Guerre en Ukraine : comment le pays prépare sa reconstruction malgré les bombes qui pleuvent encore
La guerre n'est pas encore terminée, mais à Ovroutch, une petite ville du nord de l'Ukraine, une école va bientôt sortir de terre. Les ouvriers s'activent depuis décembre dernier pour construire l'établissement, qui accueillera des élèves de maternelle. L'ancien bâtiment avait été détruit lors de frappes, quelques semaines après le début de l'invasion du pays par la Russie le 24 février 2022. Et même si les missiles ne tombent plus pour l'instant, un abri anti-bombe sera construit dans le nouvel ensemble scolaire.
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L'école d'Ovroutch est loin d'être la seule à avoir été détruite par les forces russes. En août, sur Twitter, le ministère de la Défense ukrainien avait estimé à 140 000 le nombre de bâtiments résidentiels détruits ou endommagés. Depuis, des milliers d'autres ont été éventrés. À cela s'ajoute le patrimoine culturel, les ponts, les routes, les hôpitaux ou les centrales détruites par les bombardements russes. Selon des chiffres de l'ONU rapportés par la radio Voice Of America* , en décembre, la moitié des infrastructures énergétiques du pays étaient détruites.
Rebâtir vite et bien
L'ampleur des destructions est immense. Mais cet état de fait n'empêche pas les autorités ukrainiennes de s'atteler, sans attendre la fin de la guerre, à la reconstruction du pays. Un peu partout, comme à Ovroutch, les autorités réparent des bâtiments détruits, déminent les sols, reconstruisent des artères et rétablissent l'alimentation électrique. "Les Ukrainiens reconstruisent dès que les choses sont détruites, notamment grâce à l'aide de la diaspora, c'est pour eux une forme de résistance", explique François Grünewald, directeur général du groupe Urgence Réhabilitation Développement. Les autorités locales ukrainiennes "n'ont pas attendu l'aide internationale pour démarrer", note le spécialiste, d'autant que l'urgence est de s'assurer que "les habitants puissent vivre alors qu'il fait très froid".
L'effort de reconstruction mobilise toutes les couches de la société, des citoyens au gouvernement de Volodymyr Zelensky... mais aussi des acteurs étrangers. L'école d'Ovroutch est par exemple un projet financé par l'Estonie*, qui achemine des modules préfabriqués en Ukraine montés ensuite par des ouvriers ukrainiens. "En tant que petit pays, nous n'avons pas un PIB très élevé, ce qui restreint nos capacités d'aide. C'est pour cela que ce genre de petit projet nous permet d'agir rapidement", détaille Tiit Riisalo, directeur du Centre estonien pour le développement international, un organisme qui aide aussi à la reconstruction d'un pont à Malyn.
Mais ne valait-il mieux pas attendre la fin de la guerre pour lancer un tel projet ?
"Nous voulons donner espoir aux Ukrainiens parce que nous comprenons le genre de stress dans lequel ils vivent."
Tiit Riisalo, directeur du Centre estonien pour le développement internationalà franceinfo
Et d'ajouter : "Et puis nous reconstruisons dans une partie du pays où il n'y a plus de combats."
Cette capacité à réparer rapidement les infrastructures n'est pas due au hasard. L'Ukraine dispose ainsi "de compétences et de ressources humaines, comme des architectes, des ingénieurs et des maçons, de très haute qualité", souligne François Grünewald. Surtout, le pays dispose "d'un excellent réseau ferré" qui lui permet d'intervenir rapidement sur tout le territoire.
Si les compétences ne manquent pas, les besoins sont surtout matériels. "Le premier besoin est celui de l'énergie, de l'eau et du chauffage, il faut donc réparer les infrastructures", explique Martin Duplantier, architecte et urbaniste, président de l'association Architecture et maîtres d'ouvrage, qui travaille sur de nombreux projets ukrainiens. Mais s'il faut reconstruire vite, il faut aussi le faire bien.
"Il faut résister à la tentation de construire du temporaire qui ne dure que 10 ans, il faut construire de manière pérenne."
Martin Duplantier, architecte et urbanisteà franceinfo
Des dégâts au coût exorbitant
Sur le long terme, le nerf de la guerre reste la question de l'argent. A l'heure actuelle, et malgré l'exemple du projet estonien, l'aide internationale n'est "pas suffisante", souligne François Grünewald. "Il y a une réflexion de la part des acteurs internationaux qui est de dire : 'Ça ne sert à rien de reconstruire si ça va être détruit'. Mais c'est mal comprendre les Ukrainiens", ajoute le spécialiste, qui s'alarme sur le peu d'aide "pour faire face au froid et réparer les immeubles détruits".
