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"Il y a un vrai effet de contagion : le Brexit déstabilise l'Europe, bien au-delà du Royaume-Uni"

Quelles conséquences pour l'Europe après le Brexit ? Après le vote des Britanniques, francetv info a interrogé Christian Lequesne, professeur à Sciences Po, spécialiste des questions européennes.

Article rédigé par Benoît Zagdoun - propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le Premier ministre britannique, David Cameron, et son épouse, Samantha Cameron, rentrent au 10 Downing street à Londres après une brève prise de parole sur le Brexit le 24 juin 2016 . (ADRIAN DENNIS / AFP)

Ce sera le Brexit. Les électeurs britanniques ont choisi par référendum, jeudi 23 juin, de sortir de l'Union européenne. Ce vote historique ouvre une phase sans précédent pour l'UE. Christian Lequesne, professeur à Sciences Po, spécialiste des questions européennes, répond aux nombreuses questions que soulève ce choix.

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Francetv info : Pour la première fois, l'Europe ne va pas négocier une adhésion mais une sortie. Est-ce pour autant un saut dans l'inconnu ?

Christian Lequesne : Absolument. Il n'y a aucun précédent. Le système de la construction européenne n'a pas été pensé pour que des membres s'en aillent. L'article 50 qui organise la sortie de l'UE de façon formelle n'arrive qu'avec le traité de Lisbonne en 2009. Avant il n'y avait aucune disposition dans les traités européens.

La théorie du processus de l'intégration européenne est basée sur un principe : "Il y a des crises, mais les crises vont permettre d'aller de l'avant". C'était cette idée qu'une crise se règle par un compromis et qu'il en ressort plus d'intégration. Or là, pour la première fois, l'UE est confrontée à un processus totalement inverse, qui est un cas concret de désintégration. C'est inédit.

L'UE doit-elle redouter un "effet domino" provoqué par ce Brexit ?

En France, la première réaction d'un homme politique a été celle du vice-président du Front national, Florian Philippot, qui s'est aussitôt dit "très heureux". Le leader populiste néerlandais Geert Wilders a également réclamé un référendum sur une sortie de l'Union pour les Pays-Bas. En République tchèque, je ne vois pas comment le Premier ministre va pouvoir éviter au moins un débat sur l'organisation d'un référendum sur une sortie éventuelle. Il y a un véritable effet de contagion qui montre combien le Brexit déstabilise au-delà du Royaume-Uni. Ce qu'il s'est passé à Londres, c'est un échec pour l'Europe.

Le Brexit va donc provoquer une profonde crise européenne ?

Le Brexit marque la fin d'un système. C'est une invitation à repenser le projet européen. Il faut que les Etats membres qui croient dans l'idée originale de l'Europe constituent un noyau dur : c'est-à-dire ceux qui croient encore à un projet politique et pas seulement dans un marché commun avec quelques politiques de régulation, ceux qui pensent qu'il faut plus de transferts de souveraineté, plus de décisions collectives dans les domaines importants comme les politiques économiques, monétaires, budgétaires, fiscales. Ils vont devoir engager maintenant – ils auraient dû le faire plus tôt d'ailleurs – un chantier autour d'un projet alternatif.

Je ne pense pas qu'on puisse le faire à 27. Un certain nombre d'Etats ne voudront jamais aller dans ce sens. Il faut donc que ceux qui croient en ce projet le fassent sans attendre les autres, si on veut sauver un minimum les acquis. Si on attend la Hongrie, le Danemark ou la République tchèque, il ne se passera rien. Les responsables politiques ont une prise de risque à assumer. S'ils veulent que l'Europe continue, il faut qu'ils soient ambitieux avec un projet de noyau dur. 

Le couple franco-allemand est-il en mesure de jouer à nouveau un rôle moteur ?

Je ne vois pas comment tout cela pourrait se faire sans la France et sans l'Allemagne. Et la crise est tellement importante qu'on ne peut pas se permettre de perdre trop de temps. Mais je ne suis pas sûr qu'il se passera des choses très concrètes, parce qu'il y a en France et en Allemagne des échéances électorales en 2017. 

En France, il y a énormément d'euroscepticisme qui infuse dans chaque parti politique et cela n'incite pas les hommes politiques à vraiment développer une vision européenne. Ils préfèrent mettre la chose sous le tapis. En Allemagne, on a maintenant avec le parti d'extrême droite AFD, la montée d'un populisme anti-européen. Cela devient plus difficile pour Paris et Berlin. Si on n'a plus de leadership franco-allemand, je ne vois vraiment pas comment on peut avancer sur un projet alternatif.

Cela renvoie aussi à la question de la responsabilité particulière de ces deux pays. Il aurait fallu s'atteler à la question européenne plus tôt. Depuis le référendum de 2005, la France a, par exemple, choisi de faire profil bas. En Allemagne, la chancelière Angela Merkel a tout de même donné une réponse européenne à une crise majeure : elle a accueilli 1,5 million de réfugiés. C'était quand même une prise de risque politique par rapport à son électorat. Mais elle l'a fait de façon un peu unilatérale, parce qu'elle voyait bien qu'elle n'avait pas de soutiens. 

La crise européenne qui s'ouvre signifie-t-elle l'arrêt de la politique d'intégration ?

On ne peut pas demander à des gens d'entrer dans une famille qui est en train de divorcer. Il faut d'abord que la famille règle ses problèmes en interne. Après, on pourra éventuellement faire venir de nouveaux partenaires. Faire entrer la Serbie, le Monténégro actuellement, ça n'aurait pas de sens. C'est regrettable pour eux car l'UE sur le plan géopolitique est un fort facteur de stabilisation. 

L'élargissement de l'UE sur le plan géopolitique a, jusqu'ici, été un succès. On a créé une zone relativement stabilisée sur le plan du respect de l'intégrité des frontières. Le problème, c'est que l'UE n'est pas que cela. L'Union, c'est aussi un programme économique, une ambition en matière de politiques publiques, un transfert de souveraineté sur les domaines régaliens de l'Etat, l'économique, le monétaire. Et ça, visiblement, ça ne peut pas fonctionner à 27.

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