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En Irlande, le scandale des laveries des Sœurs de Madeleine

Un rapport officiel publié le 5 février 2013 dénonce le rôle tenu par l'Etat irlandais dans l'affaire des «blanchisseries de Madeleine». Durant 70 ans, des milliers de femmes sont passées par ces véritables pénitenciers tenus par des ordres religieux, subissant humiliations et absence de liberté.
Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
L'entrée de l'ancienne blanchisserie au couvent de Sainte-Marie, à Dublin. (Matt Kavanagh/The Irish Times)

En 2002, un film bouleverse le monde et obtient le Lion d'or à la Mostra de Venise. The Magdalene Sisters, réalisé par Peter Mullan, raconte cette histoire hallucinante de jeunes femmes irlandaises, placées dans des laveries, véritables centres de redressement par le travail et la prière, dont certaines ne sortiront jamais. Les séjours étaient variables, allant de quelques semaines à plusieurs années.

Ces femmes étaient présentées comme des filles de petite vertu. Des prostituées ou des criminelles.
En fait, le rapport remis par le Sénateur Martin McAleese confirme ce que le film annonçait. Ces très jeunes femmes (certaines avaient parfois moins de 16 ans) venaient de tous les horizons et pour de multiples raisons. Les crimes de sang étaient rares et, le plus souvent, la police a conduit des femmes dans ces laveries pour les punir d'un petit larcin, parfois juste pour l'absence d'un titre de transport.


Surtout, les familles sont les premières à profiter de ces blanchisseries. Elles y placent leur enfant jugé trop dur à élever, ou simple d'esprit. 10 000 Irlandaises passeront par l'une des dix blanchisseries, entre 1922, date de la création de la République d'Irlande, jusqu'à la fermeture du dernier site en 1996.

Ainsi, la célèbre chanteuse Sinead O'Connor a reconnu avoir passé dix-huit mois dans la blanchisserie Notre Dame de la Charité de Dublin. C'était en 1980, elle avait juste 14 ans quand elle y est entrée. On l'avait cataloguée «enfant posant problème». Son témoignage est saisissant.

Bref, ces laveries étaient le royaume de l'arbitraire et de l'injustice. Pas de coups ni de violence physique, mais les anciennes pensionnaires parlent toutes d'un système glacial et rigide. Un système fondé sur le travail physique, la prière, et l'humiliation. Six jours par semaine d'un travail pénible, sans toucher un centime, sans savoir pour quelle raison on est là, ni pour combien de temps. Les punitions et les humiliations pleuvent en cas de rébellion


Tout cela, l'opinion publique le savait plus ou moins. Mais le rapport dénonce surtout le rôle de l'Etat qui s'est servi de ces blanchisseries et n'ignorait rien des conditions de vie dans ces couvents.
Ainsi, une fille sur quatre y a été conduite après une décision de justice, ou pire, dans l'attente d'un procès. L’Etat signait des contrats de blanchisserie et faisait donc vivre les institutions. L'Etat, enfin, qui inspectait ces établissements et ainsi couvrait ce travail forcé non-rémunéré.
 
La commission a travaillé dix-huit mois. En préambule du rapport de mille pages, le sénateur Martin McAleese dit ceci: «Personne ne peut imaginer la peur et la confusion qu'ont vécues ces jeunes filles, à peine plus âgées que des enfants, lorsqu'elles sont entrées dans ces blanchisseries. Sans savoir pourquoi elles étaient là, se sentant abandonnées, et se demandant ce qu'elles avaient fait de mal. Sans savoir quand elles sortiraient et reverraient leur famille.»
 
Désormais, ces victimes attendent des réparations. Mais l'Etat Irlandais fait pour l'instant la sourde oreille. Le Premier ministre, Enda Kenny, s'est juste dit désolé que des femmes «aient eu à vivre dans de telles conditions». Un peu juste pour les pensionnaires des Sœurs de Madeleine.

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