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Cologne: à l'origine des violences,un rapport vicié aux femmes importé en Europe
Les centaines d'agressions sexuelles survenues dans la nuit du nouvel an à Cologne mettent en lumière la situation des femmes dans le monde arabe. Le silence initial sur ces exactions révèle un débat piégé: l'impossibilité de dénoncer des actions inacceptables de peur de se faire taxer de racisme. Ne pas fermer les yeux sur ce qui s'est passé, n'implique pas de fermer sa porte aux réfugiés.
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Dans la nuit du 31 décembre 2015, à Cologne, ville rhénane réputée pour sa convivialité et son sens de la fête, un phénomène étrange et inédit en Allemagne, s'est produit. A l'intérieur de la gare, mais aussi sur la grande place devant l'édifice, un «comité d'accueil» d'un genre très particulier attendait toutes les femmes présentes.
Comme le décrit Lisa C. tombée dans la nasse, avec trois de ses amies, en descendant d'un train: «La place était noire de monde. Que des hommes. Les mêmes. Excités, arrogants, éméchés, menaçants. On en a eu le souffle coupé. Ils étaient sur nous. On ne pouvait plus bouger.» Ces près de 2000 hommes, décrits comme maghrébins ou moyen-orientaux, ne se contentent pas d'encercler les femmes de façon menaçante, poursuit Lisa dans l'article d'Annick Cojean, dans Le Monde. Elle et ses trois amies subissent sur les 50 mètres qui les séparent de leur destination «des dizaines de mains qui se saisissent de son corps, lui pressent les fesses, les seins, le cou, le visage, tentent de s’introduire sous la veste, se glissent entre ses jambes».
Des plaintes pour agression sexuelle (et quelques viols) commenceront à affluer dès le 1er janvier et se compteront, au fil des jours, par centaines pour la seule ville de Cologne. Sauf que le phénomène ne s'est pas cantonné uniquement à la capitale rhénane, il a été constaté dans douze des seize Länder (les Etats régionaux allemands) combiné à des vols, notent le quotidien Süddeutsche Zeitung et les chaînes de télévision locales NDR et WDR, citant un rapport de la police judiciaire allemande (BKA), et aussi dans d'autres pays européens.
Pourtant, à partir du moment où les faits, si inédits qu'ils ont pu paraître, ont commencé à filtrer, ils ont tout de suite sonné comme «déjà vus» (ou entendus) à beaucoup de personnes. Le modus operandi ressemblait à s'y méprendre à celui décrit par de nombreuses femmes présentes Place Tahrir, au Caire, en janvier 2011, lors du printemps arabe égyptien. Les victimes : des journalistes occidentales, mais aussi des femmes égyptiennes s'étaient retrouvées réduites à l'état de proies à chasser.
Misère sexuelle et rigorisme
Ces faits sont le reflet de deux phénomènes distincts qui se conjuguent. Tout d'abord, ils révèlent une extrême misère sexuelle de la jeunesse du monde arabe, comme le détaille le journal belge Le Vif, engendrant une frustration telle, qu'elle ne demande qu'à s'exprimer par n'importe quel moyen. De plus, la crise économique fait que les jeunes diplômés ou pas, citadins ou ruraux, ont les plus grandes difficultés à trouver un travail et ne peuvent donc pas prendre femme, et dans ces pays où l'un ne va pas sans l'autre, pas d'épouse implique pas de sexualité.
Deuxième phénomène, la sexualité des musulmans régie et verrouillée par un islam de plus en plus rigoriste. Hommes et femmes sont poussés à vivre dans des mondes séparés, la mixité étant perçue comme une invite à la débauche, dans ce contexte, une femme occidentale, peut être vue comme «facile», voire «offerte». Eric Conan dans Marianne cite le mufti de Sydney qui déclarait, en 2006 : «Si vous placez de la viande dans la rue sans la couvrir et que les chats viennent la manger, qui doit-on blâmer, les chats ou la viande à l'air ?» Mais n'oublions pas pour autant, que les premières victimes sont avant tout les femmes des pays arabes. Ainsi en Egypte, selon un rapport des Nations unies réalisé en 2013, 99% des femmes et jeunes filles égyptiennes disent avoir été victimes de harcèlement sexuel.
Une frustration sexuelle que la négation du corps féminin ne calme pas pour autant. On pourrait croire que ce corps dissimulé, drapé, caché, n'est plus désirable, alors que dans la réalité il devient fantasmé, et n'en est que plus convoité. Djamila Benhabib dans son livre L'automne des femmes arabes détaille : «Dans les rues (ici tunisiennes, NDLR), les femmes ne passent jamais inaperçues. Leurs corps se remarquent, sont scrutés, découpés au scalpel par les regards insistants des hommes. On les examine soit pour les rabaisser, soit pour les désirer.» Mais elle démontre aussi jusqu'où va l'appropriation du corps de la femme en citant ce qu'il advint a plusieurs d'entre elles au bout de plusieurs jours de manifestations place Tahrir.
