Guerre en Ukraine : comment la propagande prorusse tente d'infiltrer les jeux vidéo, YouTube et Facebook
La rhétorique du Kremlin peut se diffuser de mille et une manières sur la toile : via les tchats de certains jeux vidéo infiltrés par des mouvances d'extrême droite ou des plateformes à l'audience mondiale comme YouTube et Facebook.
L'interdiction de diffusion dans l'Union européenne de RT et Sputnik, considérés comme "organes de propagande" du Kremlin par le commissaire européen Thierry Breton, est entrée en vigueur mercredi 2 mars, moins d'une semaine après le début de la guerre en Ukraine. Les contenus en anglais, allemand, français et espagnol de ces médias russes ne pourront donc plus être diffusés sur les réseaux de télévision et sur internet. Une sanction que chaque Etat membre est désormais chargé de faire respecter.
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L'actualité a rattrapé la page Wikipédia en français de Vladimir Poutine qui a récemment fait l'objet d'"une guerre d'édition", selon les mots mêmes de l'encyclopédie universelle en ligne. "Plusieurs contributeurs ont mutuellement annulé leurs modifications respectives. Ce comportement non collaboratif est proscrit", annonçait un bandeau rouge en tête de la notice consacrée au président russe. Un avertissement visible dès vendredi 25 février, au lendemain du début de la guerre en Ukraine, et jusqu'à mardi 1er mars au soir.
"Les modifications d'une page apparaissent instantanément et il arrive que des contributeurs les enlèvent aussitôt", explique à franceinfo Capucine-Marin Dubroca-Voisin, présidente de Wikimédia France, une association qui promeut avec Wikipédia "le libre partage de la connaissance". "Quand ça s'échauffe trop, ce bandeau consiste à dire 'maintenant vous arrêtez', on va discuter pendant plusieurs heures ou plusieurs jours et on va arriver à une version consensuelle de l'article."
Des mécanismes de riposte face aux modifications
Qui participe à cette "guerre d'édition" ? "Il n'est pas impossible que des personnes payées par le Kremlin tentent de modifier la page de Vladimir Poutine, mais elles vont se heurter aux mécanismes de Wikipédia", assure Capucine-Marin Dubroca-Voisin. Ils sont de deux ordres : d'abord une discussion entre les contributeurs et, dans un second temps, la mise "sous protection" de la page. Ainsi, seuls les utilisateurs inscrits depuis plus de trois mois et ayant au moins 500 contributions à leur actif, un gage de respectabilité admis par la communauté, peuvent encore intervenir sur une page ciblée par des ajouts et retraits tous azimuts.
La page en français de Vladimir Poutine a déjà fait l'objet de nombreuses modifications par le passé. Il peut s'agir de simples précisions, comme de corrections plus stratégiques, révèle l'historique de Wikipédia. Outre des éléments concernant le déclenchement de la guerre en Ukraine, on trouve des détails enjolivés sur le parcours du chef d'Etat et des informations non sourcées ou relayant "la propagande russe" comme le note un contributeur. Dans d'autres cas, ces changements concernent des éléments plus subtils, comme la photo de Vladimir Poutine.
Capucine-Marin Dubroca-Voisin rappelle que ce type d'évènements n'est pas nouveau et touche Wikipédia dans son ensemble. "Les contributeurs ne sont pas anonymes mais il se peut que certains cachent leur orientation politique, relève-t-elle. On l'a vu récemment avec des militants d'Eric Zemmour, qui ont tenté de manipuler l'encyclopédie."
De la propagande pro-Poutine dans les tchats des jeux vidéos en ligne
La propagande russe peut vous atteindre lorsque vous cherchez à passer un moment de détente. Antoine le constate régulièrement quand il s'adonne à son jeu vidéo favori, Starcraft 2. Ce jeu de stratégie militaire et de science-fiction avec des extraterrestres dispose d'un tchat, permettant aux joueurs de communiquer entre eux en temps réel.
"Des messages écrits par les joueurs défilent sur la page d'accueil et au cours de la mission. Je vois régulièrement apparaître des messages antisémites ou haineux. Et des références à Vladimir Poutine, défendu comme un dirigeant nécessaire, révèle le trentenaire. Il est possible ensuite de rejoindre des groupes de joueurs et de poursuivre la discussion."
Le procédé a été documenté par le journaliste spécialisé Paul Conge, qui a infiltré une mouvance d'extrême droite recrutant des militants via le jeu Fortnite. Il relate cette expérience dans son enquête Les Grands remplacés, publiée en 2020 (édition Arkhê). "Des franges de l'extrême droite en France sont en adoration pour Vladimir Poutine", affirme-t-il, joint par franceinfo.
