Cet article date de plus de neuf ans.

Elections locales en Ukraine entre déception, corruption et dérision

Ce dimanche 25 octobre en Ukraine, les premières élections municipales d'après Maïdan avaient valeur de test pour le président Porochenko. Un premier tour sans grand vainqueur, marqué par l'annulation du scrutin à Marioupol et un climat plutôt morose. Les personnages de «Star Wars» ou de «Games of Thrones» étaient là pour l'égayer. Mais était-ce seulement de l'humour ?
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Un homme vote à Kiev pour les élections municipales, le 25 octobre 2015.

	
		 

 (REUTERS/Valentyn Ogirenko)

Le 25 octobre 2015, 13,8 millions d'Ukrainiens votaient pour des élections locales, sauf dans 122 localités de l'Est séparatiste et en Crimée, où elles auront lieu en 2016. En tout, plus de 200.000 candidats se présentaient pour 10.000 postes de maire et 160.000 fauteuils dans les conseils régionaux et locaux. Au total, 132 partis étaient représentés.

Ce scrutin avait valeur de test pour le président Porochenko, porté au pouvoir par la révolution de Maïdan et dont la popularité s'est effritée en un an et demi de conflit et de crise économique. Ses résultats auront «un impact sur l'application des accords de Minsk», analyse Arnaud Dubien, directeur de l'Observatoire franco-russe.

Malgré le retrait officiel mi-octobre des chars à Lougansk puis à Donetsk, le contexte restait très tendu. Dans le Donbass, 3.000 policiers avaient été mobilisés. Sans suprise, la participation y a été beaucoup plus faible que la moyenne – globalement peu élevée (46,5%). Dans les villes de l'Est sous contrôle séparatiste, le scrutin a été reporté à 2016.

A Marioupol, port stratégique d'un demi-million d'habitants proche de la frontière russe où les pro-Russes étaient en tête, le vote a finalement été annulé, pour cause de bulletins suspects. Même chose à Krasnoarmiisk, près de Donetsk.


Ce scrutin a tout de même été déclaré «largement conforme aux normes internationales» par les observateurs du Parlement européen qui se sont rendus en Ukraine.

Bloc Porochenko vs Bloc d'opposition : pas de nette victoire
A l'issue du premier tour, le président ukrainien s'est félicité que ce vote «confirme un soutien aux forces démocratiques» pro-occidentales et que «la Russie (ait) échoué à créer dans le pays une cinquième colonne pro-russe». Sa formation, Solidarité, reste maîtresse de l'Ouest et du Centre, mais le Bloc de l'opposition, coalition recyclant des anciens élus du Parti des régions de l'ancien président Ianoukovitch, a fait une percée à l'Est et au Sud. Les mauvais reports des voix du parti du Premier ministre Arseni Iatseniouk (lequel ne se présentait pas) l'auraient favorisé. Selon le Journal international, aucun parti ne sort clairement victorieux de ce premier tour.

Le Bloc Porochenko (ou parti Solidarité) essuie même quelques revers, comme à Odessa, où il était donné favori : c'est le candidat d'opposition Gennadi Trukhanov qui remporte la mairie face à l'équipe du nouveau gouverneur (et anciennement géorgien) Mikhaïl Saakachvili. Et dans la capitale Kiev, si Vitali Klitschko, le boxeur emblématique du Maidan, est en tête, il devra passer par un second tour. En revanche, à la frontière polonaise, à Lviv, le maire Andreï Sadovoï, du parti Samopomitch (Entraide) issu du Maïdan, est largement en tête.
Le maire de Kiev et ancien boxeur catégorie poids lourds Vitali Klitschko (à droite) vote en compagnie de sa femme Natalia Egorova et de son frère, lui aussi boxeur (cat. poids légers) Vladimir, le 25 octobre 2015. (STR/NurPhoto)
Certains anciens de l'équipe Ianoukovitch sont donc réélus, comme Guennadi Kernes à Kharkiv, grande ville proche des régions rebelles. A Slaviansk, seule ville de l'Est pro-russe reprise par Kiev, c'est l'ancien maire, Vadim Liakh, jugé pour séparatismeA Dniepropetrovsk, ville emblème de la résistance contre les séparatistes posée sur le fleuve Dniepr qui coupe le pays en deux entre Ouest et Est, Boris Filatov, candidat d'Ukrop, le parti des patriotes (lié au sulfureux oligarque Igor Kolomoïski et engagé dans le Donbass via un bataillon), est en tête. Le second tour du 15 novembre l'opposera à Alexandre Vilkul, ancien vice-premier ministre de Ianoukovitch, accusé d’avoir lancé des tituchkis (provocateurs) contre les manifestants pro-Maïdan.

Les autres formations nationalistes comme Svoboda devraient faire de bons scores dans la partie occidentale du pays (les résultats définitifs ne seront connus que le 5 novembre, en raison de modalités de comptage complexes). Le Sud enregistre la percée du nouveau parti créé par un député d'Odessa, «Notre région», qui a atteint les 5% exigés par la nouvelle loi électorale du 14 juillet 2015 et aura donc un élu.

Et à Gloukhiv, proche de la frontière russe, c'est un homme d'affaires d'origine... française qui a été élu – avec 65% des voix.