Se pose, dès lors, la question de quantifier le coût de la reconstruction du pays. Un rapport publié en septembre par le gouvernement ukrainien, la Banque mondiale et la Commission européenne et relayé par Reuters* avance le chiffre de 350 milliards de dollars. Mais estimer un montant "est une tâche difficile, notamment, car l'Ukraine ne contrôle pas 18% de son territoire et que l'on ne connaît la date de fin du conflit", détaille Yuriy Gorodnichenko, membre de CEPR et professeur d'économie à l'université de Californie et co-auteur d'un rapport sur la reconstruction de l'Ukraine*.
"Ce qui est clair, c'est que le chiffre va probablement tourner autour des 700 milliards d'euros, mais cela pourrait être plus élevé."
Yuriy Gorodnichenko, économisteà franceinfo
D'autant qu'il faudra aussi réparer le patrimoine du pays, durement touché par les frappes, ce qui coûte cher.
Vers un plan Marshall pour l'Ukraine ?
La somme donne le tournis. Où trouver cet argent, alors que le déficit du pays devrait atteindre les 46 milliards de dollars cette année ? Plusieurs voix, dont l'Assemblée générale de l'ONU, s'élèvent pour s'assurer que la Russie paie des dommages une fois la guerre terminée. "Ça s'est déjà vu, comme avec l'Irak après l'invasion du Koweït, il est important d'avoir cette discussion dès maintenant", rappelle Yuriy Gorodnichenko. Et si la Russie refuse de payer, la piste du financement par les actifs russes gelés en Europe est avancée par certains.
Les pays occidentaux seront de toute façon appelés à contribuer. Une conférence sur le sujet a d'ailleurs été organisée en France en novembre et près d'un milliard d'euros y avait été promis pour aider les Ukrainiens à affronter l'hiver. "Mais les sommes ne sont pas suffisantes, même si l'argent sera dépensé sur 10 à 15 ans", souligne Yuriy Gorodnichenko.
"Personne ne se mobilise vraiment sur le sujet pour l'instant. L'expérience nous prouve que les promesses ne sont que des promesses."
François Grünewald, ingénieurà franceinfo
De nombreuses voix proposent un nouveau plan Marshall, mis en place par les Etats-Unis pour reconstruire l'Europe après la Seconde Guerre mondiale, et ainsi relancer son économie. Un rapport du German Marshall Fund* suggère qu'un tel plan pousserait l'Ukraine à accélérer ses réformes démocratiques et à se rapprocher des standards de l'Union européenne, ce qui faciliterait son intégration. "Les projets comme l'école d'Ovroutch permettent aussi de partager notre savoir-faire sur les normes européennes", confirme Tiit Riisalo.
L'occasion de réinventer tout un pays
La tâche entreprise par les Ukrainiens s'annonce colossale, "le plus grand projet économique (...) de l'Europe de notre temps", a même avancé le président ukrainien en septembre dernier* D'autant qu'il faudra gérer "des problèmes environnementaux majeurs laissés par la guerre, comme les contaminations dues aux bombes", note François Grünewald.
Surtout, les autorités devront réfléchir à leurs priorités. "On ne répare pas de la même façon une ville de 100 000 habitants si seulement 30 000 y reviennent", explique Alexander Shevchenko, le fondateur de Restart Ukraine*, un groupe de chercheurs, d'architectes et d'urbanistes ukrainiens, qui s'est donné pour mission de réfléchir à une reconstruction verte du pays.
Un peu partout, les initiatives pour réfléchir à l'après-guerre foisonnent. A l'instar de Restart Ukraine, de nombreux collectifs sont ainsi formés autour de la question. "Nous voulons travailler sur les besoins et permettre une meilleure coordination", explique Alexander Shevchenko. Son collectif s'est ainsi attelé à proposer "une boîte à outils à destination des autorités locales", l'interlocuteur incontournable quand on parle de reconstruction. Avec l'aide d'outils digitaux et la création de "méthodologies", le groupe a ainsi pu lancer un projet pilote autour de la ville de Tchernihiv.
La question de la coordination des différents acteurs (Etat, société civile, pays étrangers...) sera essentielle. "Il va falloir collaborer, se coordonner et faire les choses ensemble pour créer la nouvelle ville ukrainienne, pour et par les Ukrainiens", résume Martin Duplantier.
"L'argent ne fait pas tout. Nous avons besoin d'une nouvelle approche de planification urbaine, qui prenne en compte l'environnement."
Alexander Shevchenko, fondateur de Restart Ukraineà franceinfo
Une façon d'inventer la nouvelle Ukraine, tournée vers l'Europe et détachée de son passé soviétique, de ses immeubles standardisés et de ses artères sans arbre. L'exact inverse des quelques barres d'immeubles reconstruites par la Russie dans la ville occupée de Marioupol.
* Les liens signalés par un astérisque renvoient vers des contenus en anglais.
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