Licences de pêche post-Brexit : on vous explique la nouvelle passe d'armes entre la France et le Royaume-Uni
Depuis le Brexit, Londres et Paris s'affrontent sur le nombre de licences accordées aux pêcheurs français. Les deux capitales se menacent mutuellement de représailles.
Le bras de fer entre la France et Royaume-Uni autour des licences de pêche continue. Mais Paris veut "donner une chance" aux discussions. Les échanges au sujet de ce différend, qui oppose les deux pays depuis l'entrée en vigueur du Brexit, vont se poursuivre, a annoncé Emmanuel Macron, lundi 1er novembre, en marge de la COP26 à Glasgow (Ecosse).
A son arrivée au sommet pour le climat, le président français a discuté durant de longues minutes avec Boris Johnson. Emmanuel Macron avait déjà retrouvé le Premier ministre britannique pour un tête-à-tête de près d'une demi-heure, dimanche, en marge du sommet du G20 à Rome. Alors que les sujets de discorde s'accumulent entre les deux pays, franceinfo résume les enjeux de ce dossier maritime.
Depuis le Brexit, les pêcheurs français doivent demander de nouvelles licences de pêche
L'accord sur le Brexit, conclu in extremis fin 2020 entre Londres et Bruxelles, prévoit que les pêcheurs européens peuvent continuer à travailler dans certaines eaux britanniques, s'ils prouvent qu'ils y pêchaient auparavant. L'accès à la zone poissonneuse des 6 à 12 milles, qui s'étend du sud de la Mer du Nord au pays de Galles, est en théorie garanti aux navires qui s'y rendaient déjà pendant la période de référence 2012-2016. Pour cela, il leur faut toutefois demander de nouvelles licences à Londres.
Le secteur des îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey, toutes proches des côtes françaises, est l'objet de plus âpres discussions. Chaque bateau doit justifier d'au moins onze jours de pêche dans cette zone, entre le 1er février 2017 et le 30 janvier 2020. Français et Britanniques se disputent sur la nature et l'ampleur des justificatifs à fournir, notamment pour les petits navires dépourvus de système de traçage ou pour les bateaux neufs ayant remplacé une embarcation plus ancienne.
Paris accuse Londres de ne pas délivrer assez d'autorisations
La France reproche au Royaume-Uni d'accorder trop peu de licences à ses pêcheurs. Dans ces deux zones de pêche encore disputées, Londres et Jersey avaient accordé un peu plus de 210 licences définitives, fin octobre, alors que Paris en réclame encore 244. "Il manque quasiment 50% des licences auxquelles nous avons droit", a dénoncé le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, à la sortie du Conseil des ministres le 27 octobre.
Le porte-parole du Premier ministre britannique Boris Johnson a répliqué en avançant une statistique qui diffère grandement du chiffre brandi par les Français. "Il est important de souligner que 98% des licences de pêche ont été accordées", a-t-il rétorqué. Et d'ajouter : "Nous continuons à travailler avec le gouvernement français pour en accorder davantage sur la base des preuves qu'il fournit".
Une affirmation démentie par la ministre de la Mer, Annick Girardin. "Le chiffre de 98% de licences accordées par le Royaume-Uni aux Européens est faux, a-t-elle lâché sur Twitter le 28 octobre. Seules 90,3% l'ont été. Bien évidemment, les 10% manquants sont pour les Français."
La France menace le Royaume-Uni de représailles imminentes
Faute d'avancée, Paris menace d'interdire aux navires de pêche britanniques de débarquer leur cargaison dans les ports français et de renforcer des contrôles douaniers de tous les camions. Ces mesures de rétorsion devaient initialement être appliquées dès mardi 2 novembre, à la première heure.
