Guerre en Ukraine : six questions sur le potentiel envoi de troupes occidentales évoqué par Emmanuel Macron
"Rien ne doit être exclu." Emmanuel Macron a évoqué, lundi 26 février, la possibilité d'envoyer des troupes occidentales au sol en Ukraine, tout en déclarant assumer une "ambiguïté stratégique". Cette déclaration inédite a été prononcée à l'issue d'une conférence internationale organisée à l'Elysée, en présence de 27 autres pays. "Nous ferons tout ce qu'il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre", a poursuivi le président français.
En guise d'illustration, il a notamment annoncé la création d'une nouvelle coalition dédiée à la livraison de missiles de moyenne et longue portée. Il a aussi mentionné une liste de cinq "catégories d'actions" faisant consensus, contrairement à l'envoi "de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol". Malgré tout, le parti pris offensif du chef de l'Etat n'aura échappé à personne. Au point de marquer un tournant dans la guerre en Ukraine ? Franceinfo fait le point sur les enjeux qui découlent de ce durcissement de position.
1 Dans quel contexte Emmanuel Macron a-t-il tenu ces propos ?
La fermeté inédite du président s'inscrit dans une phase particulièrement délicate pour l'Ukraine, qui vient d'entrer dans sa troisième année de guerre. La peur d'une victoire de la Russie s'immisce progressivement dans les opinions publiques occidentales, alors que les Ukrainiens accumulent depuis plusieurs semaines les revers dans l'Est. Le 17 février, Kiev a notamment été contrainte de se retirer de la ville forteresse d'Avdiïvka.
Pour justifier ces défaites militaires, Volodymyr Zelensky a évoqué dimanche le manque de munitions. En cause, les retards dans les livraisons d'aide militaire occidentale. "Sur un million d'obus que l'Union européenne nous a promis, ce n'est pas 50% mais malheureusement 30% qui ont été livrés", a-t-il déploré. Autre difficulté : le blocage actuel de l'aide américaine de quelque 60 milliards de dollars par des élus républicains de la Chambre des représentants.
Afin de conjurer cette mauvaise passe, Emmanuel Macron a affiché sa volonté de remobiliser ses partenaires, en convoquant une vingtaine de chefs d'Etat et de gouvernement lundi, à Paris. C'est à l'issue de cet acte symbolique qu'il a admis ne pas écarter l'envoi de troupes occidentales en Ukraine dans le futur. Quelques heures plus tôt, lors de l'ouverture du sommet, il avait déjà affirmé : "Nous sommes à coup sûr au moment d'un sursaut qui est nécessaire de notre part à tous."
2 Quelles sont les raisons de son changement de positionnement vis-à-vis de Vladimir Poutine ?
Le temps des appels entre Emmanuel Macron et son homologue russe semble bien loin. En décembre, il avait assuré que l'origine de cette rupture de dialogue venait de l'Hexagone. "Nous ne les avons pas arrêtées, je ne les ai pas arrêtées, il les a arrêtées", avait fustigé Vladimir Poutine. Le chef de l'Etat français justifie de son côté sans mal ce changement de position.
Lundi, il a notamment affirmé constater "un durcissement de la Russie" ces derniers mois, "qui s'est malheureusement cruellement illustré avec la mort d'Alexeï Navalny". Vendredi 16 février, il avait asséné : "La mort de Monsieur Navalny dit la faiblesse du Kremlin."
Fini les compromis, donc. Mardi, Peer De Jong, vice-président de l'institut Themiis, spécialiste de géopolitique et ancien colonel des troupes marines, a souligné sur franceinfo à quel point la "phrase choc" d'Emmanuel Macron était "un message clairement adressé aux Russes". Et, en premier lieu, à leur dirigeant.
3 Quelles troupes peuvent être envoyées en Ukraine ?
Dans la mesure où l'Union européenne ne possède pas sa propre armée, une telle opération pourrait s'inscrire dans le cadre d'une mission spécifique. Autre possibilité : chaque pays occidental serait chargé de choisir de faire appel ou non à son armée. Dans le cas de la France, les forces opérationnelles immédiatement mobilisables sont celles de l'armée de terre. Selon les derniers chiffres du ministère des Armées, elle est composée de 130 000 hommes et femmes, dont plus de 25 000 réservistes.