Dans ces sphères, on salue la longévité au pouvoir du président russe, sa fermeté face aux Etats-Unis et à l'Union européenne, autant que sa vision traditionaliste de la nation et de la famille, contre les droits des LGBT. Vladimir Poutine y est perçu dans leur jargon comme "'chad', un homme fort, viril et qui en impose", poursuit Paul Conge. Selon le journaliste, ce phénomène se développe dans l'univers des jeux vidéo depuis une dizaine d'années. "Cela explique que des gamers vous parlent soudainement des maux de l'Otan alors qu'ils n'en parlaient pas avant ou qu'ils ne savaient pas ce que c'était."
Le milieu du jeu vidéo, "un vivier de recrues pour l'extrême droite" prorusse
Cette rhétorique se diffuse aussi via des forums consacrés aux jeux vidéo, comme "Blabla 18-25" du site Jeuxvideo.com (dont des utilisateurs ont été mis en cause dans des cas de désinformation et de cyberharcèlement) ou des sites comme Avenoel. "Il y a un tropisme prorusse dans certains univers de gamers, avec une culture geek et des membres se partageant des 'memes' [des images humoristiques] valorisant Vladimir Poutine", avance Paul Conge, qui évoque une "stratégie de harponnage". "Les joueurs vont d'abord recevoir des blagues de mauvais goût lors d'une partie. Si ça prend, ils sont invités à rejoindre des messageries comme Discord ou Télégram, où ils se retrouvent alors avec des membres politisés", détaille-t-il.
"Le milieu du jeu vidéo est un vivier de recrues pour l'extrême droite et la promotion de la politique russe car on y trouve des personnes plus solitaires, moins insérées socialement, vivant dans le péri-urbain ou la France rurale, se sentant abandonnées par l'Etat et l'ascenseur social voire méprisées des médias."
Paul Conge, journalisteà franceinfo
L'influence russe se déploie également sur les réseaux sociaux comme LinkedIn, Twitter ou Youtube. Google a annoncé avoir suspendu la possibilité pour des médias financés par le Kremlin de générer de l'argent sur ces plateformes. Mais des créateurs français de contenus prorusses restent libres d'y diffuser des vidéos relayant des théories conspirationnistes et justifiant la guerre en Ukraine, et d'engranger des revenus grâce à l'audience qu'ils suscitent.
Sollicitée par franceinfo, Reporter sans frontières (RSF) dit regretter que "la politique de valorisation des contenus de Youtube ne repose pas sur des critères journalistiques en ce qui concerne l'information sur la plateforme". "Il existe pourtant une norme, la Journalism Trust Initiative qui ne s'attache pas aux contenus mais aux méthodes pour les produire. Elle pourrait servir à Youtube au lieu de se baser sur la seule popularité d'une vidéo ou de son auteur", dénonce l'ONG.
"Ces opérations d'influence ne sont pas une fatalité"
Autre réseau social où la désinformation sévit depuis la Russie : Facebook. Le journaliste spécialisé Nicolas Quénel y a débusqué des pages qui affirment faire de la "réinformation" et des médias "alternatifs" qui relaient des messages prorusses jamais sourcés, voire complotistes.
De quoi parlent ces contenus s'adressant au public français ? "De toute une palette de sujets : l'Otan, le conflit en Crimée [une péninsule ukrainienne annexée par la Russie en 2014], au Donbass, ou toute thématique sur lequel la Russie a envie d'influencer le débat public en France, explique Nicolas Quénel. La défiance que l'on observe envers l'Etat et les médias traditionnels s'est généralisée, donc ces pages séduisent."
Selon lui, plusieurs types d'acteurs sont impliqués dans l'effort de désinformation : le renseignement militaire russe, des entreprises ayant des intérêts à faire valoir ou des acteurs privés qui aspirent à se faire remarquer de Vladimir Poutine.
Les internautes accèdent à ce genre de contenus par le jeu des algorithmes des réseaux sociaux ou par le partage d'un lien dans une boucle Whatsapp avec leurs proches, amis ou membre de leur famille. Alors quelles solutions mettre en place ? "Les plateformes doivent investir beaucoup plus de moyens dans la modération et être plus réactives", juge Nicolas Quénel.
"Les Etats doivent demander ces efforts aux plateformes et les citoyens renforcer leur vigilance et esprit critique. Ces opérations d'influence ne sont pas une fatalité. De nombreuses opérations menées échouent aussi lamentablement."
Nicolas Quénel, journaliste spécialiséà franceinfo
De son côté, RSF a initié le Forum sur l'information et la démocratie, qui a déjà livré 250 recommandations pour lutter contre la désinformation. L'ONG réclame notamment "une réglementation publique pour imposer des exigences de transparence aux plateformes, demander à ces dernières de dépenser un pourcentage minimal de leurs revenus afin d'améliorer la qualité de l'examen des contenus ou bien encore des mesures qui limitent la viralité des contenus trompeurs".
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