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L'emploi en berne en Bosnie-Herzégovine

Fin juillet 2015, à Sarajevo, les Bosniens manifestaient contre des réformes du code du travail. Ces protestations, arrêtées aujourd'hui, ont mis en exergue l'extrême précarité de l'emploi qui règne, depuis la fin de la guerre, dans ce pays divisé en trois parties : la Fédération de Bosnie-Herzégovine, la République serbe de Bosnie et le District de Brčko.
Article rédigé par Danara Ismetova
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
A Sarajevo, le 30 juillet 2015, les manifestants dénonçaient le nouveau code du travail (Samir Yordamovic / ANADOLU AGENCY)

Le 30 juillet 2015, dans les rues de la capitale Sarajevo, des milliers de Bosniens protestaient contre l'adoption d'un nouveau code de travail en Fédération de la Bosnie-Herzégovine (FBH), une des trois composantes du pays, rapporte le Courrier des Balkans.
 
Des licenciements simplifiés, une réduction de nombre de jours pour les congés payés, moins d'exigences pour la durée des contrats de travail (qui déjà durent rarement plus de cinq ans), un rôle marginalisé des syndicats – autant de changements qui scandalisaient les manifestants.  «Ce code du travail n'a pas été fait pour les employés, - s'indigne un des manifestants devant un journaliste de l'AFP.  Il a été fait pour le patronat et l'élite politique, pour qu'ils nous transforment en esclaves.» Fin août, les manifestations  se sont arrêtées. Les syndicats, d'après une habitante de Tuzla (l'ancienne ville industrielle située au nord-est du pays), auraient trouvé un arrangement avec les autorités.
 
Une réforme semblable était également en cours d'élaboration en République serbe de Bosnie, née après les accords de Dayton qui, en 1995, ont mis fin à la guerre intercommunautaire sanglante en Bosnie-Herzégovine. Les trois entités du pays ont des budgets distincts, mais des difficultés communes.  
 
Le chiffre de chômage qui frappe
Cette nouvelle législation fait partie des réformes demandées et soutenues par l'Union européenne (UE) et le Fonds monétaire international (FMI) afin de permettre à la Bosnie-Herzégovine d'intégrer l'UE. «Cette loi sur le travail est la plus libérale d’Europe, et elle est nécessaire pour assurer la création de nouveaux postes de travail dans notre pays», justifie Fadil Novalić, le Premier-ministre de la FBH, cité par le Courrier des Balkans.
 
Le taux de chômage dans les trois composantes de ce pays balkanique de 3.8 millions d'habitants atteint, selon l'AFP, 44% de la population. Une partie des chômeurs recensés est obligée de travailler sans être déclarée officiellement.
 
La jeunesse n'est pas épargnée. «Enormément de jeunes sont inscrits à l''Agence Pôle emploi espérant avoir un jour le coup de fil pour un travail. La grande majorité d'entre eux est diplômée de l'une de nos universités», - confie l'habitante de Tuzla qui souhaite rester anonyme.
 
Dans le même temps, selon les informations du Courrier des Balkans, rien que dans la FBH plus de 5000 personnes ont encore été licenciées au cours des deux premiers mois de 2015.
 
Le secteur public, une aubaine
Les mécontentements dans le pays ne sont pas nouveaux. Il y a un an et demi, en février 2014, un important soulèvement social avait éclaté dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Partie de Tuzla, la contestation s'est étendue à Sarajevo, Bihac, Zenica et Mostar. Elle a trouvé des soutiens en République serbe de Bosnie.


Parmi les manifestants, à Tuzla et à Sarajevo, on trouvait des chômeurs, des ouvriers précaires et tous ceux qui en avaient assez des classes politiques corrompues. Catherine Samary, économiste spécialiste des Balkans, rappelle le slogan des manifestants: «qui sème la misère, récolte la colère». Les ouvriers de Tuzla revendiquaient la mise en place d'un gouvernement technique apolitique, l'annulation des privatisations et l'égalisation des salaires.
 
«Le salaire moyen, selon les statistiques officielles, se situe autour de 488 euros. Mais si vous enlevez les fonctionnaires, c'est près de 200-250 euros», précise Mirela Maroslic, l'employée d'une association française Maisons familiales rurales qui travaille à Tuzla. 
 
Résultat: le secteur public fait rêver les Bosniens. Il serait synonyme de stabilité, procurant une assurance minimale et des cotisations pour la retraite.
 
L'économie «au point mort»
Depuis la fin de la guerre en 1995, la pauvreté et la misère sociale n'ont jamais disparu. Dans les années 2000, les privatisations massives ont troublé l'économie bosnienne, en transition après la fin de la guerre, en 1995. 
 
Un employé de l'usine Glinica Birač, au nord de la Bosnie-Herzégovine, explique à EqualTimes sous le couvert de l'anonymat : «Les anciens propriétaires lituaniens (qui ont repris l'usine en 2001) n'ont pas payé les cotisations sociales, ni la caisse de retraite, et bon nombre de travailleurs n'étaient même pas déclarés». En 2013, ces nouveaux propriétaires ont fait faillite et ont quitté le pays. Cette usine qui comptait 2 600 travailleurs, en 1991, n'en employait plus que mille, en 2014.
 
Et ce n'est qu'un exemple des conséquences de ces privatisations. La marque de chaussures Aida, implantée dans le canton de Tuzla, est à l'agonie. A la fin de la guerre en 1995, elle comptait 900 salariés. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 200.
 
Spécialiste des Balkans au Centre de recherches internationales (CERI), Jacques Rupnik explique que la constitution bosnienne a été conçue à la fin de la guerre pour assurer la paix, en divisant le pays en trois parties : «La séparation a assuré la paix, mais pas le développement économique». Depuis, le pays n'a survécu que grâce à l'aide financière du Fonds monétaire international. Vingt ans après, la croissance en Bosnie-Herzégovine reste «au point mort», précise le chercheur.  

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