Interpellé sur les déclarations d'Emmanuel Macron à l'Assemblée, le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, a précisé : "Nous devons envisager de nouvelles actions de soutien à l'Ukraine", qui "doivent répondre à des besoins très précis". Il a notamment évoqué le "déminage", le "cyber" et la "production d'armes sur place, sur le territoire ukrainien". "Certaines de ces actions pourraient nécessiter une présence sur le territoire ukrainien sans franchir le seuil de belligérance", selon le ministre.
4 Pourquoi les Européens sont-ils réticents à cette idée ?
Un tel scénario demeure néanmoins purement fictif à ce stade : plusieurs dirigeants étrangers ont tempéré les propos d'Emmanuel Macron. Parmi eux, le Premier ministre suédois, Ulf Kristersson, dont le pays va devenir le 32e membre de l'Otan. Il a affirmé sur la chaîne publique suédoise SVT que l'envoi de troupes en Ukraine n'était "pas du tout d'actualité" pour le moment. Le Premier ministre néerlandais a, lui aussi, tempéré les propos du président français. Interrogé à la sortie de la réunion à l'Elysée, Mark Rutte a déclaré que la question de l'envoi de troupes au sol n'avait pas été à l'ordre du jour.
Berlin, Londres et d'autres alliés européens ont également opposé une fin de non-recevoir aux propos d'Emmanuel Macron. Le chancelier allemand Olaf Scholz a affirmé mardi qu'"aucun soldat" ne serait envoyé en Ukraine par des pays d'Europe ou de l'Otan : "Ce qui a été décidé entre nous dès le début continue à être valide pour l'avenir", à savoir "qu'il n'y aura aucune troupe au sol, aucun soldat envoyé ni par les Etats européens, ni par les Etats de l'Otan sur le sol ukrainien".
Côté Royaume-Uni, un porte-parole du Premier ministre britannique Rishi Sunak a précisé qu'"un petit nombre" de personnes envoyées par Londres se trouvaient déjà sur place "pour soutenir les forces armées ukrainiennes, notamment en termes de formation médicale". Avant d'ajouter "Nous ne prévoyons pas de déploiement à grande échelle". Madrid n'est "pas d'accord" avec l'idée de "déployer des troupes européennes en Ukraine", selon la porte-parole de l'exécutif espagnol, Pilar Alegria. Varsovie et Prague ont également opposé une fin de non-recevoir à l'éventualité esquissée par Paris.
5 Comment le Kremlin se positionne-t-il ?
Si Vladimir Poutine n'a pas encore pris la parole, la Russie a d'ores et déjà réagi via un porte-parole du Kremlin. "Ce n'est absolument pas dans l'intérêt de ces pays. Ils doivent en être conscients", a confié Dmitri Peskov à des journalistes, jugeant que le simple fait d'évoquer cette possibilité constituait "un nouvel élément très important" dans la guerre.
Le Kremlin a beau avoir noté qu'il n'y avait "pas de consensus" sur le sujet chez les Occidentaux, il demeure très attentif. Interrogé sur le risque d'un conflit direct entre l'Otan et la Russie, en cas de présence militaire en Ukraine, Dmitri Peskov a répondu que "dans ce cas, nous ne devrions pas parler de probabilité, mais d'inévitabilité".
6 Quelles sont les réactions au sein de la classe politique française ?
Au sein de la majorité, les prises de parole sont encore rares pour l'instant. Seul le Premier ministre Gabriel Attal a répété sur RTL mardi matin qu'"on ne peut rien exclure dans une guerre" qui se tient "au cœur de l'Europe". Un an plus tôt, jour pour jour, alors qu'il était encore porte-parole du gouvernement, il avait martelé sur France Inter que l'envoi de troupes françaises en Ukraine était "exclu".
Un virage à 180 degrés bien loin d'être validé par les oppositions. "L'envoi de troupes en Ukraine ferait de nous des belligérants. La guerre contre la Russie serait une folie", a averti Jean-Luc Mélenchon sur son compte X (ex-Twitter). Le groupe La France insoumise à l'Assemblée nationale est même allé jusqu'à demander lors d'un point-presse diffusé sur YouTube mardi "que le Parlement soit saisi sur l'ensemble de la stratégie en Ukraine".
Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste, a pour sa part pointé du doigt l'"inquiétante légèreté présidentielle", qualifiant de "folie" la possibilité d""entrer en guerre avec la Russie".
Du côté de Marine Le Pen, l'indignation est de mise : "Emmanuel Macron joue au chef de guerre mais c'est la vie de nos enfants dont il parle avec autant d'insouciance." Jordan Bardella, le président du RN, la rejoint, arguant sur son compte X qu'"Emmanuel Macron semble perdre son sang-froid."
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