Guerre en Ukraine : la ville de Kiev doit-elle craindre une nouvelle offensive majeure de la Russie avant la fin de l'hiver ?
L'alerte a été lancée en l'espace de quelques jours mi-décembre, et via différents médias. Et si, un an après le début de l'invasion russe de l'Ukraine, Moscou lançait une nouvelle grande offensive, notamment en direction de Kiev ? A l'origine de cette supposition, les paroles d'officiels ukrainiens, particulièrement haut placés en matière de défense.
Le commandant en chef des forces armées ukrainiennes, Valeri Zaloujny, a évoqué cette éventualité dans un entretien pour The Economist* (édition abonnés) avec Volodymyr Zelensky. "Une mission très importante pour nous est de créer des réserves, de nous préparer à la guerre qui pourrait avoir lieu en février, au mieux en mars et au pire à la fin du mois de janvier, a-t-il expliqué*. Les Russes préparent quelque 200 000 nouveaux soldats. Je n'ai aucun doute sur le fait qu'ils vont retenter [de prendre] Kiev." Une offensive russe pourrait venir de l'est ou du sud de l'Ukraine, mais également de Biélorussie, comme l'envisage le général ukrainien Andriy Kovaltchouk, interrogé par la chaîne Sky News*. "Nous anticipons ces scénarios (...) Nous envisageons une éventuelle offensive depuis la Biélorussie fin février, peut-être plus tard", a-t-il déclaré.
Des propos appuyés par le ministre ukrainien de la Défense, Oleksiï Reznikov, dans le Guardian*. Selon lui, la mobilisation partielle décrétée fin septembre par Vladimir Poutine suggère qu'une nouvelle offensive se prépare. "La deuxième partie de la mobilisation, 150 000 hommes environ [sur un total d'environ 300 000] ont commencé leur formation dans différents camps (...). Les conscrits ont un entraînement de trois mois minimum pour se préparer. Cela signifie qu'ils essaient de lancer la prochaine vague de l'offensive probablement en février, comme l'année dernière."
Un objectif russe constant
Quel crédit donner à ces multiples signaux d'alerte ? "Je pense que les Ukrainiens s'appuient sur leurs services de renseignement, qui sont certainement fiables. Ils travaillent aussi avec les services de renseignement américains", souligne auprès de franceinfo Carole Grimaud, enseignante en géopolitique de la Russie à l'université Paul-Valéry de Montpellier et experte à l'Observatoire géostratégique de Genève. "Ils se préparent depuis des mois à une deuxième attaque depuis la Biélorussie", poursuit auprès de franceinfo Konrad Muzyka, directeur de Rochan Consulting, une société d'analyse dans le domaine militaire. Des événements plus récents sont, à ses yeux, susceptibles d'avoir "déclenché les commentaires" des autorités ukrainiennes sur une nouvelle offensive : le déploiement de forces russes en Biélorussie, mais aussi un renforcement des activités d'entraînement militaire dans ce pays allié, où Vladimir Poutine s'est rendu lundi 19 décembre pour une "visite de travail".
Les chercheurs interrogés par franceinfo soulignent également que l'objectif à long terme du Kremlin, malgré l'échec de sa première offensive vers Kiev il y a près d'un an, reste le même. "Le but premier était de prendre Kiev facilement et de changer le gouvernement [ukrainien]. A mon avis, cela reste l'objectif russe", analyse Carole Grimaud. "Rien n'indique que Poutine ait renoncé à son objectif de contrôler l'Ukraine", a récemment prévenu le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, dans un entretien à l'AFP.
Les différents revers des forces russes en Ukraine, comme le retrait de Kherson en novembre, ont conduit à "un retour du réel" pour le Kremlin, mais "les objectifs stratégiques restent les mêmes. La leçon que les Ukrainiens ne veulent pas devenir Russes et se battront de toutes leurs forces n'a pas été retenue", poursuit auprès de franceinfo Ulrich Bounat, analyste en relations internationales et auteur de La guerre hybride en Ukraine, quelles perspectives ? (éd. du Cygne, 2016).
"Comme les objectifs politiques sont de faire en sorte que l'Ukraine reste dans le giron de la Russie, il faudra bien à un moment que l'armée russe tente de relancer une offensive."
