Guerre en Ukraine : quand l’UEFA se trouve dans l’embarras avec son partenaire russe Gazprom
Le géant gazier russe est le sponsor majeur de l’UEFA depuis 2012 et les deux entités ont prolongé l’an dernier leur partenariat jusqu’en 2024.
D’ici à la fin de la matinée, vendredi 25 février, tout le monde devrait être fixé : au terme d’une réunion prévue à 10 heures, l’UEFA pourrait officialiser la délocalisation de la finale de la Ligue des champions, prévue jusque-là à Saint-Pétersbourg le 28 mai prochain. Comme l’ont annoncé Associated Press et le Times jeudi, l’instance qui dirige le football européen aurait décidé de retirer cette finale à la Russie, après l’opération militaire lancée en Ukraine il y a plus de 24 heures.
Mardi, le Premier ministre britannique Boris Johnson affirmait devant la Chambre des communes qu’il n’y avait "aucune chance de maintenir des événements de football dans une Russie qui envahit des pays souverains". Pour l’UEFA, la décision est assez simple à prendre : délocaliser des matchs est devenu une routine depuis deux ans maintenant et l’instance pourrait justifier ce choix par d’évidents problèmes de sécurité. Mais en ce qui concerne son partenariat avec Gazprom, sur lequel elle est également attendue vendredi, l’UEFA est dans l’impasse.
Depuis 2012, le géant gazier russe, détenu majoritairement par le pouvoir, est le sponsor majeur de l’UEFA. En dix ans, Gazprom est devenu un acteur incontournable du football européen. Lors des rencontres de Ligue des champions, le logo de l’entreprise est partout, et des générations de jeunes supporters de ballon rond ont été bercées par la réclame publicitaire de Gazprom précédant les matchs de C1.
40 millions d'euros par an
Des liens très étroits, qui mettent aujourd’hui l’instance dirigée par Aleksander Ceferin dans l’embarras. "Ça fait plus de dix ans que l’UEFA se trompe totalement avec Gazprom. Elle n’aurait jamais dû se mettre dans cette position", affirme Simon Chadwick, professeur de géopolitique et d’économie du sport, qui a rédigé de nombreux articles sur la connivence entre l’UEFA et Gazprom.
Alors qu’elle ne cesse de répéter son apolitisme, l’UEFA a fini par se tirer une balle dans le pied en agissant "comme un acteur économique rationnel, sans réfléchir aux conséquences", explique le professeur d’origine britannique. Il faut dire que le partenariat avec le géant russe est lucratif. Très lucratif. Selon les estimations de SportBusiness Sponsorship, le contrat pour la période 2018-2021 a rapporté 40 millions d’euros par an à l’UEFA.
De quoi inciter l’instance du football européen à prolonger l’aventure en mai 2021. En plus d’être le sponsor majeur de la Ligue des champions, Gazprom le sera dorénavant en Ligue des nations, pour les prochains éliminatoires de l’Euro 2024 et pour les deux prochains championnats d’Europe. Une présence de tous les instants. Dans son communiqué officiel de mai dernier, l’UEFA présente alors Gazprom comme "l’un de ses partenaires les plus fiables".
UEFA shares the international community’s significant concern for the security situation developing in Europe and strongly condemns the ongoing Russian military invasion in Ukraine.
— UEFA (@UEFA) February 24, 2022
Full statement: ⬇️
Mais dans le même temps, l’UEFA a oublié de prendre en considération les objectifs de Gazprom. "Le premier était de se construire une légitimité. C’est une sorte de sponsoring de soft-power", explique Simon Chadwick, qui estime que le géant gazier a réussi son œuvre "car personne ne réfléchit plus à ce que fait Gazprom dans le football européen". L’autre objectif est plus stratégique. Davantage lié au pouvoir russe. Aux intentions de l’homme qui dirige le Kremlin et tourmente aujourd’hui l’Ukraine.
"Gazprom utilise le football comme un moyen de diplomatie, pour tenter de trouver des acheteurs et ainsi étendre l’influence russe sur le continent", estime Simon Chadwick. Plus que les canaux diplomatiques traditionnels, les loges d’un stade ne sont-elles pas le meilleur endroit pour conclure des contrats ? "C’est long 90 minutes, donc ça laisse le loisir de discuter de tout", indiquait l’ancien président François Hollande au Télégramme l’an dernier.
Alexander Dyukov, l'infiltré
À leur échelle toute relative, les représentants de Gazprom ont, grâce à ce partenariat avec l’UEFA, permis à la Russie de trouver de nouveaux débouchés pour son gaz sur le continent européen. Aujourd’hui, 40% du gaz importé au sein de l’Union européenne vient de Russie (80% pour la Hongrie et la Finlande, 50% pour l’Allemagne, 20% pour la France). "Les écoles de Manchester sont fournies en gaz par Gazprom", affirme Simon Chadwick, qui souligne également l’intérêt pour le géant gazier "d’avoir intégré les arcanes du pouvoir du football européen".
Alexander Dyukov, patron de la branche pétrolière de Gazprom, est ainsi membre du comité exécutif de l’UEFA. Ce proche de Vladimir Poutine assistera donc à la réunion de l’UEFA qui se tiendra vendredi et tentera peut-être de faire peser la position russe. Notamment concernant le maintien du contrat entre Gazprom et l’UEFA. "C’est compliqué pour l’UEFA. Le plus simple serait de dire qu’ils sont apolitiques et qu’ils ont un contrat à respecter", estime Simon Chadwick. Rompre avec Gazprom placerait l’UEFA face à des menaces de poursuite judiciaire.
En 2007, le magazine allemand 11Freunde expliquait après la conclusion du partenariat entre le club allemand de Schalke 04 et Gazprom - suspendu jeudi -, que signer ce type de contrat avec le géant russe, "c’est comme avoir des relations sexuelles sans préservatif". Malgré les premiers soubresauts géopolitiques en Ukraine en 2014, l’UEFA a décidé de prolonger l'union avec Gazprom, en renouvelant ce partenariat à plusieurs reprises. Aujourd’hui, elle se retrouve dos au mur.
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