La police a réagi pour reprendre la situation en main, «elle a alors multiplié les arrestations avec force bastonnades. Pour les manifestantes arrêtées commence un cauchemar : le test de virginité.» Comme le dit l'écrivaine, «avec les tests de virginité, leur sexe devient une propriété d’État. (...) Un médecin payé par l’armée pour farfouiller dans le sexe des femmes, est-ce vraiment choquant ? Leur sexualité est déjà l’affaire de tous.» Et elle poursuit: «En faisant de la sexualité des femmes l’affaire de tous, ceux qui s’entichent de pureté et d’abstinence fusionnent la sphère privée et la sphère publique.»
Sortir la femme de la sphère publique
Et c'est là que les voix d'autres femmes s'élèvent haut et fort pour alerter l'Occident du danger qui le guetterait, qui plus est, de son propre fait. Il consiste à tenter de minimiser ou de taire les faits survenus à Cologne, Hambourg, Stuttgart, Zurich, Stockholm etc. Cela serait, selon elles, la pire erreur à ne pas commettre. Car, dans leur peur de passer pour racistes ou ou se faire taxer d'«islamophobie», plusieurs autorités (politiques ou police) ont essayé de ne pas divulguer les exactions commises ou leur ampleur, d'où ce retard dans la prise de conscience de ce qui s'était réellement passé à Cologne. Quand d'autres ont tenté de déplacer la faute sur les victimes plutôt que leurs auteurs, comme le laissent entendre les préconisations de respecter «une certaine distance, plus longue que le bras» dans la rue, prodiguées aux femmes par Henriette Reker, la maire de Cologne.
Au-delà des femmes
Or, selon la sociologue algérienne Marieme Helie Lucas le phénomène n'est pas nouveau. L'idée qui présiderait à ce type de comportement serait de renvoyer la femme, toutes les femmes, le genre féminin dans son entier, hors de la sphère publique, dans son foyer.
Selon cette sociologue, «nous nous égosillons pourtant depuis trois décennies à pointer du doigt des similitudes qui seraient éclairantes politiquement (...) d’abord des attaques contre les droits légaux des femmes (pour demander un droit spécifique "musulman" en matière familiale, une ségrégation sexuelle dans les hôpitaux, les piscines, etc.), conjointement avec des demandes particularistes en matière d’enseignement (cursus adapté, non laïc), puis des attaques ciblées contre les contrevenantes indisciplinées (filles lapidées, brûlées) et contre tout laïc rebaptisé ‘kofr’ (journalistes, comédiennes, Charlie), enfin des attaques indiscriminées contre tout comportement qui ne correspond pas à l’idéal intégriste (Bataclan, terrasses de café, match de foot, etc.) (des musulmans peuvent y être tués puisqu"ils n'observent pas la religion en se trouvant dans ces lieux, NDLR).»
Ne fermer ni les yeux...
Elisabeth Badinter ne dit pas autre chose dans Marianne (il n'y a que des extraits dans le lien, l'interview entière est dans le magazine papier, NDLR) quand elle fustige la réaction à rebours qui a consisté à prioriser les causes à défendre «sur le thème surtout "pas de racisme, on ne sait pas encore exactement ce qu'il s'est passé". Que sa (la maire de Cologne NDLR) première attention soit pour des hommes – qu'il aurait fallu protéger du racisme car venus de l'étranger – et pas pour les femmes...» a particulièrement choqué la philosophe.
Elle est la première à convenir que «ces voyous qui ont violenté des femmes, c'est un coup de couteau dans le dos des réfugiés», mais pour autant «il va falloir trouver le moyen d'exposer clairement à des personnes qui ne sont pas de culture européenne ce que l'on peut faire ou ne pas faire dans nos pays, notamment vis-à-vis des femmes.»
...ni la porte
L'écrivain algérien Kamel Daoud tire des conclusions du même ordre au regard des événements de Cologne et des réactions qu'ils ont suscitées. Dans La Repubblica (lien en italien), il explique qu'«il faut offrir l'asile au corps mais aussi convaincre l'âme de changer. L'Autre vient de ce vaste univers douloureux et affreux que sont la misère sexuelle dans le monde arabo-musulman, le rapport malade à la femme, au corps et au désir. L'accueillir n'est pas le guérir.» Et de conclure que «s'il ne faut pas tuer la solidarité, la compassion et l'humain en maintenant l'accueil de réfugiés qui ne peuvent être réduits à cette minorité délinquante, pour autant il y a des valeurs a imposer, à défendre et faire comprendre.»
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