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Journée internationale des femmes : le droit à l'avortement recule en Pologne

Publié
Temps de lecture : 6min
Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France

À l'occasion de la Journée internationale des femmes, jeudi, direction la Pologne où une nouvelle loi portée par les ultra-conservateurs au pouvoir vise à limiter l'accès à l'avortement. La malformation du fœtus ne serait notamment plus prise en compte. 

Après avoir échoué en 2016,  les conservateurs au pouvoir en Pologne veulent faire passer une nouvelle loi sur l’avortement. La loi, déjà l’une des plus restrictives d’Europe, prévoit de n’autoriser l’interruption volontaire de grossesse (IVG) que dans deux cas : viol ou danger pour la vie de la mère. Impossible de se faire avorter si les médecins diagnostiquent une malformation du fœtus : le bébé doit vivre.

Un tabou difficile à briser

Dans cette société très conservatrice, dire que l’on souhaite avorter simplement parce qu’on ne veut pas d’enfant, c’est déjà être regardée comme une criminelle. Dans l’une de ses chansons, Natalia Przybysz, chanteuse pop, raconte comment elle a pris 42 pilules de Cytotec pour provoquer un avortement, sans succès. Comment elle est ensuite partie en Slovaquie pour y être soignée et interrompre sa grossesse avec des médecins, ce qu’elle ne pouvait pas faire en Pologne. Natalia ne voulait pas d’enfant, ce n’était pas le moment, pas le lieu... Concerts annulés, insultes sur internet : son aveu a déclenché une vague de haine. La société l’a rejetée, les ultra-conservateurs l’ont traitée de "criminelle", un tabloïd a titré : Elle a tué le bébé pour faire de la place à ses livres.

Être l’une des premières Polonaises à avoir brisé ce tabou en public est lourd à porter. Mais Natalia préfère retenir les réactions de soutien. "Les femmes qui viennent à mes concerts me prennent dans leurs bras, elles me remercient. Les Polonaises ne parlent pas de ces sujets entre elles, il faut construire une solidarité. C’est pour ça que j’en parle, et que je chante", raconte Natalia.

Natalia Przybysz a dû partir en Slovaquie pour interrompre sa grossesse. (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)

Des milieux pro-life très actifs

Si la nouvelle loi est adoptée, l’IVG ne sera plus autorisée que dans deux cas : après un viol ou si la vie de la mère est en danger. La malformation du fœtus ne sera plus prise en compte. L’enfant devra naître. A Varsovie, devant l’hôpital Bielanski où travaille le Pr Romuald Debsky, gynécologue, stationne un camion couvert d’affiches de propagande anti-IVG. On y voit un fœtus sans vie, noirci. Les images sont violentes. "Les milieux pro-life ont pris de l’importance, dit le médecin. Ils se sentent autorisés, ils peuvent tout faire, parce qu’on leur a donné ce droit. Ici j’ai des patientes qui viennent de tout le pays pour un avortement. Passer devant ces images, c’est terrible…" 

Le gynécologue sort tout juste du bloc, encore un peu essoufflé, quelques gouttes de sang sur ses sabots en plastique. Il est l’un des rares à oser prendre la parole sur ce sujet. "Les conséquences de cette loi vont être dramatiques. Dans le monde entier, interrompre une grossesse pour malformation du fœtus, c’est la routine… J’ai peur qu’il y ait de plus en plus d’endroits en Pologne où l’on pratiquera des avortements clandestins. Je me souviens d’une époque où les femmes mouraient de ce genre de pratiques. Ce pays fait de nombreux pas en arrière".

Un durcissement de la loi soutenu par l'Eglise

Plus de 100 000 avortements seraient pratiqués chaque année en Pologne. Les trois-quarts de manière illégale. La nouvelle loi risque d’augmenter encore ces statistiques. Mais au nom du droit à la vie, le PiS ("Droit et Justice"), le parti conservateur au pouvoir, assume le texte. "J’estime que toute vie mérite d’être protégée", dit Stanislaw Pieta, député. "Chaque enfant qui naît, même malade, mérite de vivre et d’être soigné. Il faut préserver sa vie plutôt que de le condamner à mort. Même l’enfant né d’un viol a le droit à la vie", poursuit-il. Le politique explique que les médecins se trompent aussi dans leurs diagnostics : "Combien y a-t-il d’enfants qui naissent malgré l’avis des médecins, et qui finalement vont bien, sont en bonne santé ? Il faut préserver la vie de tous ceux qui naissent. On ne peut pas prendre le risque de tuer à cause d’une erreur médicale." 

Stanislaw Pieta, député du parti ultraconservateur Droit et Justice (PiS). (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)

Les conservateurs, de leur côté, rappellent qu’ils ne font que tenir leurs promesses électorales : le durcissement de la loi anti-avortement figurait dans leur programme en 2015. Ils sont aussi soutenus par l’Eglise catholique, dont les valeurs et la morale imprègnent la société polonaise. 

Barbara Nowacka, engagée dans un mouvement politique de gauche, a créé le comité "Sauvez les femmes". "Cette église s’immisce dans la sphère privée, et pas seulement pour interdire l’avortement, elle se mêle aussi de l’éducation sexuelle, qui est quasiment inexistante dans les écoles, elle donne son avis sur les droits des femmes et des minorités sexuelles. Mais elle est aussi très visible dans la sphère publique. Il est impensable, encore aujourd’hui, d’imaginer une cérémonie officielle sans la présence du clergé et des évêques", explique-t-elle

Pour les prochaines élections, à l’automne 2018, le parti Droit et Justice a aussi besoin du soutien du clergé. En décembre 2017, l’Union européenne a enclenché une procédure disciplinaire inédite contre la Pologne, pour ses manquements à l’état de droit en matière de respect des droits des femmes ou d’indépendance de la justice. Le gouvernement fait toujours la sourde oreille.

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