Ulrich Bounat, analyste géopolitiqueà franceinfo
Si une offensive était effectivement lancée, pourrait-elle intervenir entre janvier et mars, comme le redoute l'armée ukrainienne ? Plusieurs chercheurs joints par franceinfo évoquent la fin de la période de formation des nouveaux soldats engagés auprès des forces russes, soit en janvier ou février. Pour Ulrich Bounat, la nouvelle offensive pourrait avoir lieu à la fin de l'hiver plutôt qu'au début du printemps, où les terres pourraient être davantage boueuses. Selon Carole Grimaud, "il y aura peut-être aussi une tentative d'offensive avant l'acheminement de missiles anti-aériens Patriot" promis par les Etats-Unis. "Ce qui est escompté à cette période, ajoute-t-elle, c'est une fatigue de la résistance civile ukrainienne", après de longs mois d'hiver et des frappes continues sur les infrastructures énergétiques.
Une mobilisation importante... mais suffisante ?
Les hauts gradés ukrainiens soulignent l'importance de la mobilisation en Russie. "L'ennemi ne doit pas être ignoré. Ils ne sont pas faibles... Et ils ont un très grand potentiel en termes de main-d'œuvre", a insisté auprès de The Economist le général Syrsky. "Ils ont un vivier significatif, une force de réserve sous la main", confirme Carole Grimaud.
Néanmoins, cette "main-d'œuvre", et particulièrement les nouvelles recrues, seront-elles suffisamment prêtes pour une offensive d'une telle envergure ? Dans les années 2010, "il y a eu une modernisation et une amélioration de certaines unités, de blindés, de parachutistes... Certaines de ces unités ont été décimées" en Ukraine et "ce ne sont plus des hommes professionnels qui les composent", observe Ulrich Bounat. "Dans les centres d'entraînement pour les mobilisés, les soldats sont moins formés que les troupes russes au début du conflit et ceux qui étaient en Ukraine depuis 2014", poursuit Carole Grimaud.
"Des soldats qui ont été formés pendant des années, ont été déployés en Ukraine en 2014 et ont fait de nombreux exercices d'entraînement... On ne peut pas rattraper [le niveau de] ces militaires avec des réservistes."
Konrad Muzyka, directeur de Rochan Consultingà franceinfo
Un autre problème se pose, selon Konrad Muzyka. Si les Russes ont davantage de forces humaines grâce à la mobilisation de l'automne, ils pourraient manquer d'équipements pour mener à bien une nouvelle offensive. "Il est peu probable que les Russes rétablissent l'équipement qui a été perdu" au cours de l'invasion russe de l'Ukraine, estime-t-il.
Une nouvelle offensive avec quel scénario ?
Vladimir Frolov, chercheur à la fondation Carnegie*, estime que la capacité de la Russie à lancer une offensive à grande échelle en Ukraine est largement remise en cause par son "manque critique de matériel militaire moderne". "On voit une adaptation à la situation, une réorganisation" coté russe, tempère toutefois Carole Grimaud, en évoquant notamment les craintes au sujet de livraisons d'armes par l'Iran à Moscou.
Enfin, quelle forme cette offensive prendrait-elle et d'où partirait-elle ? "Je ne suis pas complètement certain qu'une opération depuis la Biélorussie soit réaliste : cela nécessiterait un effort colossal de la part des forces russes", estime Ulrich Bounat, qui anticipe plutôt une attaque depuis l'est ou le sud de l'Ukraine. "Les Ukrainiens ont sécurisé leurs frontières au Nord. Ils ont placé des mines le long de la frontière avec la Biélorussie", poursuit Carole Grimaud. En cas d'offensive vers Kiev, l'enseignante en géopolitique de la Russie envisage davantage, elle, le scénario d'une série de bombardements sur la capitale, suivie "dans un second temps" d'une action terrestre. Autre possibilité : le lancement de plusieurs offensives terrestres en même temps, afin d'affaiblir la résistance ukrainienne.
Dans tous les cas, "il est important de souligner que les Russes auront probablement une seule chance de réussir cette offensive", juge Konrad Muzyka. En cas de nouveau revers, leur capacité à mener une autre opération de grande envergure sera selon lui "probablement non existante".
* Les liens suivis d'un astérisque renvoient vers des articles en anglais.
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