat pays.

Une levée de boucliers
Aussitôt, une pétition visant à interdire ce parti, jugé «extrémiste» et «antidémocratique», est mise en ligne par des associations (elle ne l'est plus, NDLR). Appuyée par des formations de droite et d’extrême-droite, elle recueille plus de 20 000 signatures. Mais c’est un échec : «Islam» ne s’est rendu coupable d’aucun délit. Le parti est conforme à la Constitution belge, qui interdit «tout mouvement politique pratiquant la discrimination, d’incitation à la haine ou la violence», indique Régis Dandoy, enseignant à l’Université catholique de Louvain.

 

Le parti «Islam» veut imposer la Charia en Belgique (RTL Belgique, décembre 2012)

La compatibilité d’«Islam» avec la Constitution, c’est justement ce que le député-bourgmestre Philippe Pivin, issu du Mouvement Réformateur (MR, droite libérale), veut remettre en cause. Il se dit scandalisé par un communiqué d’«Islam», daté du 14 juillet 2016, une date que l'élu estime «malheureusement évocatrice, surtout pour les Français» depuis les événements de Nice.

Dans ce communiqué, «Islam» déclare vouloir présenter, en vue des municipales de 2018, des listes dans les 19 communes que compte Bruxelles-ville. Dont Koelkelberg, la commune de Philippe Pivin. Joint au téléphone par Géopolis, il détaille la procédure qu’il a engagée. «Notre groupe a déposé une proposition de révision de la Constitution (est concerné l'article 11, Titre II, NDLR). Cela interdira à ce genre de mouvement de se prévaloir de la liberté d’expression pour promouvoir des activités non-démocratiques».

Le député-Bourgmestre libéral Philippe Pivin en séance plénière à la chambre fédérale, en octobre 2015. (NICOLAS MAETERLINCK / BELGA MAG / BELGA)

 
Pour couler «Islam», le député-bourgmestre dispose aussi d’une arme économique: une loi de 1994, sur le contrôle du financement des partis politiques belges. «Ils doivent émaner de personnes physiques, explique-t-il. Or nous avons tout lieu de penser qu’Islam reçoit un soutien financier du régime iranien ». Les responsables du parti avaient été félicités par l’organisation chiite Al Ul-Bayt à l’issue des élections de 2012, puis invités à Téhéran. Une amitié embarrassante pour le petit parti, qui souhaite fédérer les musulmans de Belgique… à grande majorité sunnite.

Une polémique exagérée?
Pour le politologue Régis Dandoy, l’arsenal déployé contre «Islam» semble excessif: «vouloir interdire Islam s’apparente à de la stratégie politique (après le drame de Nice), tout comme les débats sur la déchéance de nationalité. L'interdiction de ce parti ne changera rien aux résultats électoraux puisqu’"Islam" est presque inexistant ! »

Le chercheur souligne que la formation islamique ne dispose d’aucune médiatisation : les partis traditionnels et les médias belges ont pour habitude d’ignorer les formations les plus extrémistes. «Si nous ne prenons pas de mesures maintenant, que pourrons-nous dire quand il sera trop tard ?, rétorque l'homme politique. Ce qui nous pend au nez ne présage rien de bon, au vu de ces discours haineux que prônent ces gens».
 
Pour le moment, ce que prône officiellement «Islam» dans son programme se limite à l’instauration de menus halal dans les cantines, de congés le vendredi et pour les jours de fêtes confessionnelles, ainsi que l’autorisation du port du voile dans les établissements scolaires. Le discours de ses élus est bien plus inquiétant. «Il faut y aller tout doucement, sensibiliser les gens, montrer l’avantage d’avoir des dirigeants et des lois islamiques, déclarait Rédouane Ahrouch à la RTBF en 2012. On aboutira tout naturellement à un État islamique (…) en Belgique.» Avant d'aller encore plus loin, dans une interview à la Dernière heure, en novembre 2012: «Il est trop tôt à l'heure actuelle, la société n'est pas prête, on devrait couper trop de mains...»

Un tract distribué par «Islam» aux Bruxellois fin décembre 2015. (DR / capture d'écran)


Un parti «sans avenir»
Représentants de deux communes bruxelloises à forte population musulmane, les deux élus d’«Islam» n’ont pas vraiment eu, en quatre ans de mandat, d’influence sur la politique municipale. Mais s’il y en a une, elle reposerait «sur des petits coups de pub, selon Régis Dandoy. Ils se démarquent par une attitude volontairement provocatrice, refusent par exemple de serrer la main aux femmes». De même lors d'un débat télévisé en 2012 sur la chaîne RTL (vidéo ci-dessus), Rédouane Ahrouch avait reconnu avoir refusé d'être maquillé par une femme.

A nouveau, le parti fait parler de lui en octobre 2013 en recrutant Laurent Louis, une personnalité politique célèbre en Belgique pour son opportunisme et son discours extrêmement populiste. La mayonnaise ne prend pas: ce proche de Dieudonné est éjecté d'«Islam» à peine un mois après y être entré.

Laurent Louis (3e à gauche) a fait partie d'"Islam" en septembre 2013. Il dirige actuellement Debout les Belges... parti situé à l'extrême-droite. (DR / capture d'écran)


De plus, on peut estimer que la communication du parti laisse à désirer : il est impossible de joindre quiconque aux numéros affichés sur leur site, toujours nommé «islam2012 .be». Le lien du compte Twitter est quant à lui erronné. La seule mise à jour du site, depuis les régionales de mai 2014 (où «Islam» n'a remporté aucun siège), est une lettre ouverte du président du parti, Abdelhaye Bakkali-Tahiri, publiée suite à l'attentat de Bruxelles en mars 2016.

Il incite ces lecteurs à ne pas permettre aux «terroristes, souvent issus de ces mêmes pouvoirs qui prétendent les dénoncer, (d'être, NDLR) présentés comme les représentants de l'Islam.» Concernant la ligne politique du parti, Rédouane Ahrouch entretient la confusion: il la qualifie tantôt d'«islamique», tantôt d'«islamiste».

Sur Facebook, «Islam» s'est plusieurs fois désolidarisé du groupe État islamique. (DR / capture d'écran)

 
Dans l’électorat qu’il vise, «Islam» est perçu comme un parti extrémiste, analyse Régis Dandoy. Une grande majorité des musulmans belges a voté pour les formations traditionnelles lors des municipales de 2012 et les régionales de 2014, observe-t-il: «Les sociaux-chrétiens et les socialistes ont déjà intégré dans leurs rangs un grand nombre de candidats musulmans. Ils ont aussi beaucoup œuvré pour la communauté islamique». Il ajoute: «Il est logique que les musulmans orientent leurs votes vers ceux qui ont fait leurs preuves, plutôt que vers un petit parti qui a mauvaise presse. Les grands partis n’ont aucun tabou concernant les religions. Tant que cela continue, "Islam" n’a pas d’avenir».

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