La ministre de la Mer avait expliqué mi-octobre qu'elle voulait une solution globale d'ici au 1er novembre. L'île de Jersey a en effet donné un délai d'un mois - soit jusqu'au 30 octobre - à 70 bateaux français pour fournir de nouveaux éléments et rouvrir leur dossier. Ces navires étant, pour l'instant, sur liste rouge, ils ne pourront plus frayer dans les eaux de Jersey à compter du 1er novembre.
Cette date couperet concerne seulement Jersey. La situation est un peu différente pour Guernesey et les eaux britanniques, où les discussions restent ouvertes. Guernesey n'a pas fixé de date butoir et renouvelle chaque mois les licences provisoires. Le gouvernement autonome s'est engagé à continuer à le faire.
"La balle est dans le camp des Britanniques", a affirmé Emmanuel Macron après son entrevue avec Boris Johnson en marge du G20, dimanche 31 octobre. Le chef de l'Etat a expliqué avoir fait remettre au Premier ministre britannique, qui exige une levée des menaces françaises de sanctions, un document proposant une "méthode" pour une "évolution progressive" sur les licences de pêche. "Si les Britanniques ne font aucun mouvement, de manière évidente les mesures prévues à partir du 2 novembre devront se mettre en place car ce sera une fin de non-recevoir", a prévenu le chef de l'Etat, disant "espérer (...) une réponse positive".
Londres lance à son tour un ultimatum à Paris
Ces menaces de représailles sont jugées "disproportionnées" par Londres qui, fait rare, a annoncé fin octobre qu'elle convoquerait l'ambassadeur de France à Londres, sans préciser de date. Loin de s'apaiser, la tension s'est accentuée avant le G20 avec la menace de Londres de mettre en œuvre des "contrôles rigoureux" sur les bateaux européens frayant dans ses eaux.
A l'issue du sommet à Rome, pendant qu'Emmanuel Macron s'exprimait dans une autre conférence de presse, Boris Johnson a déclaré que la position britannique "n'a pas changé", soulignant que la discussion avec son homologue avait été "franche". Son porte-parole a toutefois précisé : "Si le gouvernement français vient avec des propositions pour atténuer les menaces qu'il a faites, nous les accueillerons favorablement".
Dès le lendemain, la ministre des Affaires étrangères britannique a appelé le gouvernement français à retirer ses menaces de sanctions. "Les Français ont fait des menaces déraisonnables, y compris contre les îles anglo-normandes et notre industrie de la pêche", a déclaré Liz Truss sur SkyNews (article en anglais), lundi 1er novembre. Faute de solution "dans les 48 heures", la cheffe de la diplomatie a précisé que le gouvernement britannique s'appuierait sur le mécanisme de règlement des différends dans le cadre de l'accord commercial post-Brexit pour demander des "mesures compensatoires".
Paris souhaite poursuivre les discussions
Lundi soir, Emmanuel Macron a finalement décidé de donner encore "une chance" aux discussions qui se poursuivront donc dans les prochains jours. Une réunion ministérielle, à laquelle est conviée le secrétaire d'Etat britannique chargé du Brexit, David Frost, se tiendra jeudi à Paris, a précisé l'Elysée dans la soirée. Le président français a renoncé à appliquer dès mardi les mesures de rétorsion envers le Royaume-Uni car "ce n'est pas pendant qu'on négocie qu'on va mettre des sanctions".
"Les prochaines heures sont des heures importantes" et "j'ai compris que les Britanniques allaient revenir vers nous demain avec d'autres propositions", a assuré Emmanuel Macron. Ce dernier a par ailleurs dit faire "confiance au Premier ministre britannique Boris Johnson pour prendre sérieusement" les propositions françaises et pour que les discussions débouchent sur un "résultat".
Dans la foulée, le gouvernement britannique a salué le report des sanctions françaises. "Nous nous félicitons que la France reconnaisse que des discussions approfondies sont nécessaires pour résoudre l'ensemble des difficultés de la relation entre le Royaume-Uni et l'UE", a déclaré le gouvernement britannique.
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