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Guerre en Ukraine : envoi, entretien, formation... Après l'accord pour l'envoi de chars lourds, le casse-tête logistique débute

Berlin et Washington ont donné leur feu vert à la livraison de chars de combat. Ce nouvel équipement marque une nouvelle étape dans le conflit armé, et représente un défi pour l'état-major ukrainien et ses alliés occidentaux.
Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des chars Leopard-2 chargés sur rails, le 27 juillet 2018 à Sondershausen (Allemagne), à destination de la Lituanie. (JENS-ULRICH KOCH / DPA-ZENTRALBILD / AFP)

De guerre lasse, et pressé de toutes parts, Olaf Scholz a fini par pousser le premier domino. L'Allemagne a donné son feu vert à la livraison de 14 chars de combat Leopard-2, mercredi 25 janvier, et a autorisé les pays qui en détiennent à remettre ces redoutables engins militaires à Kiev. La Pologne et l'Espagne, dans la foulée, ont rapidement émis le souhait de libérer leurs félins dans les plaines ukrainiennes. Reste à savoir comment, mais également quand, alors que tous les experts anticipent une offensive russe au printemps.

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De tels convois sont déjà fréquents. La République tchèque et la Pologne, notamment, ont déjà livré des centaines de T-72, un char de combat d'époque soviétique. "Le gabarit et la charge des modèles occidentaux sont similaires", explique à franceinfo Peer de Jong, ancien colonel des troupes de marine et vice-président de l'institut Themiis : 45 tonnes pour les T-72, 60 pour les Leopard-2 allemands et les Abrams américains, 70 pour les Challenger 2 britanniques. Les informations sur le parcours seront bien sûr classifiées.

"Le plus évident, du moins pour l'envoi polonais, est d'emprunter la voie ferrée descendante jusqu'à Lviv", en Ukraine, explique Nicolas Gosset, expert militaire à l'Institut royal supérieur de défense (IRSD) belge. Une partie des chars Leopard stationne en caserne à Rzeszow", à une heure de l'Ukraine. D'autres contributeurs, tels que l'Espagne, pourraient exploiter une voie plus au sud. "Un escadron de chars Leclerc avait déjà été envoyé en Roumanie, via la voie ferrée, dans le cadre d'un détachement de chasseurs alpins", poursuit Nicolas Gosset. "Ces chars se trouvent dans la région de Constanza, très proche de la frontière ukrainienne."

Le chargement ferroviaire d'un char français Leclerc avant une mission en Roumanie, le 8 novembre 2022 à la base de Mourmelon-le-Grand (Marne). (FRANCOIS NASCIMBENI / AFP)

Une option, pour les Etats-Unis, consiste à faire livrer les Abrams promis par un pays européen, avant de les remplacer ultérieurement. Ce qui simplifierait alors la logistique. Mais utiliser "l'axe maritime est également possible", ajoute Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d'études stratégiques. Il évoque "des ports de débarquement en Pologne, en Croatie ou en Grèce."

L'historien militaire n'exclut pas le recours à des camions porte-chars, pour emprunter les routes d'Europe centrale et orientale. Le hic, c'est que ces véhicules porte-engins blindés ne peuvent transporter qu'un ou deux chars à la fois. Peer de Jong, pour sa part, estime donc que leur usage devrait être limité à la ligne de front, en phase finale de transfert. 

Secret absolu pour ces convois précieux

"Une colonne routière est forcément plus lente et détectable. Et il n'y a pas encore eu de souci majeur d'approvisionnement ferroviaire de [lance-roquettes multiples] HiMars, de [canons] Caesar ou de défense antiaérienne", estime Thibault Fouillet, chargé de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique. A ce stade, seuls quelques obusiers allemands ont été détruits à la marge.

"Les frappes russes ciblent davantage les transports intra-ukrainiens, notamment quand il a fallu déplacer de grosses pièces d'artillerie vers le front Sud", souligne Nicolas Gosset. Les forces russes ont perdu en capacité pour atteindre des cibles en mouvement, ajoute l'expert. Surtout, "les défenses antiaériennes ukrainiennes ont été progressivement renforcées depuis début septembre, avec un écosystème de plus en plus robuste", d'autant que des systèmes Patriot sont attendus.

"J'imagine mal que les convois de Leopard puissent circuler sans un corridor de défense antiaérienne."

