Peut-être une équipe NBA en Russie... et autres conséquences sportives des sanctions contre Poutine
Un papillon bat des ailes à Simferopol, et la Ligue des champions vacille...
Si on vous avait dit que la crise en Crimée impacterait la Ligue des champions et la NBA, l'auriez-vous cru ? Pourtant, c'est bien ce qui est en train de se passer, après les décisions des Etats-Unis (en anglais) et de l'Union européenne (PDF en anglais, p.18) de frapper au portefeuille des proches de Vladimir Poutine, depuis le 17 mars, après l'annexion et l'intégration par référendum de la Crimée. La preuve en quatre oligarques.
Comment le Metalist Kharkiv a coulé
Un seul oligarque détenteur d'un club de foot est frappé par les sanctions occidentales, dont le gel d'avoirs. Il s'agit de Sergueï Kurchenko. Ce jeune businessman de 28 ans qui a accumulé une fortune de 2 milliards d'euros en deux ans et s'est offert le Metalist Kharkiv, n'en revient pas : "Je suis un honnête homme d'affaires ukrainien qui a toujours investi en Ukraine", se défend-il dans l'International Business Times (en anglais). Il est accusé d'avoir profité de sa proximité avec l'ex-président ukrainien Ianoukovitch pour détourner une fortune. Comme le résume Youri Syrotiuk, député du parti nationaliste Svoboda, dans le Guardian (en anglais) : "Je suis persuadé que ce n'est qu'un homme de paille. Il a 28 ans, il n'a pas inventé Facebook, ni même fait quelque chose d'intelligent. Il a juste profité de ses liens avec le pouvoir !"
Depuis, Kurchenko est en fuite (en Russie ?), les joueurs ne sont plus payés, le directeur sportif est parti, l'entraîneur aussi, tout comme le meilleur joueur de l'équipe, l'attaquant Marko Devic. La fin de championnat s'annonce compliquée.
Comment un club de NBA pourrait être rapatrié en Russie
Mikhaïl Prokhorov est l'heureux propriétaire du club de basket des Brooklyn Nets, une équipe connue pour avoir été propriété du chanteur Jay-Z, et pour vendre les places les plus inconfortables (en anglais) de NBA. Cet oligarque russe qui a fait fortune dans le nickel a fait sensation en expliquant, lundi 24 mars, avoir l'intention de relocaliser "progressivement" la holding qui chapeaute son club en Russie. A la NBA, on joue la montre, mais légalement, c'est possible. Prokhorov a été autorisé l'an dernier à rapatrier la société qui gère la salle où évoluent les Nets, le Barclays Center, dans la mère patrie, relève le Wall Street Journal (en anglais).
Officiellement, Prokhorov répond au souhait de Vladimir Poutine, qui a demandé à l'élite du pays de ne pas avoir d'actif à l'étranger. C'est toujours utile de se faire bien voir du pouvoir quand on rêve de la mairie de Moscou. En plus, cette manœuvre permettrait de mettre le bas de laine de Prokhorov à l'abri du fisc américain. Car si l'oligarque ne figure pas sur la liste des Russes sanctionnés par Barack Obama, rien ne dit qu'il ne sera pas sur la prochaine. Ivan Manaenko, responsable du fonds d'investissement russe Veles Capital, explique à Bloomberg (en anglais) que "cette décision est motivée politiquement. La question n'est pas de savoir si les sanctions vont être élargies, mais quand."
Comment Chelsea va passer entre les gouttes
Le dissident russe Alexeï Navalny - actuellement en résidence surveillée - a publié dans le New York Times la liste des oligarques qu'il faudrait sanctionner pour être efficace. A commencer par le plus connu d'entre eux, Roman Abramovitch, qui a racheté Chelsea en 2003.
Le secret de sa longévité ? Ne jamais dire non à Vladimir Poutine. Quand l'Etat l'oblige à vendre Sibneft, sa compagnie pétrolière, à Gazprom, il obtempère. Les autres oligarques se lancent en politique ? Pas lui. Il a comparé sa relation avec le président russe à celle entre un père et son fils, rappelle le site spécialisé Futbolgrad (en anglais). Andreï Pionkovski, auteur d'un livre sur le président russe, renchérit dans le Los Angeles Times : "Le rôle d'Abramovitch dans tout ce que décide le Kremlin ne doit pas être sous-estimé. Abramovitch est toujours le plus gros coffre-fort de Poutine."
Interrogé sur la possibilité de sanctionner des oligarques comme le patron de Chelsea, David Cameron, le Premier ministre britannique, a affirmé qu'il "n'excluait pas cette possibilité". L'hypothèse apparaît pourtant très peu probable. Sanctionner les milliardaires du premier cercle, c'est sanctionner Gazprom, qui a des dizaines de filiales partout en Europe (et une joint-venture avec GDF-Suez). Pas étonnant que ni Abramovitch, qui a renforcé les liens de son club avec Gazprom, ou encore Alisher Ousmanov, première fortune de Russie, également proche de l'entreprise, et actionnaire d'Arsenal, ne soient pas plus inquiets que cela.
Comment Gazprom tire les ficelles du foot européen
Oublié par les sanctions occidentales, Alexeï Miller est le patron de Gazprom, la plus grosse compagnie du pays, dont l'Etat est actionnaire majoritaire. Cette entreprise gazière et pétrolière a bâti un empire autour du football européen. Outre ses spots criards avant les matchs de Ligue des champions, Gazprom soutient plusieurs clubs en Europe : le Zenit Saint-Petersbourg, l'Etoile Rouge de Belgrade, et le club allemand de Schalke 04.
L'exemple de Schalke résume à lui seul la stratégie d'influence que déploie Gazprom, principal sponsor du club. Le patron du club, sur le papier, c'est Clemens Tönnies, un homme d'affaires allemand qui a fait fortune dans la saucisse, et qui est très dépendant du marché russe pour assurer la croissance de son entreprise. Entre Tönnies et Poutine, c'est l'entente cordiale. Le businessman allemand décrit le président russe comme "un excellent cuisinier", avant d'ajouter dans The Independent (en anglais) cette confidence rare : "Je l'ai déjà vu rire, quelques fois."
Quand il s'agit de prendre des décisions importantes, Poutine n'hésite pas à mettre la main à la pâte. Le président russe, qui, via Gazprom, est sponsor maillot du club, a tenté de s'opposer par tous les moyens au transfert du gardien Manuel Neuer au Bayern Munich en juin 2011, rapporte Die Welt (en allemand). En vain cependant. Schalke 04, le troisième club le plus populaire d'Allemagne, demeure totalement dépendant des fonds de Gazprom pour boucler ses fins de mois. Un relais d'influence utile, et un fantastique moyen de pression.
Au fait, Gazprom a aussi un partenariat avec la Fifa, qui court jusqu'à fin 2018... c'est-à-dire après la Coupe du monde en Russie. Avec tout ça, on en oublierait presque le congrès de l'UEFA, jeudi 27 mars. Au programme, la question du rattachement des deux clubs de Crimée, le Tavria Simferopol et le FC Sébastopol, avec son futur stade recouvert de barbelés, au championnat russe. La fédération ukrainienne peut faire appel, mais l'UEFA - sponsorisée par Gazprom, souvenez-vous - aura quoi qu'il arrive le dernier mot.
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