Fraudes et climat de corruption «à l'ancienne»
Malgré le relatif satisfecit de la communauté internationale, 1.500 cas de fraude ont été relevés par le Comité des électeurs ukrainiens. La nouvelle loi de décentralisation, qui donne aux collectivités locales le contrôle du budget, a aiguisé les appétits. A Kiev et Dnieporpetrovsk, le correspondant de La Croix décrit une ambiance pré-électorale de coups tordus et de corruption. Au rayon des coups tordus, à Odessa, cette candidate retoquée pour cause de vidéo coquine... diffusée sur le net par un rival. Côté corruption, la «méthode du foulard» (un ruban accroché à la boutonnière indiquant le choix de l'électeur), les voix achetées 300 hrivnas (12 euros) et les carrousels de votants font partie des traditions en Ukraine. Et apparemment, rien n'a changé...

Même la formation Solidarité du président Porochenko, pourtant porté au pouvoir par le ras-le-bol de la corruption du régime Ianoukovitch, a été vue en train d'acheter des votes à coups de sacs de farine... Les partis en campagne ont offert gâteaux, consultation chez le médecin ou taies d'oreiller, et distribué comme avant Maïdan des paniers de nourriture aux retraités. Courantes aussi, les tentatives d'intimidation : cocktail Molotov contre la voiture d'un candidat, réunion d'une commission électorale interrompue par des hommes en armes... 

L'ombre des oligarques sur la campagne
Les réformes demandées sur la place Maïdan n'ont pas vraiment eu lieu. Malgré la nouvelle loi sur la transparence des revenus des parlementaires, ministres et hauts fonctionnaires, le départ du clan Ianoukovitch n'a pas mis fin au système oligarchique (dont est issu le président lui-même).

Simplement, les oligarques se sont adaptés et se cachent désormais derrière des ONG, explique cet article de Mediapart. Ces milliardaires qui se partagent les richesses de l’Ukraine depuis les années 1990 soutenaient par ce biais un ou plusieurs candidats à ces élections. Ils détiennent aussi les principaux médias, ce qui a empêché tout travail critique durant cette campagne. D'où une remarque des observateurs de l'OSCE (l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) sur leur «manque d'indépendance».

Les déplacés empêchés de voter
Sur le million et demi de déplacés à l'intérieur même du pays que compte l'Ukraine, seulement... deux personnes ont voté, signale le journaliste de l'AFP Pierre Sautreuil. Et elles ont dû pour cela aller en justice.


Les déplacés de l'intérieur ne pouvaient en effet pas voter à moins de s'inscrire sur leur nouveau lieu de résidence, ce qui était bien sûr impossible en pratique. Une nouvelle version de la loi, censée régler ce problème, est restée bloquée en commission parlementaire par absence de volonté politique?

Les observateurs de l'OSCE ont signalé ce problème. Il a donné lieu à une campagne choc en ligne réalisée par des activistes, relate le site Global Voices. Ceux-ci posent avec le nom de leurs villes d'origine et le slogan «L'enregistrement qui réduit au silence. Les déplacés internes n'ont pas accès au vote».

Un peu d'humour ukrainien dans ce climat morose
Avec un taux d'inflation de 45% sur douze mois depuis avril 2014, l'Ukraine est plus que jamais au bord de la faillite. Les habitants subissent augmentation des prix (celui des bananes, importées, est dans toutes les conversations), gel des salaires, pénurie de chauffage... Le légendaire humour ukrainien n'a pourtant pas disparu. En témoignent ces affiches parfois décalées.

Celles du graphiste ukrainien Denis Gritsfeldt ont fait un carton dans tous les médias. Les personnages de la fameuse série Games of Thrones ont apporté un peu de légèreté dans ce climat tendu. En plus d'être judicieuses, leurs slogans de campagne collaient à la personnalité choisie.

La prophétie «Winter is coming» («L'hiver arrive») prend tout son sens quand on n'a pas de chauffage. Ned Stark en promettait, «du chauffage, dans chaque maison», Jon Snow «une armée de professionnels», Tyrion Lannister de se battre «pour les bordels», Cersei Lannister (qui a la tresse de Ioulia Timochenko, ancien Premier ministre et égérie de la révolution orange) clamait «L’Ukraine du Sud est à nous». Fausses affiches, mais vrais enjeux !

Le 22 octobre, Mélisandre, la «Garde de la nuit» de GoT a annoncé le passage à l'heure d'hiver sur la page Facebook du graphiste.

Mélisandre de «Games of Thrones» qui passe à l'heure d'hiver, parodie d'affiche de Denis Gritsfeldt publiée sur sa page Facebook le 22 octobre 2015. Slogan : «Parce que la nuit est sombre et pleine d'horreur». (Denis Gritsfeldt, Facebook)

Et puis, heureusement qu'il y a eu Chewbacca pour attirer l'attention du monde occidental sur ces élections ! Le héros velu de Star Wars, qui tentait de démarcher les électeurs, a été arrêté le jour du scrutin à Odessa. En 2014, c'est Dark Vador qui était candidat, lui aussi pour le compte du Parti de l'internet.
A Odessa (Ukraine), le 25 octobre 2015, l'arrestation d'un homme déguisé en Chewbacca. (REUTERS)

Cette autodérision et cette faible participation ne doivent pas faire croire que les Ukrainiens sont indifférents à ces élections : elles ont été suivies, live-bloguées et live-tweetées de près. La société civile monte en puissance dans la vie politique ukrainienne. Le journaliste Sergueï Lechenko, l'un de ses représentants à la Rada, auteur d'enquêtes sur les oligarques locaux, veut croire que «les politiciens jugés comme corrompus par l'opinion publique n'ont plus aucun avenir politique en Ukraine (mais ils ont encore un présent, pourrait-on objecter). C'est cela, la leçon du Maïdan : la société est désormais ultrasensible sur cette question.»

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.