Nicolas Gosset, expert militaire à l'Institut royal supérieur de défense

à franceinfo

Ce matériel, malgré tout, sera traqué par les forces russes, qui rêvent d'accrocher un tel trophée à leur tableau de chasse. "Cela va se jouer dans la discrétion, car il y a toujours un risque, au vu des déclarations russes", reprend Thibault Fouillet – le Kremlin a déjà promis à deux reprises de faire "brûler" ces chars.

Après leur prise en charge dans les centres logistiques ukrainiens, les Leopard-2 seront attendus en première ligne, loin des centres urbains. "Le seul problème, finalement, c'est le franchissement des ponts", nuance Peer de Jong. "La zone nord de l'Ukraine est une immense zone humide, avec des cours d'eau à enjamber. Il faut des ouvrages assez robustes pour supporter ces charges." Pierre Razoux insiste également sur la nécessité de disposer de "routes suffisamment larges", avant de libérer les Leopard sur leur terrain de chasse.

D'un point de vue opérationnel, enfin, les futurs convois ukrainiens pourront livrer des indices sur les ambitions stratégiques de Kiev. "Il est certain que les radars et satellites russes vont tenter de capter ces flux logistiques, souligne Peer de Jong, car les concentrations de chars détermineront les futures pointes d'effort de l'armée ukrainienne."

Complexité de la maintenance et du soutien

Si le transport semble aujourd'hui maîtrisé, le maintien en condition opérationnelle (MCO) soulève davantage d'inconnues. Certes, "les Leopard sont des engins un peu moins technologiques que les Leclerc français ou les Abrams américains", souligne Nicolas Gosset. Pour autant, "ils seront probablement déployés sur le front, et nourriront un feu intense, dans une logique offensive. Le cas échéant, il faut imaginer un roulement de trois semaines ou un mois, maximum, au-delà duquel il ne sera pas possible de les pousser davantage." 

Des centres de maintenance, opérés par le constructeur allemand KNDS et le Français Nexter, sont déjà mis en place en Pologne et en Slovaquie afin de réparer et entretenir du matériel utilisé en Ukraine. A ce stade, toutefois, aucune précision n'a été apportée sur la création d'infrastructures dédiées aux chars, qui devront effectuer des allers-retours réguliers avec le front. L'idée européenne d'un centre de formation et d'aide technique, évoquée il y a quelques mois, pourrait offrir un semblant de réponse, à condition de prendre vie.

Ces livraisons impliquent également des chaînes logistiques pour les munitions, les pièces de rechange et le carburant – le Leopard consomme 500 litres pour 100 kilomètres hors piste. La mixité du parc complique encore la donne. A titre d'exemple, les Challenger utilisent un canon 120mm rayé, alors que celui des Abrams et des Leopard est lisse. Ce qui implique deux lignes dédiées de stockage et d'approvisionnement de munitions. Les pièces de rechange, elles, devront être conservées au plus près de la frontière ukrainienne.

Contre-la-montre avant le printemps

Interrogé par franceinfo sur le défi logistique des livraisons de chars, l'Otan n'a pas encore apporté de réponses. Mais le MCO ne devrait pas poser de problème dans un premier temps, juge Thibault Fouillet, car "les matériels sont prêts et chargés". Des contraintes structurelles vont en revanche apparaître dans la durée, après la première utilisation massive de ces chars. "L'Ukraine est tout à fait consciente de ces difficultés" et son armée "pourrait donc formuler à l'avenir un second round de demandes" de chars de combat.

Tout l'enjeu est également de former rapidement des tankistes ukrainiens à ces nouveaux outils, en Europe et aux Etats-Unis. Les capitales européennes n'ont aucun intérêt à envoyer des formateurs en Ukraine, ce qui afficherait un signal fort de cobelligérance. D'autant que les chars seraient alors immobilisés, et donc vulnérables. L'Allemagne a déjà annoncé qu'elle entamera ces formations sur les Leopard en février, dans la foulée de celles qui seront dédiées au maniement des blindés légers Marder.

"Est-ce que les forces russes vont précipiter leur offensive attendue, sachant que les chars arrivent ?", s'interroge Nicolas Gosset, qui rappelle que "les armées sont de grosses machines bureaucratiques, même en période de guerre." Berlin, de son côté, a assuré que ses Leopard seraient disponibles "fin mars, début avril". A Kiev, l'état-major regarde les aiguilles tourner avec impatience. "La clé" de ces livraisons, résume Volodymyr Zelensky, est leur "vitesse" et leur "volume."

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