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COP 21: l'engagement citoyen contre le renoncement politique

A quelques semaines de la COP 21, rendez-vous décisif pour l'avenir de la planète, paraît une série d'ouvrages. «Climat: la guerre de l'ombre», de Yannick Jadot, illustré par Léo Quievreux, raconte à travers de nombreux exemples cette bataille entre Etats, lobbys et citoyens. L'eurodéputé écologiste estime que la contrainte climatique constitue un formidable levier.
Article rédigé par Christine Boos
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Session plénière au Parlement européen à Strasbourg.  (Europarl )

Vous faites état dans votre livre «Climat : la guerre de l'ombre», du renoncement ou plutôt du double langage des Etats soumis à un lobby effréné des grands groupes énergétiques. Est-ce qu'aujourd'hui, l'Europe est à la hauteur des enjeux?
Il n’y aura pas d’accord mondial sur le climat sans leadership européen. Ce ne sont ni les Etats-Unis ni la Chine qui l’assumeront, que ce soit en matière de transition énergétique ou d’aide pour les pays du Sud, les premières victimes et les moins responsables du dérèglement climatique. Dans les années 2000, l’Europe a été à la hauteur de l’enjeu sur la transition énergétique, en adoptant des lois et des règles qui favorisaient les économies d’énergie dans les bâtiments et les transports et le développement des énergies renouvelables. Mais avec les premiers succès de cette transition et aussi la crise économique, les mastodontes du pétrole, du gaz et du nucléaire ont vu leur rente et leur pouvoir se réduire. Ils ont usé de leur influence et de leurs réseaux pour convaincre de trop nombreux dirigeants européens de les protéger plutôt que de protéger le climat et d’accélérer la modernisation de notre système énergétique.
 
Pourtant, plus de la moitié des nouvelles installations de production électrique dans le monde sont dorénavant des renouvelables, 80% en Europe. Le coût du photovoltaïque a été divisé par cinq depuis 2008 et les énergies renouvelables sont désormais compétitives. Alors que la moitié des renouvelables en Allemagne appartient à des particuliers et des coopératives, le mouvement se développe enfin en France : après le parc éolien 100% citoyen de Béganne en Bretagne, les projets coopératifs se multiplient.
 
Nous vivons donc un moment de basculement, ce que j’appelle une guerre de l’ombre, derrière les discours emphatiques et les publicités mensongères. Un nouveau modèle énergétique émerge à côté du vieux modèle centralisé, obsédé par la rente, bâti sur l’offre et trusté par quelques géants qui se partagent le business. Il est décentralisé, construit sur les besoins, centré sur les citoyens et les acteurs locaux des coopératives, des PME, des villes et des régions.
 
L’Union européenne est dans ce moment d’hésitation, de conflit brutal entre des intérêts divergents mais dont la puissance financière et politique reste du côté des fossiles. Cela se traduit par des flagrants délits de contradiction : il y a moins d’un an, le jour même de la publication du rapport du GIEC posant un diagnostic alarmiste sur l’évolution du climat, François Hollande se déplaçait en Alberta pour soutenir les projets de Total dans l’extraction des très polluants sables bitumineux canadiens. Nos dirigeants doivent cesser de regarder derrière : la lutte contre le dérèglement climatique n’est pas seulement une responsabilité devant l’histoire de l’humanité, c’est aussi une formidable opportunité pour sortir des crises que nous traversons !

 

Comme le nerf de la guerre c'est l'argent, vous évoquez un moyen de pression efficace : c'est le désinvestissement. En quoi cela consiste-t-il? Est-ce efficace?
La campagne pour le désinvestissement part d'un constat très simple : l'objectif des 2°C n’est réalisable que si 80% des réserves connues de pétrole, charbon et gaz restent dans notre sous-sol. Pourtant, 6000 milliards de dollars pourraient encore être investis dans ces énergies dans les dix prochaines années. Et cette industrie bénéficie de près de 700 milliards de dollars de subventions publiques chaque année ! Il faut mettre fin à cette logique infernale qui détruit le climat. Il faut frapper à la source : les banques, les fonds de pension et d'investissement, les assurances, les institutions financières publiques, les caisses de retraite, les universités, les églises, les fondations, les États et les collectivités qui les financent.

Avec un objectif : que ces milliers de milliards de dollars soient réorientés des énergies fossiles vers les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Comme le dit Desmond Tutu: «Nous avons besoin d'un boycott comme pour l'apartheid afin de sauver la planète.» Et c’est très efficace, notamment parce que chacun, citoyen, consommateur ou épargnant peut agir à son échelle ! Plus de 500 campagnes en cours dans près de 190 pays ; 440 institutions, couvrant 2600 milliards de dollars, qui ont décidé de rompre progressivement leurs liens financiers avec l'industrie des combustibles fossiles !

Il y a tout de même des raisons d'espérer: les initiatives citoyennes ont émergé partout. La prise de conscience semble réelle mais la multiplication de ces initiatives suffira-t-elle à inverser durablement le cours de choses?
Il y a de fortes raisons d’espérer. Le dérèglement climatique n’est plus seulement cette alarme scientifique et des conséquences dramatiques pour les décennies à venir. Chacun en ressent aujourd’hui de plus en plus fortement les impacts. Mais surtout, lutter contre le changement climatique, c’est développer des milliers d’entreprises petites et grandes sur tous les territoires dans les économies d’énergie (et notamment le bâtiment) et les énergies renouvelables, dans les transports collectifs. C’est maintenir des paysans grâce à une agriculture de qualité et respectueuse de l’environnement. Ce sont donc de nombreux emplois locaux et non délocalisables à la clé. C’est redonner vie aux territoires, y compris en termes de services publics et de culture, et donc de démocratie. Alors que nous sommes bombardés de messages et de nostalgies sur le mode «c’était mieux avant», la lutte contre le dérèglement climatique permet de retrouver l’espoir dans un futur positif et bienveillant. Ce n’est pas rien !
 
C’est vrai aussi que les dynamiques citoyennes, des entreprises, des villes et des régions ne suffiront à rester sous deux degrés. Les Etats ont des compétences qui pèsent très lourdement dans la balance climatique, que ce soit en matière d’infrastructures d’énergie ou de transport, de réglementation ou de fiscalité. Nous avons besoin qu’ils agissent plus vite et plus fortement. La mobilisation citoyenne pour la COP21 est donc essentielle. Mais je suis convaincu qu’ils ne résisteront plus très longtemps aux révolutions citoyennes et énergétiques qui sont en marche. Il faut juste qu’il ne soit pas trop tard.

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