Guerre en Ukraine : pourquoi Emmanuel Macron réitère-t-il ses propos sur le possible envoi de troupes françaises au sol ?

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le président de la République, Emmanuel Macron, lors d'une conférence de presse, à Berlin, le 15 mars 2024. (LORENZ HUTER / PHOTOTHEK.DE / AFP)
Le président de la République s'est de nouveau exprimé, dans un entretien au "Parisien", samedi, sur l'éventualité de lancer des opérations militaires sur le territoire ukrainien.

"Peut-être qu'à un moment donné – je ne le souhaite pas, n'en prendrai pas l'initiative –, il faudra avoir des opérations sur le terrain, quelles qu'elles soient, pour contrer les forces russes. La force de la France, c'est que nous pouvons le faire." Il y a comme un air de "déjà-entendu" dans les mots d'Emmanuel Macron, publiés samedi 16 mars dans Le Parisien, au sujet de la guerre en Ukraine. Dans cette interview menée dans l'avion qui le ramenait de Berlin vendredi, Emmanuel Macron a donc réitéré et appuyé ses explications, livrées initialement le 26 février, lors d'une conférence de presse à l'Elysée. Il y était déjà interrogé sur l'envoi de troupes au sol.

"Il n'y a pas de consensus aujourd'hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu. Nous ferons tout ce qu'il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre", déclare-t-il ce jour-là. Ces propos provoquent un tollé en France et dans d'autres pays occidentaux. "Il n'y aura aucune troupe au sol, aucun soldat envoyé ni par les Etats européens, ni par les Etats de l'Otan, sur le sol ukrainien", réagit le chancelier allemand, Olaf Scholz. 

"Il a totalement raison"

Face au trouble suscité par cette déclaration, Emmanuel Macron choisit de s'exprimer, le 14 mars, dans une longue interview télévisée diffusée sur TF1 et France 2. "Nous ne sommes pas dans l'escalade, nous ne sommes pas en guerre contre la Russie, mais nous ne devons pas laisser gagner la Russie", justifie-t-il. L'envoi de troupes n'est "pas [son] souhait", mais "toutes ces options sont possibles", répète le chef de l'Etat, insistant sur l'importance de ne pas "être faible" face à Moscou.

Sur le fond, et dans le camp présidentiel, on applaudit. "Il a totalement raison, réagit Benjamin Haddad, député Renaissance, spécialiste des questions internationales. Ça fait deux ans que l'on passe collectivement notre temps à se fixer des limites et à les communiquer à l'adversaire alors que lui [Vladimir Poutine] n'en a aucune."

"On ne gagne pas un rapport de force en se ligotant les mains dans le dos."

Benjamin Haddad, député Renaissance

à franceinfo

"Peut-être n'avons-nous pas pris conscience de l'accroissement de l'acuité de la crise et de son aggravation avec un contexte différent à Kiev, à Moscou et à Washington, appuie le député Renaissance Mathieu Lefèvre. Face à cela, il est bien normal que Paris réagisse." Le discours présidentiel a aussi légèrement évolué entre le 14 février et le 16 mars, puisque l'on passe de "rien ne doit être exclu" à "peut-être" qu'il "faudra avoir des opérations sur le terrain". "On peut jouer sur les mots, mais il n'y a pas de différence de fond, soutient le député Renaissance Antoine Armand. Le but reste le même : face à l'impérialisme et aux agressions de Poutine, défendre la sécurité européenne passe aussi par le fait de montrer que l'Europe ne laissera pas tomber l'Ukraine."

"Il le répète pour que l'idée s'imprime"

Pourquoi une telle insistance ? En s'exprimant à plusieurs reprises, Emmanuel Macron cherche d'abord à expliciter ses premières déclarations. "Il était sorti du bois de façon surprenante le 26 février, ça nécessitait des explications", relève Gaspard Gantzer, ex-conseiller communication de François Hollande. "Le chef de l'Etat court après le temps, appuie le politologue Bruno Cautrès. Tout le monde avait retenu de sa première prise de parole qu'il pourrait y avoir un jour des soldats français en Ukraine. L'opinion française n'y est pas favorable et cette déclaration avait un potentiel anxiogène extrêmement élevé. Il s'agissait donc pour lui d'euphémiser son discours sans se déjuger, en martelant l'idée que l'envoi de troupes au sol ne serait pas à notre initiative."

"Le chef de l'Etat cherche à réimposer un second narratif en disant que nous ne serons pas à l'initiative, mais je pense que c'est trop tard. Les gens ont retenu : 'il va faire la guerre à la Russie.' Ce n'est pas rattrapable, car trop marquant."

Bruno Cautrès, politologue

à franceinfo

En réitérant son propos, Emmanuel Macron vise aussi trois cibles : Vladimir Poutine, les alliés européens et l'opinion publique française, analyse Gaspard Gantzer. "Il sait que la communication, c'est comme la pédagogie. La meilleure façon de faire prendre conscience des choses, c'est la répétition", livre l'ancien conseiller de François Hollande. Or, les Français ne sont pas dans le même état d'esprit qu'il y a deux ans, quand l'attaque russe en Ukraine avait créé chez eux "une stupéfaction, une empathie et une émotion". Depuis, "l'opinion publique est passée à autre chose, les Français sont loin de tout ça", poursuit cet expert. Pour Benjamin Haddad, Emmanuel Macron cherche ainsi à "sensibiliser les Français à la gravité de la situation et à l'intensification de la menace russe".

Le message est aussi destiné au maître du Kremlin, selon Gaspard Gantzer : "On reste dans l'ambiguïté stratégique [ce principe qui consiste à entretenir le flou sur la nature de la riposte]. C'est de la dissuasion." Le président n'a d'ailleurs pas détaillé quels seraient les différents scénarios d'un envoi de troupes françaises au sol. "On entre dans la période la plus difficile avec l'arrivée du printemps, où l'on craint une offensive russe", note aussi Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). "Or, les armements qui arrivent en Ukraine sont insuffisants, d'où le souhait d'Emmanuel Macron d'apparaître dissuasif. Est-ce que cela empêchera Poutine de lancer une offensive de printemps ? J'en doute", admet l'expert en géopolitique.

"Prendre le lead de l'Europe de la défense"

Enfin, Emmanuel Macron martèle aussi ses propos à destination de ses partenaires européens. "Il met la pression sur l'ensemble de l'UE pour pousser ses membres à mieux accompagner l'Ukraine dans sa défense", défend le député Renaissance Ludovic Mendes. "Beaucoup de pays en Europe, et pas des moindres, sont sur notre ligne", a d'ailleurs affirmé le chef de l'Etat au Parisien. "Le but de ce déplacement à Berlin était d'envoyer le message à la Russie que la France n'est pas isolée", décrypte Bruno Cautrès. Et ce, afin "de prendre le lead de l'Europe de la défense, poursuit Jean-Pierre Maulny. Son message s'adresse aux Polonais, aux Baltes, etc., pour dire que les Allemands ne peuvent pas prendre ce lead, car ils n'ont pas la culture militaire stratégique."

Des propos qui interviennent également en pleine campagne des européennes, ce que n'a pas manqué de dénoncer l'opposition française. Elle y voit une instrumentalisation du conflit à des fins électorales. "On voit bien le petit scénario qui est en train de s'installer : le président de la République, c'est le chef de guerre dans un duel qu'il installe contre le Rassemblement national", dénonçait par exemple le patron de LR, Eric Ciotti, le 5 mars, sur franceinfo.

"Il est normal d'en faire un sujet pour les européennes et que l'on se pose la question vis-à-vis de la Russie, mais pour le moment, ça ne marche pas, ça ne prend pas auprès des Français", analyse Gaspard Gantzer. Le camp présidentiel, qui a fait du conflit ukrainien un axe de sa stratégie de campagne, est de plus en plus distancé par le RN de Jordan Bardella, donné à 31% contre 18% pour la tête de liste Renaissance Valérie Hayer, dans un sondage Ipsos pour Le Monde du 11 mars. "L'Ukraine ne va pas faire venir les gens vers Macron", reconnaissait d'ailleurs vendredi un ministre auprès de France Télévisions.

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